
Dans « Yalla, Baba », Angie Obeid embarque son père de 75 ans dans un road trip. Photo DR
Angie Obeid, réalisatrice du long documentaire Yalla, Baba, a 34 ans. Elle décide d’emmener son père Mansour, 75 ans, refaire le périple qu’il avait entrepris il y a 42 ans, de Bruxelles à Beyrouth. Père et fille vont en fait apprendre à mieux se connaître, mieux se tolérer, et vont se surprendre mutuellement. Ce n’est plus le même chemin, ni le même monde. L’itinéraire d’autrefois, long de 4 000 kilomètres, a été redessiné par les soubresauts de l’histoire : des pays ont disparu, de nouveaux ont vu le jour, les cartes se sont recomposées au gré des conflits, des régimes autoritaires et des exils forcés.
« Je me trouvais à Bruxelles, où mon père m’appelait quasiment tous les jours et me parlait de ce fameux voyage qu’il avait fait avec des copains, alors qu’on ne communiquait pas beaucoup avant que je m’installe en Belgique. Ce sujet que nous partagions m’a poussée à tenter une nouvelle relation avec lui », explique Angie, pour qui les changements géopolitiques qu’ils ont pu constater sont aussi importants que l’aspect personnel du documentaire.
Angie Obeid : une cinéaste entre mémoire et engagement
Née à Beyrouth en 1988, Angie Obeid se forme d’abord à la réalisation et à l’écriture de scénario à l’Université Notre Dame (NDU). Elle poursuit ensuite ses études en Europe, intégrant le programme itinérant DOC Nomads, qui la mène du Portugal en Hongrie, puis en Belgique, où elle affine son approche du cinéma documentaire.
Depuis plus d’une décennie, elle navigue entre projets personnels et collaborations avec des chaînes internationales comme al-Jazeera Documentary, où elle œuvre en tant que réalisatrice, productrice et monteuse. En parallèle, elle fonde sa propre structure, Thereness Films, avec le désir de donner naissance à des films engagés.

Son premier long métrage, I used to Sleep on the Rooftop (2017), révèle une cinéaste habitée par la mémoire, les liens familiaux et les fractures géopolitiques. Yalla, Baba, son dernier long documentaire, qui a été projeté dans le cadre du Beirut Women Festival et à Masrah à Tripoli, s’inscrit dans cette même veine.
Quand le road trip devient thérapie familiale
Dans ce projet documentaire à la fois personnel et politique qu’est Yalla, Baba, la route devient espace d’échanges et de transmission. Le Liban, entre deux guerres, bordé d’une mer qui isole plus qu’elle ne relie, ne se laisse plus rejoindre par voie terrestre. C’est pourtant cette route désormais morcelée qu’Angie choisit d’emprunter, non pour atteindre une destination, mais pour raviver une mémoire et questionner un lien. Au départ, son père, réticent à cause de son âge, finit par céder. « Ce qui va lui redonner un nouveau souffle et une motivation qu’il n’avait plus depuis qu’il était à la retraite », confie la réalisatrice.
En fait, ce voyage initiatique révèle bien plus qu’une géographie transformée ; il dessine les contours d’une relation père-fille en pleine mutation. À mesure que les kilomètres défilent, c’est un dialogue inédit qui se tisse entre deux générations, deux visions qui s’entrechoquent mais jamais ne portent atteinte au lien familial. Deux manières d’appréhender le monde au cœur de valeurs communes qui, elles, n’ont pas subi les affres des temps tourmentés, hormis la distance qui les sépare.
Angie Obeid va, en chemin, bousculer son père en l’emmenant sur des terrains où ils sont en désaccord. Elle va le provoquer en soulevant par exemple la possibilité d’un mariage mixte, et le père va révéler un traditionalisme profond mais mâtiné d’une sagesse qu’elle ne soupçonnait pas. « Je te donne un conseil, mais la décision te revient », martèle-t-il dans le film.
Mansour va d’ailleurs être rattrapé par une nostalgie qui l’exalte autant que par une mélancolie des temps révolus. « C’est la première fois que nous passons autant de temps ensemble, ça m’a appris à le supporter, à l’aimer autrement et à alimenter nos passions communes : l’image, le voyage, la musique, la recherche. Nous ne sommes pas très différents finalement », enchaîne Angie, pour qui il était important de connaître le fond de la pensée de son père hors des contextes sociaux et familiaux habituels et de son pays.
Et effectivement, cette face de la personnalité de son daron va se diluer de retour au bercail, vers son village natal au Liban-Sud. Des racines ancrées dans la terre, ses oliviers, plus précisément au cœur de Kaoukaba, ce village vers lequel ils reviennent, dans une région à connotation de nombreux conflits et à forte résonance symbolique.

Ce qui distingue ce road trip filmé, c’est la hauteur que prend Angie Obeid pour retracer un parcours intime tout en retenue, qui évite tous les pièges d’un sentimentalisme qui aurait exclu le spectateur. Au contraire, c’est un voyage en famille où nous emmène Angie dans ses pérégrinations, en quête de cet autre père et de cet autre monde.
Et quand on lui demande pourquoi c’est papa qu’elle a choisi et pas maman, elle répond comme dans le film : « C’est mon père qui a fait ce voyage, par ailleurs les mamans, c’est plus compliqué, et puis la mienne a la phobie des avions. »
Un souvenir de lui qu’Angie a construit et qu’elle entend chérir. « Il a 75 ans, parle de testament… C’est la vie », conclut-elle.
Sympathique......A faire, avec la famille, ce voyage pour approfondir les relations et apprendre a ce connaitre.....
05 h 48, le 02 juin 2025