Rechercher
Rechercher

Culture - Éclairage

La série « Adolescence » parle-t-elle aussi du Liban ?

Un garçon de treize ans accusé de meurtre sur fond d’endoctrinement en ligne et de masculinité toxique alimentée par la « manosphère ». Face à l’écho qu’a rencontré la série britannique au Liban, une question s’impose : cette violence concerne-t-elle aussi nos adolescents ?

La série « Adolescence » parle-t-elle aussi du Liban ?

Owen Cooper dans la peau de Jamie dans « Adolescence ». Photo Netflix

On peut dire sans trop s’avancer que tout le monde adore la minisérie Adolescence, diffusée par Netflix depuis la mi-mars. La critique est unanime : Lucy Mangan du Guardian la décrit comme « la chose la plus proche de la perfection télévisuelle depuis des décennies », tandis que la plateforme ultra-sélect Rotten Tomatoes lui attribue un score vertigineux de 99 %. Côté chiffres, c’est tout aussi impressionnant : avec 96,7 millions de vues en trois semaines, Adolescence s’impose comme la neuvième série anglophone la plus regardée de l’histoire de la plateforme. 

Déjà, d’un point de vue purement technique, le réalisateur Philip Barantini a fait appel à la technique du one shot, c’est-à-dire que les quatre épisodes, de plus de quarante minutes chacun, ont été filmés en un seul plan-séquence, avec une seule caméra. Cette forme cinématographique qui rejette la suture et ce maquillage qu’est le montage, leur préférant une composition in situ et une coïncidence entre temps du récit et temps de l’histoire, a toujours été conçue comme un pacte de vérité avec le téléspectateur. C’est aussi et surtout un exercice on ne peut plus périlleux, auquel s’étaient déjà pliés des maîtres comme Hitchcock (Rope, 1948), Welles (Touch of Evil, 1958), De Palma (Snake Eyes, 1998) ou Mendes (1917, 2019), et où Barantini excelle tout autant que ses prédécesseurs. Et c’est peut-être parce que dans la forme, son objet cinématographique est si dénué d’artifices, si dépourvu de tricherie qu’il se transforme en une sorte d’aimant qui absorbe le téléspectateur dans une histoire déjà troublante et saisissante. 

Un jeu d’acteur impressionant par le jeune Owen Cooper. Photo Netflix


Imiter les comportements occidentaux

Adolescence, c’est donc le récit en temps réel de la journée (puis des mois qui suivent) où un adolescent anglais de treize ans, Jamie Miller, est arrêté pour le meurtre de Katie Leonard, une camarade de classe. L’école s’affole, les parents s’effondrent, la famille se craquelle, la police interroge, la rumeur enfle. Derrière l’enquête, c’est surtout un portrait clinique de la jeunesse anglaise qui se dessine – garçons paumés, masculinités en crise et influence toxique de la « manosphère », ce monde souterrain, en ligne, où se croisent discours masculinistes, haine des femmes et fantasmes de revanche. Le mot « incel », contraction d’involuntary celibate (célibat involontaire), désigne en ce sens une communauté d’hommes persuadés d’être rejetés par les femmes et qui transforment cette frustration en idéologie violente consistant à détester la gent féminine et l’accuser de tous les maux possibles et imaginables. Jamie, dont on ne sait pas s’il comprend tous les codes de ce quasi-culte tant son jeu est nuancé, en mime pourtant les gestes et les mots. Campé par un Owen Cooper bouleversant de précision, son glissement vers la violence puis la criminalité est rendu avec une justesse physique, trouble, troublante. À ses côtés, Martin McCann, dans le rôle du père, incarne une virilité muette et vacillante, faite de colère rentrée et d’incapacité à aimer, qui contamine silencieusement le récit avec ce poison qu’est la masculinité toxique.

Dès sa sortie, la série a laissé à ce point une empreinte marquante qu’au Royaume-Uni, le Premier ministre Keir Starmer a proposé de la diffuser dans les écoles pour encourager un dialogue national sur ces questions. Mais l’onde de choc provoquée par la série s’est même étendue jusqu’au Liban, où Adolescence a occupé la première place du top 10 Netflix pendant 24 jours consécutifs, jusqu’au 6 avril 2025. Tant et si bien qu’on ne peut que se demander, et à juste titre, si les thèmes et les problématiques exposés dans la série concernaient également la jeunesse libanaise. 

Lire aussi

Pourquoi la série « Mouawiya », qui met en scène les débuts de l'islam, agite autant le monde arabe

« Dans le contexte libanais, bien que les données empiriques sur le phénomène incel soient encore limitées, les études indiquent que les adolescents sont fortement perméables aux contenus diffusés par les médias et les réseaux sociaux. Ils adoptent facilement des modèles de comportement et des systèmes de pensée véhiculés par les productions culturelles occidentales, notamment les films et les séries. Cette réceptivité est d’autant plus marquée que ces jeunes évoluent dans les complexités d’un pays où les repères d’autorité sont fragilisés et où l’insécurité structurelle constitue un facteur aggravant », nuance Nicolas Rizk (DESS) psychologue clinicien-psychothérapeute pour adolescents et adultes. Dans un pays où la misogynie est pourtant quasiment portée par la loi elle-même qui place les hommes et les femmes à des rangs différents, M. Rizk assure tout de même que « sur la base des statistiques cliniques et des cas que je rencontre en consultation, je ne pense pas que la misogynie, telle qu’elle se manifeste dans certains courants comme la “manosphère”, soit encore présente de manière marquée dans la société adolescente libanaise. Lorsqu’elle existe chez la jeunesse, elle semble relever de cas isolés, souvent liés à des parcours familiaux et personnels complexes. Il serait donc prématuré à ce stade d’en faire une tendance généralisable dans le contexte libanais ». 

Owen Cooper et derrière lui Stephen Grahams (gauche) dans le rôle du père et Ashley Walters, le détective. Photo Netflix


Un outil d’éveil pour les parents

Cela dit, la trame d’Adolescence ainsi que le parcours de Jamie sont aussi rythmés par le venin du harcèlement en ligne qui semble être monnaie courante, quelque chose de presque banal dans l’établissement où il fait ses classes. En ce qui concerne ce véritable fléau, Nicolas Rizk se montre plus inquiet quand il s’agit de la société adolescente libanaise : « Les statistiques montrent une progression préoccupante dans la société adolescente libanaise. Ce phénomène affecte de plus en plus les interactions entre jeunes, ainsi que la dynamique au sein des établissements scolaires, et ce quel que soit le milieu social. Plusieurs facteurs aggravent la situation : d’une part l’absence de programme de sensibilisation dans certaines écoles ; d’autre part le manque de formation des enseignants, souvent démunis face à de telles situations. Enfin, il ne faut pas négliger le poids du tabou au sein des familles libanaises, qui préfèrent bien souvent garder le silence, que leur enfant soit victime ou auteur de harcèlement. » 

Ce qui inquiète le psychanalyste, et particulièrement au sein la société libanaise, c’est le décalage entre la génération des adolescents d’aujourd’hui qui ont été biberonnés au numérique et celle de leurs parents qui s’y sont seulement familiarisés les dix dernières années de leur vie. Et d’expliquer, à ce propos : « Le numérique, dont l’omniprésence est aujourd’hui manifeste, constitue à la fois un levier d’intégration et un défi en matière d’égalité entre la génération native et la génération migrante. Cela étant, l’échelle de valeurs, les modes de communication et les représentations du monde diffèrent presque radicalement entre ces deux générations, rendant le dialogue intergénérationnel de plus en plus difficile. Dans ce contexte, il est essentiel que les parents développent leurs compétences en matière de technologies numériques, afin de pouvoir accompagner leurs enfants et adolescents. L’objectif est de favoriser une communication positive, d’instaurer une relation de confiance et de nourrir chez les jeunes un esprit critique capable de repérer les dangers et de s’en prémunir efficacement. » Nicolas Rizk estime que si la série Adolescence « met en lumière la facilité avec laquelle les adolescents peuvent être victimes, ou sinon au moins exposés à des contenus en ligne dangereux et à des idéologies radicales, elle devrait inciter les parents, les éducateurs et la société dans son ensemble à prendre conscience de l’impact des environnements numériques sur le comportement des jeunes et sur leur manière d’appréhender le monde. Elle plaide en faveur d’une communication ouverte, du développement de l’esprit critique et d’un encadrement bienveillant. En somme, elle appelle à un renforcement des efforts de sensibilisation pour mieux protéger les adolescents face à ces dérives ». 

Aux yeux du psychanalyste libanais, pour faire face au harcèlement en ligne, « il est impératif de mettre en place des programmes de sensibilisation à visée scolaire et éducative. Cela passe notamment par des interventions en milieu scolaire avec des associations spécialisées, ainsi que par des ateliers interactifs autour du respect en ligne, des fausses informations, des mécanismes de manipulation et des réseaux d’endoctrinement. Par ailleurs, une formation spécifique des enseignants et des encadrants est nécessaire afin de leur permettre d’identifier les signes de harcèlement numérique et d’intervenir rapidement auprès des élèves concernés ». 

La preuve qu’à notre époque, les productions télévisuelles dépassent plus que jamais auparavant leur simple fonction de divertissement. En plus d’être un miroir de notre époque, Adolescence promet en ce sens d’être un appel, un avertisseur et, espérons-le, le catalyseur d’un changement dans les sociétés d’adolescents minés par l’envers toxique des réseaux sociaux.

On peut dire sans trop s’avancer que tout le monde adore la minisérie Adolescence, diffusée par Netflix depuis la mi-mars. La critique est unanime : Lucy Mangan du Guardian la décrit comme « la chose la plus proche de la perfection télévisuelle depuis des décennies », tandis que la plateforme ultra-sélect Rotten Tomatoes lui attribue un score vertigineux de 99 %. Côté chiffres, c’est tout aussi impressionnant : avec 96,7 millions de vues en trois semaines, Adolescence s’impose comme la neuvième série anglophone la plus regardée de l’histoire de la plateforme. Déjà, d’un point de vue purement technique, le réalisateur Philip Barantini a fait appel à la technique du one shot, c’est-à-dire que les quatre épisodes, de plus de quarante minutes chacun, ont été filmés en un seul plan-séquence, avec une...
commentaires (1)

Vous pouvez aussi ne pas trop vous avancer… tout le monde n’aime pas cette mini série déjà…soit par ce que ce n’est pas leur goût cinématographique soit ils n’en ont jamais entendu parler malgré leur connection assidue sur netflix. Faut pas généraliser mon cher… ;). ;)

LE FRANCOPHONE

15 h 24, le 15 avril 2025

Commenter Tous les commentaires

Commentaires (1)

  • Vous pouvez aussi ne pas trop vous avancer… tout le monde n’aime pas cette mini série déjà…soit par ce que ce n’est pas leur goût cinématographique soit ils n’en ont jamais entendu parler malgré leur connection assidue sur netflix. Faut pas généraliser mon cher… ;). ;)

    LE FRANCOPHONE

    15 h 24, le 15 avril 2025

Retour en haut