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Culture - Théâtre

« Leila, Latifa, Chimamanda », dernier cri féministe en date de Lina Abyad à la LAU

Sur les planches de l’Irwin Hall de la Lebanese American University, les histoires et les combats de trois femmes à trois époques différentes.

« Leila, Latifa, Chimamanda », dernier cri féministe en date de Lina Abyad à la LAU

Les portraits de Chimamanda, Latifa et Leila sur l’affiche de la pièce éponyme de Lina Abyad. Photo DR

Du drame au vaudeville en passant par le théâtre intimiste, Lina Abyad aura égrené tous les registres de la dramaturgie depuis que son nom fait office de gage de qualité dans le paysage culturel libanais. Avec plus de 40 pièces en plusieurs langues à son actif, des festivals, des rôles qu’elle a endossés jusqu’à l’enseignement, cette femme dont l’énergie se décuple sans cesse a toujours embrassé entre autres la cause des femmes. Cet engagement est le parti pris de sa dernière pièce, Leila, Latifa, Chimamanda, qui démarre sur les planches de l’Irwin Hall de la LAU le 29 janvier. Ce projet a pris forme à la demande de l’Institut arabe des femmes (AIW) de la LAU qui, depuis sa création en 1973, s’est imposé comme un acteur majeur dans la promotion de l’égalité des sexes et tisse des liens entre recherche académique et militantisme. À l’aube de son 50ᵉ anniversaire, en partenariat avec le PNUD, ONU Femmes et avec le soutien du gouvernement du Canada, cette production, qui s’inscrit dans l’initiative « Femmes et leadership », entend réaffirmer la mission de l’institut : d’une part amplifier les voix des femmes qui, par leurs engagements, ont marqué l’histoire et inspiré le changement et, d’autre part, célébrer l’héritage littéraire et féministe de trois figures emblématiques : Leila Baalbaki, Latifa el-Zayyat et Chimamanda Ngozi Adichie. 

La metteuse en scène et dramaturge Lina Abyad. Photo Maya Alameddine


3 auteures, 3 combats similaires, 3 époques distinctes

Leila, Latifa, Chimamanda est cette pièce que Lina Abyad a imaginée à partir de 3 textes qu’elle considère comme fondateurs parmi les écrits de ces auteures féministes qui ont bousculé les codes. Trois textes qu’elle confie à 3 actrices qui, tour à tour, les lisent et les jouent. Ces trois écrivaines, bien qu’appartenant à des époques différentes, incarnent chacune une étape-clé de l’évolution des luttes féministes et de la littérature engagée, que ce soit au Liban, en Égypte ou à l’échelle internationale. 

 Jana Abi Ghosn incarne l’auteure libanaise Leila Baalbaki. Photo DR


Leila Baalbaki (1936-2023), incarnée par Jana Abi Ghosn, est une figure majeure de la littérature libanaise. Dans Ana Ahya, qu’elle écrit à 20 ans, elle évoque une étudiante à l’Université américaine de Beyrouth (AUB) qui a aussi 20 ans. Elle y communique avec ses parents et des jeunes gens qu’elle côtoie. Elle y traduit également une volonté de briser les tabous sociaux ainsi que de remettre en question les normes patriarcales dans une époque marquée par d’importants bouleversements sociaux et politiques dans le monde arabe. Elle a été une voix précurseure pour les femmes dans une période où leurs droits étaient encore particulièrement limités. Pour Lina Abyad, ses textes sont bouleversants car ils relatent sa relation avec un père extrêmement autoritaire, la relation de ce père avec sa mère et son propre lien avec ce jeune homme qu’elle a rencontré et qui lui demande pourquoi elle ne veut pas se marier. Elle évoque même le viol domestique, ce qui en 1960 est totalement impensable. 

Greta Aoun dans le rôle de Latifa al-Zayyat. Photo DR


Latifa el-Zayyat (1923-1996), campée par Greta Aoun, a pour sa part vécu et écrit durant la seconde moitié du XXe siècle, un moment charnière pour l’Égypte, marqué par la lutte contre la colonisation britannique, la montée du nationalisme arabe et les transformations sociales sous le régime de Gamal Abdel Nasser. Sa publication d’Awrak Shakhseya s’inscrit dans une époque où les débats sur le rôle des femmes dans la société égyptienne se multipliaient. « Nous l’avons placée dans la pièce autour de ses 60 ans. C’est une femme qui a fait de la prison deux fois, s’est mariée deux fois et a divorcé deux fois. Elle va parler de ce parcours de vie à un âge plus mûr et aborder la question sexuelle ouvertement en endossant la responsabilité de ses malheurs parce qu’elle a fait le choix de rester. C’est cette lucidité qui m’a interpellée », confie Lina Abyad en rappelant que c’est au moment de rentrer en prison que Latifa décrète être une femme libre. « Parce qu’on est libre en prison ou ailleurs quand on fait des choix, je trouve cela extraordinaire », s’exclame la metteuse en scène en soulignant par ailleurs le rapport étroit de Latifa el-Zayyat à la politique, la Palestine et le monde arabe, reflétant les aspirations progressistes de son époque.

 Lama el-Amine incarne l’auteure nigériane Chimamanda Ngozi Adichie. Photo DR


Chimamanda Ngozi Adichie, née en 1977, quant à elle, est une voix contemporaine nigériane plus simple, dont les œuvres s’inscrivent principalement dans les années 2000 et au-delà. Elle écrit dans un contexte de mondialisation, où les récits africains gagnent une place importante sur la scène internationale. Dans son texte Dear Ijeawele or a Feminist Manifesto in Fifteen Suggestions, elle s’adresse à son amie qui vient d’accoucher et qui lui demande conseil pour élever sa fille afin qu’elle devienne féministe. Chimamanda lui répond de manière très sérieuse mais pratique et en 15 points, pour que sa fille grandisse en ayant confiance en elle et en son rapport à son corps et aux hommes, qu’elle soit indépendante et qu’elle accepte l’autre dans toute sa diversité. « On a la chance d’avoir une comédienne noire, Lama el-Amine, qui campe ce rôle », dit Lina Abyad. Pour Chimamanda, tout le monde doit être féministe sans pour autant perdre sa féminité. Elle a d’ailleurs fait une campagne avec Christian Dior sur ce thème. Ses écrits reflètent les préoccupations actuelles concernant l’égalité des sexes, l’identité postcoloniale et les migrations. Elle est aussi le témoin d’une époque où le féminisme est repensé et partagé à l’échelle mondiale, notamment grâce aux médias numériques.

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Pour la première, Lina a imaginé cette femme issue d’un milieu aisé dans sa chambre à coucher pendue au téléphone en train d’échanger avec sa copine sur des thèmes intimes. Pour Latifa, elle a créé une émission de télévision où elle est interviewée après la publication de son livre. Enfin, pour Chimamanda Ngozi Adichie, qui a donné de nombreuses conférences et fait beaucoup de discours un peu partout dans le monde, elle a mis en place une sorte de TED Talk (technology, entertainment, design) où Chimamanda rentre en dansant sur un air de Beyoncé qui la cite dans son clip Flawless.

Leila, Latifa, Chimamanda est une pièce résolument engagée et ancrée dans un combat féministe qui doit encore remporter de nombreuses batailles et une lutte pour la diversité « à laquelle notre société doit impérativement être confrontée », insiste Lina Abyad. Un appel à repenser les notions de justice et de progrès dans un monde en quête d’égalité.

« Leila, Latifa, Chimamanda » à l’Irwin Hall de la LAU du 29 au 31 janvier à 20h30. Entrée libre sur réservation. 

Du drame au vaudeville en passant par le théâtre intimiste, Lina Abyad aura égrené tous les registres de la dramaturgie depuis que son nom fait office de gage de qualité dans le paysage culturel libanais. Avec plus de 40 pièces en plusieurs langues à son actif, des festivals, des rôles qu’elle a endossés jusqu’à l’enseignement, cette femme dont l’énergie se décuple sans cesse...
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