
Des fouilles essentielles qui ont permis des découvertes exceptionnelles. Photo Ministère de la Culture / Direction Générale des Antiquités / Musée du Louvre / Département des Antiquités orientales
Cette découverte funéraire est la plus importante depuis un siècle. Dans la cité plurimillénaire de Byblos, classée en 1984 au patrimoine mondial de l’Unesco, une équipe d’archéologues libano-français dirigés par Tania Zaven, directrice du site et rattachée à la Direction générale des antiquités (DGA), ainsi que Julien Chanteau du musée du Louvre, a réussi à mettre au jour une vaste nécropole souterraine vieille de 3 800 ans. Elle n’avait pas été identifiée lors des campagnes de fouilles des 19e et 20e siècles menées par les missions scientifiques françaises d’Ernest Renan en 1860, de Pierre Montet (de 1921 à 1924), et de Maurice Dunand (de 1926 à 1975). Enfouie au sud de la cité à l’aplomb des remparts, dissimulée du regard des pilleurs, elle est restée miraculeusement intacte.
Malgré son âge, cette jarre du Bronze Moyen est restée intacte. Photo Ministère de la Culture / Direction Générale des Antiquités / Musée du Louvre / Département des Antiquités orientales
La piste des archéologues
Dans le cadre du programme de recherches archéologiques intitulé « Byblos et la mer » codirigé par Martine Francis-Allouche et Nicolas Grimal en 2018, Julien Chanteau reprend l’étude de la zone sud de l’acropole pour analyser la relation entre la ville haute et le port antique localisé au piémont sud du promontoire. Il émet alors l’hypothèse qu’un passage situé au sud de l’acropole, interprété autrefois par Maurice Dunand comme une poterne, c’est-à-dire une petite porte discrètement aménagée dans le rempart pour des impératifs militaires, correspondrait à l’une des portes urbaines de la cité menant au port antique.
Pour vérifier cette hypothèse, l’opération de nettoyage de la zone sud est lancée, sous la supervision de la Direction générale des antiquités. Elle révèlera la présence de fosses remplies de moellons et de terre, qui une fois vidées ont donné accès à un véritable labyrinthe funéraire. « Une nécropole intacte, composée de plusieurs hypogées structurés en étages souterrains et reliés entre eux par des passages. Elle est unique pour la période de l’âge du bronze, et n’a son équivalent nul part au Liban et au Proche-Orient », affirment Tania Zaven et Julien Chanteau. Sous la houlette de la DGA et du département des antiquités orientales du musée du Louvre, la fouille est entamée dès 2019.
Détail du pectoral élaboré par des orfèvres égyptiens. Photo Ministère de la Culture / Direction Générale des Antiquités / Musée du Louvre / Département des Antiquités orientales
Les reliques d’une élite
Gisant à une profondeur allant de quatre à 15 mètres, et présentant une surface entre dix mètres et 65 mètres carrés, les tombes ont livré « un matériel abondant particulièrement bien conservé », signale Tania Zaven, citant un pectoral élaboré par des orfèvres égyptiens, un pendentif orné de pierres semi-précieuses, des amulettes, des objets de parure, et de nombreux scarabées en stéatites et en améthystes. « Ces découvertes relèvent d’un véritable miracle, dit-elle. Les tombes restées intactes depuis l’Antiquité sont rares et d’autant plus extraordinaires que Byblos n’a cessé d’être habitée et que le site archéologique a été extensivement fouillé. »
Mais c’est la céramique qui y tient quantitativement la plus grande place. « Un nombre considérable de jarres, cruches, assiettes, coupelles et autre vaisselle des rites funéraires ont été mises au jour. Pour exemple, un hypogée a livré à lui seul plusieurs centaines de céramiques », relève l’archéologue et chercheuse Claude Doumit Serhal. « Parmi ces artefacts, un seul est importé d’Égypte, tout le reste est une imitation provenant des ateliers locaux de Byblos. On les trouve rarement ailleurs au Liban. » Quant à la peinture de certains récipients, elle est soit de type « Levantine Painted Ware », avec des cercles concentriques rouge et noir. Soit dans le style dit céramique syro-cilicienne. La grande caractéristique de Byblos est toutefois l’adjonction de la couleur blanche et les différents modèles du motif de l’œil sur la lèvre des cruches qui reflètent l’imagination créatrice du potier. « Ces objets qui n’ont quasiment subi aucun dommage malgré leur âge, témoignent de la richesse de leur propriétaire, membres probablement de l’élite de la société », dit Claude Serhal.
Conservés depuis quatre millénaires dans un contexte extrêmement humide, il a fallu les remonter à la surface dans du linge pour les maintenir dans des conditions appropriées jusqu’au laboratoire. Là, la céramique sèche progressivement et s’acclimate à la température ambiante.
La panoplie du guerrier
Mais les difficultés ne viennent pas uniquement de l’humidité, fait observer Joyce Nassar, archéo-anthropologue membre de l’équipe des fouilles et chercheuse à l’IFPO. Les rats sévissent dans ce sous-sol attrayant ! En passant au tamis le contenu d’une céramique, Nathalie Hanna, restauratrice d’objets archéologiques, découvre tout un amas de plastique et une spatule made in France. Dans d’autres, un bouton de chemise, des bouts de tissu, de la mousse. Les fragments d’un plat sont dispersés dans différents recoins. Les rongeurs causent tellement de dégâts que les archéologues ont décidé d’étudier leur présence en plaçant des caméras infrarouges dans une des tombes. Ils découvrent alors les rats qui se baladent sur les jarres, dans lesquelles ils établissent leur nid et y déposent leur récolte.
Datant de 3800 ans, cette cruche décorée n'a subi aucun dommage. Photo Ministère de la Culture / Direction Générale des Antiquités / Musée du Louvre / Département des Antiquités orientales
Dans ces hypogées scellés, utilisés uniquement au bronze moyen, apparaissent les ossements d’adultes et d’enfants sous les sédiments accumulés pendant des millénaires. À leurs côtés, plusieurs lames en bronze, simples ou élaborées, ont été exhumées. Selon Ziad el-Murr, spécialiste en archéo-métallurgie, les hommes du bronze moyen étaient enterrés avec leur panoplie de guerrier, une hache fenestrée, une grande pointe de lance (à douille) et un poignard. Les couteaux sont associés aux sépultures des femmes. Les petites pointes de lance, aux tombes d’enfants. « Ces outils ne comportent aucune usure. Ce sont des objets symboliques conçus uniquement pour accompagner les défunts dans l’au-delà », raconte le spécialiste.
Ces défunts constituaient « l’élite supérieure urbaine », selon Tania Zaven. Dès lors, pourquoi leurs tombes se trouvent-elles aux limites extérieures de la cité, et non sous le sol de la cité sacrée de l’Acropole ? Julien Chanteau explique que « pendant plusieurs millénaires, l’agglomération de Byblos était un village qui s’est développé sur le promontoire. Les archéologues du siècle passé ont découvert plus de 2 000 tombes dans lesquelles les morts étaient inhumés dans des jarres ou des fosses. A cette époque, il n’y avait pas vraiment de nécropole, c’est-à-dire pas de séparation entre l’espace des vivants et des morts. On enterrait les morts à côté des maisons ou sous les maisons. Tout change quand la ville est fondée vers 2800 avant notre ère. Le promontoire, qui auparavant accueillait un village, va désormais être l’Acropole de Byblos c’est-à-dire la ville haute, autrement dit un territoire sacré, où seuls les rois et les membres de leur famille sont inhumés ».
Il y’a plus de notre identité dans cette nécropole enfouie que dans le millénaire de perdition nationale que le Liban vient de connaître.
18 h 08, le 28 janvier 2025