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Culture - Cinéma

« Le Quatrième Mur » : adaptation plutôt réussie d’un livre contrariant sur le Liban

Mercredi dernier est sorti sur les écrans français « Le Quatrième Mur » de David Oelhoffen, une adaptation du roman de Sorj Chalandon dont l’intrigue se passe à Beyrouth.

« Le Quatrième Mur » : adaptation plutôt réussie d’un livre contrariant sur le Liban

Laurent Lafitte se fond parfaitement dans le rôle de Georges dans « Le Quatrième Mur ». Photo affiche du film

Le roman Le Quatrième Mur (éd. Grasset), sorti en 2013, avait rencontré un franc succès. Il  a été couronné du prix Goncourt des Lycées ainsi que du premier prix Goncourt/Choix de L'Orient. Sorj Chalandon, ancien journaliste à Libération, revenait sur le Beyrouth qu’il avait connu en tant que reporter de guerre pour y imaginer une fiction. L’histoire d’un Français, Georges, envoyé dans le Liban des années 1980 par son ami Samuel Akounis, metteur en scène grec, juif et pacifiste, pour poursuivre une entreprise que sa maladie l’empêche de réaliser : réconcilier les différentes communautés libanaises en faisant jouer l’Antigone d’Anouilh, représentation où les différents rôles seraient interprétés par des comédiens de chaque confession et qui ferait pour un temps halte à la guerre. Ne faisons pas de mystère : le livre de Chalandon nous avait agacé par son côté moralisateur et la mise en images d’un sauveur blanc venu pacifier le Moyen-Orient faisait craindre le pire. Mais non, David Oelhoffen livre une adaptation réussie du livre, qui arrive à en retirer de nombreuses lourdeurs… sans toutefois parvenir à totalement se départir d’une perspective orientaliste qu’il serait temps d’interroger. 

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Une transposition réussie portée par un casting sans faute

Comme nous l’explique le réalisateur rencontré cet été à la suite de l’avant-première du film au Festival d’Angoulême, son adaptation interroge « la possibilité de changer le monde à travers l’art », non pas de manière naïve, mais en soulignant l’importance de l’utopie comme moyen d’alimenter l’espoir. La question du pouvoir de l’art est alors posée de manière performative et réflexive par l’action même d’adaptation : ce n’est pas uniquement la transposition d’un livre à l’écran, mais plus que cela, l’adaptation d’un livre sur une pièce de théâtre montée pendant la guerre en un film lui-même tourné à Beyrouth pendant la crise – et à la veille d’une nouvelle guerre. Le passage des mots à l’image animée est évidemment d’un grand intérêt pour rendre compte de la pièce : là où la littérature peut expliquer le texte et raconter le jeu, le cinéma peut l’animer, le rendre vivant. Et David Oelhoffen a su tirer parti de ce changement de régime par des choix astucieux.

Ainsi, alors que dans le livre, Georges écrit dans un carnet pour raconter le travail avec les acteurs à Sam – l’instigateur de la pièce resté à Paris –, il le fait dans le film en les enregistrant sur des cassettes, mise en abyme qui raconte ses liens aux différents personnages rien que par sa manière de les filmer. La tendresse des plans dit par exemple son amour naissant pour Imane, l’interprète d’Antigone, c’est simple mais efficace. Tout cela doit aussi au casting impeccable du film. Laurent Lafitte se fond parfaitement dans le rôle de Georges, y compris dans sa direction d’acteurs lors des scènes de répétition qui sont parfaitement crédibles. Une réussite sans doute pas étrangère au fait d’avoir choisi un pensionnaire de la Comédie-Française pour interpréter ce rôle. Les autres acteurs, libanais, jouent tous avec une grande justesse, qui permet d’ailleurs d’atténuer la pompe de certaines phrases du livre à « effets », comme lorsque le fixeur Marwan (interprété par Simon Abkarian) explique à Georges sous le hurlement des balles que « c’est le Liban qui tire sur le Liban ». Il faut aussi saluer la performance vive et généreuse de Manal Issa qui, même avec un texte amputé de ses plus belles répliques, arrive à incarner dans le rôle d’Imane la dignité inaliénable du peuple palestinien, mais également Tarek Yaacoub qui interprète un touchant Nakad et Nasri Sayegh qui réussit dans le rôle du milicien Joseph Boutros à rendre la folie meurtrière de la guerre tout en restant humain. 

Pudeur et correction(s) appréciées

Il s’agit donc d’une véritable adaptation, à la fois fidèle au livre que l’on retrouve sans mal tout en se démarquant par différents partis pris. Le film est porté par un vrai travail sur le texte et ses possibles transformations. Dans le roman de Chalandon, la première partie était consacrée à la jeunesse militante de Georges au sein de la gauche radicale à Paris. Un itinéraire inspiré des propres combats de l’auteur, qui en est ensuite revenu et sur lesquels il porte un regard souvent moralisateur, cherchant moins à questionner le romantisme de l’engagement qu’à le décrédibiliser de manière systématique par une ironie peu subtile comme lors de la scène où des militants propalestiniens taguent un drapeau… peint à l’envers. Délesté de cette première partie, le film en ressort plus léger. Cela est aussi dû à une réécriture du personnage de Samuel qui apparaît davantage comme un homme faillible et non plus l’incarnation absolue de la sagesse à même de regarder de haut les agitations militantes. À cette modestie du film s’ajoutent des corrections bienvenues : on pouvait avoir dans le livre l’impression que Chalandon confondait Beyrouth et Téhéran lorsqu’il décrivait le personnage d’Imane, la jeune enseignante palestinienne, voilée et vêtue d’une robe noire, ce qui n’était pas vraiment la mode vestimentaire du début des années 1980. La découvrir en jean et t-shirt semble un peu moins surfait. Le film se démarque aussi par des partis pris esthétiques réussis, comme lors de la difficile scène du massacre de Sabra et Chatila, pas voyeuriste mais filmée pudiquement, sans gros plan exposant les victimes, en silence, avec seulement le bruit sourd de la commotion ressentie face à un tel carnage. David Oelhoffen nous a expliqué avoir voulu à tout prix éviter d’en faire une scène d’éclat : « J’ai essayé de faire en sorte que ce soit homogène avec le reste du film, qu’il n’y ait pas de traitement particulier. J’essaie toujours dans les scènes de guerre de ne pas accélérer le découpage. Ce que j’ai senti avec Sabra et Chatila, c’est qu’il fallait le découper le moins possible, moins le fabriquer, faire le moins de cinéma possible. Toute la traversée du camp a lieu en deux plans. » Il faut louer chez le réalisateur sa capacité à faire de l’intense sans spectaculaire, par un montage travaillé et une construction des plans où chaque personnage est saillant. 

La scène de la répétition dans « Le Quatrième Mur » de David Oelhoffen. Photo DR

Eurocentrisme et apolitisme de l’humanisme universel

Mais il y a un mais. Que certains choix cités plus tôt se justifient tout simplement par l’économie cinématographique – qui a par exemple besoin d’une architecture narrative homogène qui rendait difficile la division en deux parties du roman –, d’accord. Mais le réalisateur prend bien soin de préciser que son film n’est pas politique. « J’espère que les gens vont sentir que je n’ai pas de point de vue militant sur cette guerre (…) ce n’est pas une condamnation de la politique étrangère d’Israël dans les années 1980 », nous explique-t-il. Vouloir se concentrer sur autre chose qu’un discours politique s’entend bien évidemment, mais peut-on réellement, lorsque l’on traite d’une guerre et surtout d’un véritable massacre, faire totalement l’économie d’une généalogie de la violence ? Peut-on éthiquement cantonner celle-ci à « une espèce de violence sans fin, éternelle », qui n’aurait pas d’ancrage géopolitique ? En vendant la séduisante (et théâtrale) dimension mythique du conflit fratricide qui minimise l’implication directe d’un pays étranger, Israël, alors que le film se focalise spécifiquement sur l’année 1982 ? S’il n’est pas évident de répondre à cette question, il reste néanmoins possible de condamner dans sa continuité l’eurocentrisme du regard qui est intrinsèque au sujet du livre et dont le film ne parvient pas à se défaire. 

Le Quatrième Mur reste l’histoire d’une belle âme blanche qui, dégoulinante d’humanisme sacerdotal, s’en va pacifier le Moyen-Orient grâce à sa culture. L’appui maladroit et constant sur la judéité de Samuel vient renforcer le malaise, en voulant sans ironie faire réconcilier Libanais chrétiens et musulmans par un « sioniste resté propalestinien » (on appréciera le concept !). Ce n’est pas juste la barbe qui donne à son envoyé Georges un côté messianique. Conciliateur bienveillant, il est en surplomb, souvent même visuellement comme dans la scène de répétition. Une leçon de vivre-ensemble qui semble déplacée et dépassée.

Le roman Le Quatrième Mur (éd. Grasset), sorti en 2013, avait rencontré un franc succès. Il  a été couronné du prix Goncourt des Lycées ainsi que du premier prix Goncourt/Choix de L'Orient. Sorj Chalandon, ancien journaliste à Libération, revenait sur le Beyrouth qu’il avait connu en tant que reporter de guerre pour y imaginer une fiction. L’histoire d’un Français, Georges,...
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