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Culture - Sortir à Paris

Les années parisiennes d’Huguette Caland, entre érotisme et humour

Dans la capitale française, la galerie Mennour, qui représente l’estate de l’artiste depuis juin 2014, consacre une rétrospective à sa période prolifique et féconde passée à Paris entre 1970 et 1987, au cours de laquelle Huguette Caland aura non seulement donné naissance à son érotisme mâtiné d’humour mais aussi aura explosé les proportions de ses toiles.

Les années parisiennes d’Huguette Caland, entre érotisme et humour

L'artiste libanaise Huguette Caland durant ses années parisiennes entre 1970 et 1987. Photo Jacques Prayer

Huguette Caland avait cela d’unique qu’avant de poser sur les autres et sur le monde son regard rempli de malice et de subversion, c’est elle-même qu’elle aimait tourner en dérision. À propos de ses kilos en plus, elle disait en ce sens : « C’est mon excédent de bagages. » Sauf que pour connaître son œuvre si bien, on aurait tendance à dire que ce poids de trop était plutôt un excédent de liberté, qu’elle portait en elle comme un prolongement de sa personne. Imaginez en 1970, la fille de Béchara el-Khoury, premier président libanais d’après l’indépendance, la nièce de Michel Chiha, homme politique et écrivain libanais, et surtout la mère de trois enfants, qui décide, comme ça, de laisser tout cela derrière elle au Liban et d’aller s’installer à Paris. À l’époque, Huguette Caland ne veut plus être assignée au rôle fille de, femme de, mère de. Elle veut s’affranchir de tous ces codes, pour suivre son étoile et s’inventer une seconde vie parisienne.

C’est donc cette période de sa vie, une phase profondément prolifique de son parcours, qui est cartographiée à la faveur de l’exposition Huguette Caland, les années parisiennes (1970-1987) à la galerie Mennour jusqu'au 25 janvier 2025 à Paris (47 rue Saint-André-des-Arts, Paris 6e), et plus précisément à travers un ensemble de près de cinquante œuvres historiques, dont vingt-quatre peintures — parmi lesquelles des œuvres de son emblématique série des Bribes de corps des années 1970 — ainsi que dix-neuf œuvres sur papier et deux kaftans nés de sa collaboration avec le couturier Pierre Cardin. Si, en juin 2024, la galerie Mennour annonçait la représentation de l’estate de Caland, cet événement inédit en France n’est que le premier d’une série de grandes expositions en Europe et aux États-Unis, dont une rétrospective majeure prévue au Museo Reina Sofía de Madrid pour février 2025.

Des documents d'archives de l'estate d'Huguette Caland exposés à la galerie Mennour à Paris. Avec l'aimable autorisation de l'artiste et de la galerie Mennour

Le corps au cœur d’une œuvre

Si les années parisiennes d’Huguette Caland ont été à ce point fécondes, et font en ce sens l’objet de cette rétrospective, c’est parce que durant cette phase, la peintre y aura non seulement fait des rencontres marquantes, mais elle y aura surtout déployé sur ses toiles toute la sensualité tramée d’humour qui ont conféré à son œuvre son caractère si unique. C’est d’ailleurs depuis Paris qu’elle disait en 1973 : « L’érotisme est chose abstraite. Le regard, lui, crée le climat », une phrase dont on peut dire aujourd’hui qu’elle a été presque comme le fondement de sa série Bribes de corps également réalisée dans la capitale française. Revoir ce travail aujourd’hui, sur les cimaises de la galerie Mennour, c’est comme à chaque fois inviter le regard à découvrir une nouvelle lecture, une nouvelle ambivalence, une nouvelle ambiguïté. Sur ces toiles déjà présentées dans les musées les plus prestigieux de ce monde, on a justement l’impression de marcher sur un fil ténu entre une forme de sensualité, tramée par des entrelacs de courbes, et quelque chose de fondamentalement décalé, rythmé par des laves de couleurs pop. Les Bribes de corps de Caland se placent précisément dans ce point de rencontre entre absence et présence, entre le corps qui dévore tout l’espace, de coin en coin, jusqu’à presque s’effacer.

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Car même en semblant disparaître, la magie de Caland fait que ses Bribes de corps révèlent toutes leurs intimités, leurs moindres vibrations. Devant ses toiles, nous sommes à la fois au cœur de ses corps, et ses corps sont au cœur d’une coulée de couleurs qui les avalent. Et c’est exactement dans ce jeu d’ombre et de lumière, exactement entre cette affirmation du corps et son effacement, que Caland aura en fait proposé sa propre réinvention du corps, tout en interrogeant des questions comme celles du genre et de la sexualité féminine. Cette sorte de mise en scène assumée retrouvera son écho dans la série de caftans que l’artiste réalisera pour Pierre Cardin en 1978, dont l’un est exposé chez Mennour et qu’elle décrivait de la sorte : « Ça me permet de vivre ma vie de femme en faisant abstraction de mon corps, de l’assumer et le reconstruire en trouvant un autre type de séduction, hors la norme. » Cette collaboration entre Caland et Cardin s’amorce également à Paris lorsque le grand couturier, totalement émerveillé par les caftans que l’artiste libanaise portait, l’invite à en créer une série couture qui sera exposée à l’espace Cardin en 1979.

Vues de l’exposition « Huguette Caland, les années parisiennes (1970-1987) » , commissariée par Sylvie Patry assistée de Léo Rivaud Chevaillier, Mennour, 2024 © Huguette Caland.
 Avec l'aimable autorisation de l'artiste et de la galerie Mennour

Des formats monumentaux

Par-delà ce qui sera décrit tour à tour par les critiques d’art comme une abstraction corporelle ou une abstraction érotique, les années parisiennes d’Huguette Caland sont celles des rencontres dont chacune agira comme un tournant dans sa carrière. À Paris, Caland traîne dans le milieu littéraire parisien, notamment avec son amie la poétesse Vénus Khoury-Ghata qui lui présente Alain Bosquet, initiateur avec Juliette Darle de ce qu’on désigne à l’époque avec le terme poésie murale. Profondément marquée par cette rencontre, Caland se met à réaliser des dessins qui agissent comme des sortes de dialogues avec les poèmes de Bosquet mais aussi avec ceux d’Andrée Chédid et de Salah Stétié. Mais le réel virage s’opère au début des années 80 lorsqu’en 81, Huguette Caland fait un séjour avec son compagnon de l’époque, le sculpteur roumain George Apostu, dans le Limousin où elle peint de nouvelles séries, Granite et Limousin, presque jamais montrées en France.

Certes, la peintre s’était déjà pliée à l’exercice du format monumental, lorsqu’elle réalise une composition de plus de dix mètres présentés à la fête de l’Humanité en 1971, mais c’est après ce passage dans le Limousin qu’elle explosera les proportions de ses toiles. On pense notamment aux chefs-d’œuvre des Espaces blancs, récemment mis à l’honneur au Musée d’art moderne de Paris, et sa série de Ligaments, montrés pour la première fois à l’Unesco en 1985, et dont deux toiles figurent dans l’exposition actuelle à Paris. On y voit des étendues de blancs où courent, en s’entrelaçant, des formes à la poésie surréaliste dont seule Caland a le secret.

Une œuvre d'Huguette Caland réalisée avec le poète Salah Stétié entre 1978 et 1985. Avec l'aimable autorisation de l'artiste et de la galerie Mennour

Et comme à chaque fois que l’on redécouvre l’œuvre d’Huguette Caland, on ressort de la galerie Mennour avec ce même sentiment, cette même impression. Celle d’avoir été confrontée à la magie d’une artiste funambule, profondément libre, qui a puisé dans l’humour, érotisme, extravagance, poésie, subtilité et fantaisie, dans tout ce désordre, mais en réussissant pourtant à créer une œuvre à l’harmonie et la puissance inimitables.

Huguette Caland avait cela d’unique qu’avant de poser sur les autres et sur le monde son regard rempli de malice et de subversion, c’est elle-même qu’elle aimait tourner en dérision. À propos de ses kilos en plus, elle disait en ce sens : « C’est mon excédent de bagages. » Sauf que pour connaître son œuvre si bien, on aurait tendance à dire que ce poids de trop était plutôt un excédent de liberté, qu’elle portait en elle comme un prolongement de sa personne. Imaginez en 1970, la fille de Béchara el-Khoury, premier président libanais d’après l’indépendance, la nièce de Michel Chiha, homme politique et écrivain libanais, et surtout la mère de trois enfants, qui décide, comme ça, de laisser tout cela derrière elle au Liban et d’aller s’installer à Paris. À l’époque, Huguette Caland ne veut...
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Je n ai jamais aimé ses œuvres, mais toujours admiré son “free spirit”. Me souvient d elle dans sa belle maison à Kaslik où elle cohabitait avec un certain Moustafa ( Anne’s )0 mind you) Enfants champions de natation

Zampano

02 h 33, le 19 décembre 2024

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Commentaires (1)

  • Je n ai jamais aimé ses œuvres, mais toujours admiré son “free spirit”. Me souvient d elle dans sa belle maison à Kaslik où elle cohabitait avec un certain Moustafa ( Anne’s )0 mind you) Enfants champions de natation

    Zampano

    02 h 33, le 19 décembre 2024

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