Jacques Réda, ancien rédacteur en chef de la Nouvelle Revue française décédé lundi à l’âge de 95 ans, féru de jazz et de vélo, a compté parmi les grands poètes lyriques de son époque. Son œuvre – abondante et très accessible – lui a valu des distinctions prestigieuses, comme le Grand Prix de la poésie de l’Académie française (1997) et le Goncourt de la poésie pour La Course (1999).
Écrivain flâneur, il chante les beautés de Paris, de la banlieue et des chemins de traverse, notamment dans Les ruines de Paris (1977), l’un de ses recueils de prose poétique les plus aboutis.
À 94 ans, il chantait encore les tilleuls de Port-Royal ou les merles parisiens dans Leçons de l’arbre et du vent (2023).
Avec Recommandations aux promeneurs (1988) ou Le sens de la marche (1990), il décrit ses promenades dans la capitale et sa prédilection pour les quartiers oubliés, les terrains vagues mais aussi les gares et les petites villes de province qu’il gagne à vélo ou en Solex au terme de modestes mésaventures.
Mais la simplicité bucolique de ses écrits – une ode au linge qui sèche, à l’araignée qui court sur une feuille blanche, au garagiste accoudé à un bar de Belleville – n’est qu’apparente.
À l’angoisse du caractère éphémère de la vie, Jacques Réda répond dans la langue d’hier, renouant avec la grande tradition du rythme et de la rime, un temps délaissée par la poésie française.
« Qui se soucie encore du e muet, mâché ou sonore, de l’alternance des rimes masculines et féminines, du hiatus et de la diérèse ? » lance-t-il, ironique, dans ses réflexions sur la poésie consignées en 1986 dans Celle qui vient à pas légers.
« Le désespoir n’existe pas pour l’homme qui marche », écrit le poète tendre et rude, « un peu timbré, trop sensible », qui se décrit comme un pigeon dans Toutes sortes de gens (2007), pendant ironique à l’altier albatros de Baudelaire.
« Toxicomanie musicale »
Le 24 janvier 1929, Jacques Réda voit le jour à Lunéville en Lorraine dans une ancienne maison-atelier qui sent le caoutchouc. Dans Aller aux mirabelles (1991), l’homme à la stature carrée et aux yeux bleus revisite l’ancien magasin de son grand-père originaire du Piémont, qui y fabriquait des vélos Réda jusqu’à la Première Guerre mondiale.
Dans cette ville de garnison, les fanfares lui ouvrent l’oreille à la musique, puis c’est au tour du plain-chant entendu dans un collège jésuite d’Évreux où il fait ses études pendant la guerre. En 1944, il découvre à la radio le jazz, seule musique « faite pour son cœur et ses nerfs ».
Après des études inachevées de droit, il s’installe à Paris en 1953 et exerce toute sorte de métiers administratifs avant de devenir lecteur chez Gallimard en 1978. Il rejoint le comité de lecture de la prestigieuse maison d’édition en 1983, puis est choisi comme rédacteur en chef de la Nouvelle Revue française (NRF) de 1987 à 1995.
Il estime avoir fait entrer davantage d’auteurs provinciaux et de poètes dans les colonnes de cette revue de référence fondée par Gide en 1909.
Chroniqueur érudit, il collabore pendant plus de 50 ans à Jazz magazine. Il confesse dans Le Monde en 2017 « une toxicomanie musicale » et une « passion pour le battement ».
Dans Une civilisation du rythme (2017), hommage qu’il rend aux « big bands » des années 30 et 40, il poursuit le parallèle qu’il avait déjà établi entre le musicien et le poète dans Autobiographie du jazz (2002). La musique et la poésie sont une manière pour l’artiste d’affirmer qu’il est vivant, malgré la menace inéluctable de la mort.
Raphaëlle PICARD/AFP
Merci pour cet article.
09 h 08, le 02 octobre 2024