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Culture - Théâtre

« Maamoul », une tragi-comédie en forme de miroir sans tain

Le rituel du maamoul est pour les Libanaises une occasion de refaire le monde. Au Monnot, jusqu’au 31 juillet, « Maamoul », la pièce de Karim Chebli et Sara Abdo, le refait pour de bon.

« Maamoul », une tragi-comédie en forme de miroir sans tain

« Maamoul», une pièce de Karim Chebli et Sara Abdo au théâtre Monnot. Photo DR

Allez, on compte les tabous et la peur du qu’en-dira-t-on auxquels Maamoul, la pièce écrite et mise en scène par Karim Chebli et Sara Abdo, va encore faire un sort : célibat, homosexualité, désir féminin, pudeur, rapport au corps, diktat de la minceur, religion, amour, cannabis, quoi d’autre ? Et puis les soucis inhérents à la société libanaise, le poids des traditions, les tirs intempestifs, la rareté des médicaments, l’accès aux soins, les personnes âgées à charge, l’émigration des jeunes, le phénomène récent de la solitude.

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Un quatuor de femmes

Campée par la bouleversante Nada Abou Farhat, une esthéticienne rejoint ses voisines pour le rituel du maamoul, ces petits gâteaux à base de semoule, de farine et de beurre qu’on garnit de pâte de dattes, pistaches, noix ou amandes. Diverses occasions festives propres à toutes les confessions sous le toit libanais rassemblent traditionnellement de petites communautés de femmes dans les cuisines domestiques pour la confection de ces pâtisseries. Le maamoul devient ainsi prétexte à un bavardage cathartique à huis clos, où l’on se laisse aller à des confidences, lâchant des secrets intimes ordinairement inavouables. L’esthéticienne joue dans ce quatuor de femmes le rôle de la modératrice. Récemment veuve de son compagnon, elle en a vu d’autres et ne veut pas s’encombrer des lois tacites qui imposent aux femmes des carcans pour mieux les contrôler. Elle a trois voisines, un duo mère-fille avec Hiam Abou Chedid dans le rôle de la mère et Sara Abdo dans celui de la fille, et une rêveuse célibataire enferrée dans les soins de sa mère grabataire, campée par Cynthya Karam.

Quand le public aura bien ri de la candeur de cette dernière exprimée avec un accent druze à couper au couteau, un coup de théâtre fait basculer la comédie dans la tragédie. Et encore, on ne sera pas au bout de ses peines.

Cynthya Karam, Sara Abdo, Nada Abou Farhat et Hiam Abou Chedid. Photo DR

De la toxicité des anomalies ordinaires

À peine la salle a-t-elle sorti ses mouchoirs qu’on glousse à nouveau entre les larmes. La montagne russe des émotions est telle qu’on en vient à en vouloir aux auteurs pour cette composition qui part dans tous les sens. Mais force est de reconnaître que l’ensemble se ramasse avec subtilité. La pièce est ambitieuse, comment ne le serait-elle pas, ratissant aussi large que peuvent l’être les confidences autour du maamoul ? Insidieusement, on prend conscience du danger de s’habituer à la toxicité des anomalies ordinaires, de l’interdiction de s’habiller à sa guise à la banalisation des tirs célébratoires. Devant une Cynthya Karam, si émouvante dans le personnage exutoire du fou, si sincère dans ses facéties et fragile dans l’expression des vérités les plus crues, on est au-delà du vaudeville, de plain-pied dans une réalité difficile que seul le détour du rire permet de regarder en face. Hiam Abou Chedid incarne l’archétype de la mère libanaise soucieuse de la réputation de sa fille, incapable de concevoir sa propre liberté sexuelle et encore moins celle de la jeune adulte « avant le mariage ». Son attitude rébarbative, sa manière de couver son unique enfant avec cette apparente absence d’amour commune aux mères pour qui le devoir passe avant la tendresse sont si exaspérantes qu’en détestant le personnage, on reconnaît : « bien joué ! » Quant à Sara Abdo, à la fois coauteure du texte et cometteur en scène, son rôle de grande enfant enveloppée, subissant les interdits de la mère dont les deux voisines contribuent à l’émanciper, est d’une totale fraîcheur. C’est grâce à cette communauté de femmes et au lâcher-prise autour du maamoul qu’elle prend sa vie en main et assume des choix difficiles.

Nada Abou Farhat est bouleversante dans son rôle d'esthéticienne qui en a vu d'autres... Photo DR

Dénoncer nos dysfonctionnements pour mieux les réparer

Sobre, la mise en scène est placée sous la triple bénédiction des arcades caractéristiques de l’architecture libanaise traditionnelle. La porte mobile, avec sa ferronnerie ornementale, se déplace tour à tour du fond de la scène où elle fait portail, vers la rampe où elle s’ouvre sur un balcon. Elle suffit à elle seule à cloisonner ou décloisonner l’espace scénique divisé entre le salon de beauté où officie Nada Abou Farhat et la cuisine où le maamoul, plaisir de bouche, délie les langues. La morale de la pièce est simple : par-delà les interdits et les contraintes sociales, le seul choix qui s’impose face à un environnement mortifère est celui de la vie. Au moins quatre placements de produits peuvent être dénombrés, astucieusement cachés dans le texte et les accessoires, preuve que le théâtre libanais n’a pas fini de se battre pour s’autofinancer. Raison de plus pour aller voir Maamoul qui se joue au théâtre Tournesol jusqu’à dimanche à guichets fermés, mais se prolonge du 24 au 31 juillet au théâtre Monnot. Il serait dommage de passer à côté de tant de talent et d’un travail rigoureux qui a au moins le mérite de dénoncer nos dysfonctionnements pour mieux les réparer.

« Maamoul », théâtre Monnot, du 24 au 31 juillet. 

Allez, on compte les tabous et la peur du qu’en-dira-t-on auxquels Maamoul, la pièce écrite et mise en scène par Karim Chebli et Sara Abdo, va encore faire un sort : célibat, homosexualité, désir féminin, pudeur, rapport au corps, diktat de la minceur, religion, amour, cannabis, quoi d’autre ? Et puis les soucis inhérents à la société libanaise, le poids des traditions, les tirs intempestifs, la rareté des médicaments, l’accès aux soins, les personnes âgées à charge, l’émigration des jeunes, le phénomène récent de la solitude. Lire aussi « Chou ya achta », tout ce que vous avez voulu savoir sur le harcèlement sans jamais oser le demander Un quatuor de femmesCampée par la bouleversante Nada Abou Farhat, une esthéticienne rejoint ses voisines pour le rituel du maamoul, ces petits gâteaux...
commentaires (1)

Pièce excellente que j'ai récemment vu. Des scènes de franche rigolade et d'autres un peu plus tristes. Un très bon moment et un excellent jeu d'actrices. Bravo !

K1000

01 h 37, le 19 juillet 2024

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Commentaires (1)

  • Pièce excellente que j'ai récemment vu. Des scènes de franche rigolade et d'autres un peu plus tristes. Un très bon moment et un excellent jeu d'actrices. Bravo !

    K1000

    01 h 37, le 19 juillet 2024

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