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Culture - Entretien

Hend Sabri : la girl next-door du cinéma arabe

Elle fait partie de ces rares figures de la nouvelle vague égyptienne qui ne tiennent pas un discours formaté, aseptisé. À l’affiche des « Filles d’Olfa », dont la sortie est prévue en salle le 5 juillet en France, Hend Sabri revient pour L’Orient-Le Jour sur sa conception du cinéma et de la notoriété, entre privilèges et autocensure.

Hend Sabri : la girl next-door du cinéma arabe

Hend Sabri : "Il faut un manque d’amour de soi pour faire ce métier". Photo Instagram/Hend Sabri

En ce jour de mai nuageux, les journalistes grouillent pour apercevoir Hend Sabri. À 43 ans, l’actrice vient présenter le dernier long-métrage tunisien de Kaouther Ben Hania, sélectionné en compétition officielle au 76e festival de Cannes. Dans cette docu-fiction, elle incarne Olfa Hamrouni, une mère qui a vu ses deux filles aînées sombrer dans l’islamisme radical avant de rejoindre la Libye pour entreprendre le djihad…

Au pavillon UniFrance, le maquillage est léger et le blazer couleur crème est de sortie. Entre deux regards à son agent, elle reconnaît les fidèles, fait la bise aux producteurs et demande poliment un café noisette. Hend Sabri est sollicitée : elle est la seule actrice arabe d’envergure à prétendre à la Palme d’Or cette année. La quadragénaire, avec près de trois décennies de carrière derrière elle, semble fasciner cette Croisette sans cesse en quête de nouvelles coqueluches et une presse occidentale intriguée par un cinéma qu’elle ne considère que trop peu.

Hend Sabri sur le tapis rouge du Red Sea Festival à Djeddah en 2021, où elle faisait partie du jury. Photo AFP

Caractère aussi doux que les traits d’un visage quelque peu fatigué au lendemain d’une montée des marches nocturne, elle raconte sa Tunisie natale et son industrie cinématographique lassée par le manque de financements et de moyens mais poussée par des réalisateurs passionnés.

Née à Kébili, c’est pourtant en Égypte que Hend Sabri se fera connaître. Au Caire où elle s’installe en début de carrière au milieu des années 1990, elle détonne par son naturel et son aisance dans cet univers qui ne fait alors la part belle qu’à une certaine catégorie de jeunes acteurs, sulfureux, tape à l’œil. Si la capitale égyptienne était autrefois décrite comme le Hollywood du monde arabe, là où Souad Hosni et Faten Hamama régnaient en reines, elle se cherche aujourd’hui, entre la vague de conservatisme ambiante et le surplus d’artistes cultivant une idée du glamour peroxydée.

La montée des marches de l'équipe du film "Les filles d'Olfa" de Kaouther Ben Hania. Photo AFP

A contrario, Hend Sabri, consciente de sa notoriété, utilise sa plateforme pour véhiculer des messages sociétaux. Féministe dans cette Égypte des arts conformistes, toujours engagée dans cette Tunisie postrévolutionnaire ébranlée par les crises, son discours est politique, pas politisé. Car tout est dans la nuance quand on est une femme artiste dans la région. De ses multiples apparitions dans des mélodrames sur le petit écran aux premiers rôles sur le grand en passant par les séries sur les plateformes de streaming -elle est l’héroïne de Finding Ola sur Netflix-, Hend Sabri souhaite plus que jamais afficher sa polyvalence dans le jeu. Entretien.

À travers votre filmographie, vous vous êtes forgée une image de girl next door du cinéma arabe, naturelle, modeste, accessible. Aujourd’hui, votre rôle dans « Les Filles d’Olfa » est celui d’une mère écorchée. Qu’est-ce qui a motivé ce revirement ?

La raison principale est Kaouther Ben Hania, une réalisatrice qui m’inspire beaucoup. J’ai suivi sa progression dans le documentaire comme dans la fiction. J’aime sa manière particulière de brouiller les pistes et j’aime le fait qu’elle emmène ses comédiens dans des projets parfois fous. En plus de tout cela, ce qui m’a poussée à accepter de participer à ce film est son désir de travailler avec moi. Car oui, malgré ce que l’on peut dire, tous les acteurs veulent être désirés et il faut l’assumer, l’égo rentre en jeu. Si, en plus, on est désiré par de grands noms comme Kaouther, comment refuser ?

Ce film a une portée sociale importante. Étiez-vous familière avec l’histoire de la vraie Olfa avant la lecture du scénario ?

Je n’en avais jamais entendu parler malgré le fait que c’est un cas malheureusement commun en Tunisie depuis 2011. Il y a des milliers de jeunes (garçons et filles) qui sont partis rejoindre des groupes djihadistes dans des pays comme la Syrie ou la Libye.

Avec Olfa, ça a été compliqué. Au début, je gardais mes distances. C’était une façon de me protéger en tant que femme et mère, de faire la distinction entre la réalité et la fiction car j’étais consciente que ce film aurait pu me faire beaucoup de mal. Il faut dire que Kaouther l’a bien canalisé, elle avait des idées très claires sur certaines séquences. Par exemple, elle me reprochait de ne pas dire des gros mots dans mes scènes pour mieux refléter la réalité. Mais je suis une personnalité publique, je ne peux pas prononcer certains mots, même au cinéma. En tout cas, c’est ma vision des choses.

Hend Sabri a été sacrée meilleure actrice au Festival de Gouna en 2019 pour son rôle dans "Noura rêve" de Hinde Boujemaa. Photo AFP

Vous voulez dire qu’avec la notoriété, l’autocensure devient de mise dans le monde arabe ?

Oui mais c’est normal, ça vient avec le statut et l’expérience. On devient beaucoup plus fragile avec le temps, plus vulnérable. En tant qu’actrices, on en a tellement bavé qu’on commence à se protéger. Et cette protection passe souvent par la censure. J’ai souvent été critiquée, comme beaucoup d’autres de mes consœurs, car j’embellissais le réel, l’histoire. Mais avec mon nom et mon statut, si je dis un mauvais mot à la télévision ou dans un film, ça peut avoir des répercussions négatives… Il y a des acteurs/actrices qui se voient uniquement au théâtre, ou dans le cinéma indépendant, et qui ne veulent pas franchir le seuil commercial, moi j’aime jouer avec les deux, je suis très heureuse de faire des films qui marchent bien, qui me permettent de bien gagner ma vie et d’avoir une notoriété dont je peux me servir pour des causes qui me tiennent à cœur. C’est pour cette raison que je fais plus attention.

Quelle est la différence entre les industries cinématographiques maghrébine et égyptienne ?

En Égypte, le cinéma est une vraie industrie. C’est un petit Hollywood, un marché qui répond à l’offre et à la demande, c’est aussi et surtout le star système dans toute sa splendeur et sa noirceur. L’industrie en Égypte m’a permis de me faire un nom bankable qui me permet de sortir des sentiers battus et de revenir vers des films d’auteurs, plus intimistes… Au Maghreb, il n’y a pas vraiment de marché, on fait des films parce qu’on veut les faire, on ne les fait pas pour l’audience ou pour l’argent. C’est beaucoup plus personnel. C’est un acte qui relève de la résistance.

Le cinéma peut-il changer les mentalités ou faire bouger les choses dans la région ?

C’est LA question que je pose souvent ! Je ne pense pas que le cinéma puisse changer les mentalités mais je pense que le cinéma peut faire avancer le dialogue. C’est du moins une incitation à discuter. Un film en soi ne peut pas faire changer quoi que ce soit. Évidemment, il y a toujours des exceptions à la règle, il existe des films qui ont changé des lois, qui ont fait prendre conscience d’une cause ou d’une affaire. Mais c’est malheureusement très rare. Dans notre région, pour que le cinéma puisse servir, il faut déjà qu’il soit rendu plus accessible. Notre mission devrait être de le démocratiser de plus en plus.

Les réalisatrices et les actrices arabes ont encore du chemin à parcourir pour arriver à une meilleure représentation devant et derrière la caméra. A votre avis, quelles sont les raisons qui expliquent ces inégalités des chances encore aujourd’hui ?

Sur le plan historique, les femmes ont toujours été reléguées au second plan. Malheureusement, il y a énormément d’autocensure et très peu de storytelling féminin. Les femmes n’écrivent pas assez leurs vécus. En tant que productrice, c’est ce qui m’intéresse le plus. Chercher des voix et des histoires de femmes et leur donner une voix.

Si vous deviez choisir entre être une artiste et être célèbre, quel serait votre choix ?

Dans le monde arabe, on pense qu’être un artiste accompli est synonyme de notoriété. Je ne sais pas si c’est toujours le cas. Pour ma part, j’ai été exposée aux feux des projecteurs très tôt, à 14 ans. Cette célébrité m’épuise parfois mais je ne peux pas me permettre de cracher dans la soupe car elle m’apporte aussi beaucoup. Une sécurité financière importante, une voix qui peut compter et qui peut inspirer des jeunes filles dans nos pays. Elle vient aussi avec une liberté, certes restreinte, mais tellement belle.

Est-ce qu’il faut s’aimer pour faire ce métier ?

C’est plutôt le contraire. Il faut un manque d’amour de soi pour faire ce métier. La plupart des comédiens que je côtoie et qui ont fait une belle carrière sont des écorchés vifs, des personnages à fleur de peau avec une vulnérabilité infinie. J’en fais partie.

En ce jour de mai nuageux, les journalistes grouillent pour apercevoir Hend Sabri. À 43 ans, l’actrice vient présenter le dernier long-métrage tunisien de Kaouther Ben Hania, sélectionné en compétition officielle au 76e festival de Cannes. Dans cette docu-fiction, elle incarne Olfa Hamrouni, une mère qui a vu ses deux filles aînées sombrer dans l’islamisme radical avant de...

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Une magnifique actrice; une inspiration pour les jeunes au Moyen Orient/Afrique.....!

Sabri

08 h 43, le 04 juillet 2023

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Commentaires (1)

  • Une magnifique actrice; une inspiration pour les jeunes au Moyen Orient/Afrique.....!

    Sabri

    08 h 43, le 04 juillet 2023

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