Événement fraternel mondial mais aussi théâtre de tensions géopolitiques régionales, la Coupe du monde organisée au Qatar suit la tradition : tout ne tourne pas autour du ballon rond. Et les réactions des supporters face à la présence de journalistes israéliens venus au Qatar pour couvrir le mondial en sont peut-être l’illustration la plus frappante. Autorisés à se rendre à Doha dans le cadre d’un accord de circonstance passé entre le pays hôte et l’État hébreu, des présentateurs israéliens se font chambrer en plein direct par des supporters arabes, qui préfèrent parfois carrément boycotter l’antenne.
D’abord tout sourire face à la caméra, des fans marocains rangent soudainement leurs écharpes lorsqu’ils découvrent qu’un journaliste israélien filme la scène. « Nous sommes amis, vous avez signé l’accord de paix », lance le reporter, faisant référence aux accords d’Abraham, signés à partir d’août 2020 sous l’égide de l’administration américaine et garantissant la normalisation des relations diplomatiques entre Israël et les Émirats arabes unis, Bahreïn puis le Soudan et le Maroc. « Palestine oui, Israël non », crient les jeunes en s’éloignant d’un air faussement gêné. Premier Mondial à être organisé dans un pays arabe, la Coupe du monde au Qatar cristallise l’impopularité de ces traités de normalisation au sein même de la population des pays signataires. À l’époque de l’officialisation des accords d’Abraham, plus d’un million de résidents des pays concernés avaient signé une charte en ligne, les rejetant.
« Free Palestine »
Même son de cloche du côté des supporters libanais, médusés en apprenant qu’ils viennent de répondre à une chaîne de télévision israélienne : « Il n’y a pas d’Israël », clament-ils. D’autres brandissent le drapeau palestinien, systématiquement visible dans les tribunes des stades, scandant « Falestine » en chœur derrière le présentateur. Ce faisant, ils rejouent une séquence devenue virale où une correspondante arabophone de France24, en direct de Jérusalem, se fait prendre en grippe par un groupe de jeunes Israéliens l’insultant en hébreu. Espérant sûrement obtenir plus de succès, un journaliste israélien tente même, aux abords des stades de Doha, de duper la foule en se faisant passer pour un Équatorien. Mauvais calcul. « Free Palestine », lui assène-t-on en retour.
« Les médias israéliens sont venus au Qatar en pensant qu’ils recevraient un accueil similaire à d’autres pays du Golfe avec qui ils ont normalisé. Mais au Qatar, ce n’est pas pareil, commente Rasha, Palestinienne de Gaza et activiste des droits de l’homme. Le pays a toujours tenu des positions très claires concernant la cause palestinienne. » Contrairement à certains de ses voisins du Golfe, le Qatar conditionne son rapprochement avec l’État hébreu au règlement de la question palestinienne, refusant jusqu’ici d’établir des relations diplomatiques. En vertu de ses engagements de pays hôte de la Coupe du monde cependant, Doha ne pouvait refuser l’accès aux supporters d’une quelconque nation. À l’issue de pourparlers en cours depuis des mois pour régler notamment la question de la présence de Palestiniens à bord de ces vols, une ligne aérienne directe mais temporaire a donc été autorisée à relier Tel-Aviv à la capitale qatarie et permettre aux quelque 10 000 visiteurs israéliens et palestiniens de se rendre au Mondial. Une normalisation de circonstance avec Israël qui ne trouve que peu de soutien auprès des résidents qataris, se mêlant volontiers à la vague de boycott.
Et cela ne risque pas d’émouvoir Rasha : « J’aurais évidemment fait de même. En tant que Gazaouie, je subis les attaques incessantes d’Israël, son siège, ses humiliations aux check-points, les pertes parmi les miens, se justifie la jeune femme. Cela fait partie d’un mouvement de boycott qui est nécessaire : la politique et le sport sont inséparables. » Professeure en langues étrangères, Wafa*, Palestinienne de 27 ans, se réjouit également depuis Gaza de l’hostilité de l’accueil réservé aux ressortissants israéliens : « En tant que Palestinienne, je veux que cela se répande dans le monde entier et pas seulement pour cet événement. Nous voulons que les principaux régimes cessent de normaliser leurs relations avec ce qu’on appelle Israël et nous aident à récupérer nos terres. »
*Le prénom a été modifié.
commentaires (7)
Qui sème le vent récolte la tempête !
Politiquement incorrect(e)
14 h 55, le 28 novembre 2022