C comme Couleurs. Les vôtres sont immédiatement reconnaissables à leur saturation. D’où vous vient cet attrait pour cette palette ?
Je suis quelqu’un de très immergé dans son époque, de très contemporain. Et ces couleurs sont pour moi celles de la contemporanéité, dans le sens où, n’étant pas des teintes naturelles, elles évoquent notre monde d’aujourd’hui avec ce qu’il a d’artificiel, de dur, de claquant et de contrasté…
H comme « Headway » (progression), votre nouvelle exposition. Pourquoi l’avez-vous intitulée ainsi ?
En fait, ce titre exprime ma manière d’envisager la peinture comme une aventure. On ne sait pas toujours où elle nous emmène. Il faut s’y lancer muni des outils nécessaires et avec l’objectif de réaliser une œuvre en progression continue à travers des expérimentations de formes et de couleurs. Ces dernières, comme je viens de le dire, ne sont jamais pures chez moi. Elles sont toujours très travaillées. Je ne me contente pas d’un jaune, d’un rouge ou d’un bleu sortis du tube. Idem pour les superpositions de plans et de figures que j’essaie toujours de développer, de mener le plus loin possible…
A comme Artiste, évidemment. Auriez-vous pu choisir une autre voie que celle de l’art ?
Je ne pense pas. J’aurais aimé être musicien. J’ai gratté un peu de guitare adolescent, mais je n’étais pas très doué. Et puis ça reste dans le domaine de l’art. Sinon étant quelqu’un de très manuel, j’aurais éventuellement pu être menuisier (rires).
R comme Rétroviseur. Vous avez débuté votre carrière au milieu des années 90. Vous êtes aujourd’hui au milieu du chemin. Quand vous regardez en arrière, que ressentez-vous ?
De la déception. Beaucoup de déception par rapport à mes rêves de jeunesse, aux valeurs qui m’ont construit, à l’amitié, à la désastreuse situation du pays… Avec le temps, les rêves se rétrécissent. Arrive un jour, où ils sont entièrement dissous dans la réalité. C’est cet état de total désenchantement que je combats ardemment par l’art. La peinture est ma bouée de sauvetage. Elle me permet de conserver cette étincelle d’enthousiasme et de passion nécessaire pour rester vivant. Elle m’apporte surtout la satisfaction d’avoir suivi ma voie, dans ses inévitables hauts et bas.
L comme Lithographie, votre diplôme de l’Académie libanaise des beaux-arts. Pourquoi ce choix spécifique ? Qu’est-ce qui vous y a attiré ?
C’est à la fois une technique très ancienne et, en même temps, hypercontemporaine. Aujourd’hui, tout est lié aux impressions d’images. C’est un processus que j’aime particulièrement et qui quelque part se retrouve dans ma peinture qui, même composée de superposition de plans de couleurs, offre toujours un aspect lisse.
E comme Évolution. Comment voyez-vous l’évolution de votre art ?
Formellement, je suis en train d’aller vers plus de liberté et de mouvement dans mes toiles. Le surlignage noir très présent dans mon travail antérieur est en train de s’estomper, ou alors de se colorer et de se déstructurer. Ce qui donne plus de dynamisme à mes compositions. Les figures qui en découlent se multiplient aussi, avec parfois des configurations encore plus énigmatiques. Enfin, je vais vers de plus en plus de spontanéité en intellectualisant moins mon travail.
S comme Salon d’automne du musée Sursock qui vous a attribué en 2008 le Prix spécial du Jury. Quelle incidence a-t-il eu sur votre travail ?
Plus que la notoriété, ce prix m’a surtout conforté dans l’idée que j’étais sur la bonne voie et que j’avais trouvé mon propre style.
K comme Kaléidoscope de plans chromatiques. Votre marque déposée. Pourriez-vous justement changer un jour totalement de style ?
Non. Pour la bonne raison que j’ai construit un langage, un alphabet de formes et de couleurs qui m’est totalement personnel et dont je me sers pour exprimer ma propre vision, raconter mes propres récits. Alors bien sûr, j’ai parfois la tentation de l’épurement, mais si je m’y lance, ce sera toujours à partir du même vocabulaire.
H comme « Humain déshumanisé ». Pourquoi cette figure est-elle si présente dans vos toiles ?
Elle représente mon angoisse d’enfant de la guerre. Cette terrible déception de l’humain que je porte en moi. Je m’interroge continuellement sur notre absence d’humanité. Pourquoi l’homme se comporte-t-il toujours avec tant de cruauté ?
Pourquoi reste-t-il englué dans la bestialité ? Pourquoi saccage-t-il la nature ? Je suis hanté par l’inquiétude du monde à venir. Mais je ne veux pas pour autant traduire ce questionnement en œuvres sombres. La laideur est partout, la beauté devient rare. Et moi je veux faire du beau même pour dénoncer ce qui pourrait ne pas l’être…
O comme Œuvres. Citez-moi trois œuvres qui ont eu une influence majeure sur votre art.
Ce ne sont pas des œuvres, mais des artistes qui ont eu une influence sur mon travail. Parmi les plus importants, je citerai en premier l’Allemand Max Beckmann pour ses contours marqués, ensuite Tapiès pour ses signes informels et son usage du noir ainsi que certains membres du groupe Cobra, comme Corneille et Asger Jor, qui privilégiaient un art naïf et primitif.
U comme Univers. Comment définiriez-vous le vôtre ?
Habité par un feu intérieur. En fait, mon inspiration est comme le magma d’un volcan qui bouillonne, enfle, jaillit et qui, une fois durci, prend une multitude de formes… Tout en restant intrinsèquement issu de la même matière.
R comme Rencontre. Quelle a été la rencontre déterminante dans votre vie artistique ?
Il n’y en a pas eu. Malheureusement…
Y comme Y a-t-il une question que je ne vous ai pas posée à laquelle vous aimeriez pourtant répondre ?
« Pourriez-vous un jour arrêter de peindre ? » À laquelle je vous répondrai : Si pour une raison ou une autre, je devrais arrêter j’en mourrais tout simplement. M’adonner à la peinture est, pour moi, un besoin aussi vital que celui de m’alimenter. En ce moment, par exemple, alors que je viens de finir les 22 toiles que je présente au cours de cette exposition, je continue à me rendre à mon atelier tous les jours. Je ne suis pas du genre à me reposer entre deux cuvées d’œuvres. J’éprouve la nécessité de travailler tous les jours. C’est mon addiction.
« Headway » de Charles Khoury à la galerie Mark Hachem à Beyrouth ; Mina el-Hosn, Imm. Capital Gardens, jusqu’au 22 novembre.