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Culture - Exposition

Omar Mismar au BAC : On peut tout confisquer, sauf la mémoire

« Confiscated Imagineries », réalisée par Omar Mismar au BAC (Beyrouth Art Center), est une œuvre à trois temps qui soulève la problématique de la résistance face aux déplacements des populations et des archives du patrimoine culturel.

Omar Mismar au BAC : On peut tout confisquer, sauf la mémoire

Parallèlement à sa pratique en studio, Omar Mismar est actuellement professeur adjoint au département d’architecture et de design de l’Université américaine de Beyrouth. Photo D.R.

Il a ce regard bleu apaisé, une sérénité qui désarme et une figure qui s’anime dès qu’il évoque son travail. Pour sa première exposition en solo au Beyrouth Art Center (BAC), Omar Mismar développe une œuvre qui combine une réflexion sur les répercussions du conflit syrien et la représentation de l’esthétique du désastre. Lorsqu’il visite pour la première fois le camp de réfugiés syriens de Kab Élias, dans la Békaa, pour réaliser une œuvre basée sur leurs conditions de vie, Omar Mismar décide d’abandonner cette approche et d’aborder le problème sous un autre angle. « Tous les films et les photos que j’avais réalisés me renvoyaient constamment à tout ce que les médias et les réseaux sociaux avaient déjà exposé à maintes reprises, confie l’artiste, je ne faisais que répéter et retransmettre ce qui avait déjà été dit. Un sensationnel épuisé et un sujet réchauffé. » Il décide de réagir à la loi n° 10 décrétée par le président syrien Bachar el-Assad, qui stipule que l’État a le droit de faire main basse sur les terrains de son choix pour les exploiter, à moins que les habitants dans un délai de 30 jours ne présentent des preuves tangibles avec documents administratifs à l’appui que les demeures construites sur ces terrains sont leur propriété. « Or la plupart des familles ont soit abandonné leur demeure pour fuir, soit perdu suite à la guerre toute preuve qui leur octroie la légitimité de conserver leurs biens. C’est une loi d’épuration, complètement injuste et démagogue », explique Omar. Voilà comment va naître un projet qui revisite la mémoire, honore le combat de certains pour préserver la culture et permet aux réfugiés de se souvenir qu’un jour, il y a de cela longtemps, ils avaient un « chez-soi ».

Détail d’une mosaïque représentant les héros d’Idlib. Photo Christopher Baaklini

Distributeur de mémoire

Avec l’aide de Sevag Babikian pour la réalisation technique, de Vrouyr Joubanian pour le design et de Vace Melkisetian pour la conception du métal, il met en place une sorte de distributeur de diapositives (le Dubious Prototype) qui, par un mécanisme continu, présente devant une ampoule éclairée des document bleus translucides. « Le but n’est pas de projeter les documents sur le mur, mais de les garder prisonniers de la machine dans le même esprit que les terrains confisqués par l’État. En faire une œuvre d’art, c’était mésestimer la douleur et dénigrer la mémoire » , précise Omar. Aux réfugiés de la vallée de la Békaa, il demandera de dessiner le plan de leur maison ou du moins ce dont ils se souviennent. Voilà comment des dessins faits avec beaucoup de minutie, à la règle ou à main levée, à la manière de gribouillis d’un enfant qui reproduit sa maison, quelquefois agrémentés de quelques arbres pour figurer un jardin ou de clôtures, vont reprendre vie grâce à ce carrousel qui, précise Omar, a exigé un an de travail. Dans le même esprit que les maisons confisquées, ces dessins prisonniers de la machine ne peuvent être regardés que lorsqu’ils s’échappent du distributeur.

Le distributeur de diapositives (le « Dubious Prototype ») exposé au Beirut Art Center. Photo Tony Élie

Un combat sans armes

La seconde partie de l’exposition raconte la vie et le parcours héroïque d’Abou Farid, avec une projection à l’appui qui atteste de son sacrifice et de celui de personnes dévouées comme lui, soucieuses durant des années de préserver un héritage culturel et de sauver le patrimoine. Abou Farid est inspecteur en archéologie et conservateur, il partagera avec Omar Mismar une partie de sa bibliothèque d’images documentant l’état des mosaïques à la suite de plusieurs raids sur le musée Maaret al-Naaman à Idlib en Syrie, ainsi que l’effort de préservation indépendant qui s’en est suivi. Le film reflète d’un point de vue très humain les histoires et la vie de nombreuses personnes contraintes par différents régimes à travailler et à vivre sous une menace constante dans un état de crise continue. C’est une histoire d’amour, d’engagement et de respect envers la culture. Un travail comme un combat pour la survie. Les images laissent place à une conversation entre Abou Farid et Omar qui tente de comprendre ce qui motive ces gardiens de la mémoire, ces obstinés de la vie. « Ils sont, dira Omar, seuls témoins de la survie de ces œuvres. » Ils soulèveront à deux la question du patrimoine culturel et Abou Farid s’attardera sur les techniques utilisées pour la préservation, pour éviter la destruction et le pillage, et sur les méthodes mises en place pour la traçabilité des œuvres volées. Les mosaïques datant de plusieurs siècles qu’Abou Farid et ses compagnons tentent de sauver sont tantôt couvertes de colle blanche et de linge, tantôt déplacées derrière des murs en sacs de sable pour échapper aux bombardements meurtriers. Et lorsque envers et contre tout l’État syrien réussira à reprendre possession du musée et de ses trésors, Omar posera la question suivante à Abou Farid : « Vous n’auriez pas préféré détruire les œuvres plutôt que de les abandonner à un destin inconnu? » Et le conservateur archéologue de répondre : « Jamais ! Nous avons œuvré toutes ces années avec notre conscience et nous espérons que l’État sera mû par le même élan qui nous anime : protéger le patrimoine. »

Mosaïque d’un tapis, symbole des déplacements des populations. Photo Christopher Baaklini

Les temps superposés

Avec un artisan du nom d’Abou Amir qui collaborait avec Abou Farid, Omar Mismar fera reproduire certaines mosaïques en y ajoutant des messages symboliques. Ainsi, les tatouages de certains compagnons d’Abou Farid seront transposés sur la pierre. Pour l’artiste, un tatouage est une projection de l’être, une commémoration, une manière d’affirmer son appartenance. Leurs formes ne sont pas sans rappeler certains emblèmes des scènes antiques. Abou Amir réalisera aussi une mosaïque à la manière d’une photographie où chaque pierre représente un pixel. C’est pour l’artiste une manière de repenser les mosaïques d’une façon visuelle et contemporaine. Ahmad and Akram Protecting Hercules est une œuvre reprise où l’artiste superpose ainsi les temps anciens et le temps contemporain. La mosaïque réalisée pour attester des héros antiques est alors une manière d’honorer les héros d’Idlib. Ayant été volée, une mosaïque dont on a retrouvé une image est reproduite avec le message « I am sorry ». Dans une scène de combat où un lion et un taureau s’affrontent, Omar a interposé les têtes, comme s’il voulait intervertir les rôles et attester que la force n’est pas toujours là où on l’attend. Car il s’agit bien de force, celle de ces héros d’Idlib et de tous ceux qui continuent de résister face à l’obscurantisme et la barbarie. Attentive au monde, l’œuvre de Omar Mismar a quelque chose d’une archéologie de la mémoire, empreinte d’une étrangeté qui remue. Difficile pour le spectateur d’en ressortir indemne.

Omar Mismar, carte de visite

Après des études en graphic design à l’Université américaine de Beyrouth, Omar Mismar, 36 ans, né à Taanayel au Liban, déménage à San Francisco et obtient une maîtrise en beaux-arts et pratique sociale ainsi qu’une maîtrise en études visuelles et critiques au California College of the Arts. Artiste, designer et coéditeur du livre Queer Geographies: Beirut Tijuana Copenhagen, il fréquente aux États-Unisla Skowhegan School of Painting and Sculpture en 2016 et le Whitney Independent Study Program en 2017. Son travail a été présenté dans diverses expositions en Californie et à New York. Mismar a enseigné au California College of the Arts, à l’Université de San Francisco, à l’Université américaine de Beyrouth et à l’Académie libanaise des beaux-arts. Parallèlement à sa pratique en studio, il est actuellement professeur adjoint au département d’architecture et de design de l’AUB.

A signaler que les mosaïques encadrées ont été réalisées avec le soutien de la galerie Letitia pour être présentées dans le cadre d’une exposition -dont le commissaire était Amanda Abi Khalil - prévue pour octobre 2019 mais qui a finalement été mise en attente en raison des événements qui se sont succédés au Liban.

« Confiscated Imagineries » de Omar Mismar au BAC (Beyrouth Art Center), Jisr el-Wati, jusqu’au 1er octobre 2022.

Il a ce regard bleu apaisé, une sérénité qui désarme et une figure qui s’anime dès qu’il évoque son travail. Pour sa première exposition en solo au Beyrouth Art Center (BAC), Omar Mismar développe une œuvre qui combine une réflexion sur les répercussions du conflit syrien et la représentation de l’esthétique du désastre. Lorsqu’il visite pour la première fois le camp de...

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