Hommages

Melhem Chaoul, le grand décrypteur

Melhem Chaoul qui vient de nous quitter n'était pas seulement un éminent sociologue, c'était aussi un Libanais engagé, un érudit curieux de tout et un amoureux des mots – en arabe comme en français.

Melhem Chaoul, le grand décrypteur

© Zeina Abirached


Personnage polyvalent, Melhem Chaoul promenait son regard de sociologue sur les comportements et les tares de nos compatriotes, sans jamais se départir de son humour pince-sans-rire qu'il partageait si bien avec son épouse Nada Nassar Chaoul.

Le chercheur

Né à Zahlé le 10 avril 1950, Melhem Chaoul décroche en 1974 un diplôme en sociologie de l'Université libanaise, avant de se rendre à Paris où il obtient son doctorat en sociologie de l'École des hautes études en sciences sociales. De retour au Liban, il enseigne cette matière à l'Université libanaise à partir de 1980, puis occupe le poste de directeur de l'Institut des sciences sociales jusqu'en 2014. Il multiplie les conférences, de Amman à Los Angeles, et contribue à la fondation du Centre maronite de recherches à Bkerké. Ses travaux très variés ont abordé des thèmes généraux comme la citoyenneté dans une société non homogène, les concepts de démocratie, de nation et d'identité, ou plus particuliers comme « la sociographie de la pratique des condoléances à Zahlé ».

Respecté de tous, très proche de ses étudiants et des doctorants, Melhem Chaoul aura, avec le père Sélim Abou et quelques collègues de leur trempe, donné ses lettres de noblesse à la sociologie au Liban.

Le militant

Melhem Chaoul était « en situation dans son époque », selon la fameuse formule de Sartre. Impliqué dans la vie intellectuelle du pays – il était membre du comité littéraire du Cercle culturel arabe (Al-Nadi al-thaqafi) et de la Fondation libanaise pour la paix civile permanente –, il n'hésitait pas à s'engager politiquement et à monter au créneau. Évoquant la mémoire de Farès Sassine, il écrit à propos de leurs premiers combats : « Ensemble, nous aurions traversé les méandres de la lutte politique pour toutes les causes justes du monde, avec le passage obligé – à l’époque – par le marxisme, marquant quelques victoires et beaucoup de revers, reflets en somme de notre génération aux idéaux généreux, partagée entre les espoirs de changement et les pesanteurs de l’immobilisme arabe. »

À partir de 2005, au sein du parti du Renouveau démocratique, il milite pour « une certaine idée » du Liban. Commentant la guerre des 33 jours pour Le Figaro, il déclare : « Toutes les grandes communautés sont des États dans l'État. Ce n'est pas spécifique au Hezbollah. C'est le système communautaire qui est ainsi. (...) En revanche, le Hezbollah est armé, ce qui le différencie des autres et crée un déséquilibre. » À propos de la révolution du 17 octobre, il affirme avec sa clairvoyance habituelle : « Il faut que les révolutionnaires trouvent un symbole plus fort que celui qu’ils veulent déraciner. Durant la Révolution française, face à la symbolique de la soumission au pouvoir du roi et du clergé, on a créé la symbolique de l’égalité, liberté, fraternité. Au Liban, les contestataires attaquent l’ancien système, mais n’ont pas réussi à penser un nouveau et par conséquent à convaincre les autres de le suivre... »

L'essayiste

Melhem Chaoul a beaucoup écrit et publié. Après Al-’Iftiraq wal Jam‘ (« Dispersion et assemblage »), paru chez Dar An-Nahar en 1996, qui réunissait des études rédigées entre 1984 et 1990, il publie en 2018 chez L'Orient des livres un recueil intitulé Al-Tafakok wal Intiwa’ (« Désagrégation et replis, Le Liban et son cadre régional à l’orée du millénaire ») qui, dans un premier temps, appréhende le Liban dans le cadre régional de deux décennies tumultueuses (1990-2010), pour ensuite étudier la société libanaise dans sa globalité. Une troisième partie trouve dans les élections de 1992, 2000 et 2009 le lieu privilégié de la mise à l’épreuve des conclusions formulées. Fort de son bagage de sociologue, l'auteur saisit avec acuité les constantes et les variantes libanaises, et émet des observations édifiantes, confirmées par les élections de 2022 qui viennent de s'achever, preuve que la sociologie ne photographie pas seulement le présent, mais se projette aussi dans l'avenir en offrant des codes pour mieux déchiffrer l'évolution des mentalités. Commentant cet ouvrage, Farès Sassine écrit : « Deux traits sont liés à l’entreprise de Chaoul. D’une part, construire, dans la lignée des pères fondateurs de la sociologie, un regard spéculatif propre, au-delà du journalisme quotidien et de l’engagement politique. Cette visée cherche l’objectivité et ne renonce pas aux valeurs modernes ; elle opère à l’intérieur de découpages historiques indispensables, ce qui lui évite de se diluer dans un espace anthropologique pur. D’autre part, saisir la “structure hybride” persistante de notre société, faite de progrès et de tradition, d’ouverture et de cloisonnement. »

Le chroniqueur

Observateur privilégié des problèmes du Liban, Melhem Chaoul a publié dans la presse une multitude d'articles et de tribunes, notamment sur le fédéralisme et le confinement. Dans ses papiers publiés dans L’Orient-Express et dans L'Orient littéraire, il faisait montre d'un esprit analytique aiguisé et, quand il chroniquait un ouvrage, donnait toujours au lecteur le point de vue du sociologue, comme en témoigne cet extrait de son article sur Étapes et jalons, le livre de Mgr Youssef Béchara :

« Aussi bien le sociologue que l’historien découvrira, tout au long de l’ouvrage, la face cachée de la vie religieuse et ecclésiastique dans l’Eglise maronite. Contrairement à l’image stéréotypée d’une structure sclérosée et figée, Mgr Béchara nous présente une vie interne des institutions ecclésiales plutôt dynamique, fondée sur une qualité de relations et d’approches portées par un réseau de prêtres engagés et persévérants ayant le sens du travail en équipe et conscients de l’importance de la réalisation effective des objectifs assignés. Ainsi, ce livre s’inscrit également dans le domaine de la sociologie religieuse ce qui en fait un document de référence incontournable en la matière. »

Commentant pour notre journal l'impact des événements de Mai 68 sur les Libanais de l'époque, il écrit ceci :

« Si la société libanaise, surtout les milieux chrétiens conservateurs, ne se reconnaissaient plus dans cette France post-Mai 68, par une sorte d’acculturation et de métissage culturel, cette nouvelle France allait générer des “clones locaux” se manifestant par l’éclosion d’un nouveau théâtre et de nouveaux modes d’expression poétiques, scéniques et romanesques. En somme, une dynamique libératrice dans la société libanaise… mais inextricablement liée et compliquée par des enjeux typiquement locaux comme la problématique du soutien à la résistance palestinienne et les problèmes de pauvreté et de développement. »

Mais son article le plus surprenant reste celui qu'il a consacré à la « sémiologie jamesbondienne » au lendemain du décès de Sean Connery, héros « iconique » des films de James Bond. Melhem Chaoul s’amuse à y décoder les signes de la série, dans une sorte de dialogue avec divers analystes des romans de Ian Fleming (comme Umberto Eco et Laurent Binet) où l'on se demande par exemple si 007 est fasciste ou réactionnaire !

Dans son étude sur la pratique des condoléances et le rituel du deuil à Zahlé, Melhem Chaoul considérait qu'ils constituent « l'un des derniers espaces de solidarité et de convivialité ». En observant, lors de ses obsèques dans sa ville natale, l'émotion de l'assistance, unie dans la douleur et la fierté de l'avoir connu, comment ne pas lui donner raison ?

Personnage polyvalent, Melhem Chaoul promenait son regard de sociologue sur les comportements et les tares de nos compatriotes, sans jamais se départir de son humour pince-sans-rire qu'il partageait si bien avec son épouse Nada Nassar Chaoul.Le chercheurNé à Zahlé le 10 avril 1950, Melhem Chaoul décroche en 1974 un diplôme en sociologie de l'Université libanaise, avant de se rendre à...

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Un grand monsieur qui va nous manquer beaucoup! RIP...

Georges MELKI

11 h 18, le 06 juin 2022

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Commentaires (1)

  • Un grand monsieur qui va nous manquer beaucoup! RIP...

    Georges MELKI

    11 h 18, le 06 juin 2022

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