
Quand l’expression corporelle s’allie au mot. Photo DR
Céline Abiad, vous êtes une artiste multidisciplinaire, écrivaine, cinéaste et productrice. Qu’est-ce qui vous a amenée à réaliser ce premier film intitulé « In the name of tomorrow » ?
Après des études à l’ALBA avec un master en production de films, j’ai quitté le Liban en 2010 et je me suis forgé une expérience qui va du cinéma (production, réalisation, technique...) à l’éducation, à la gestion et à l’écriture. Je suis actuellement directrice générale et productrice exécutive créative chez Ratatouille Media, une nouvelle société de contenu visant à apporter des histoires originales et des collaborations novatrices, pour des distributions locales et internationales. J’ai eu l’idée de faire ce film un peu avant la pandémie non par but d’être réalisatrice, mais quand on est passionné de cinéma comme moi, on l’aime sous toutes ses facettes. J’avais envie de faire un film message qui porterait la voix d’un échantillonnage issu de populations diverses.
Céline Abiad : « Quand on est passionné de cinéma comme moi, on l’aime sous toutes ses facettes. » Photo DR
Comment définissez-vous « In the name of tomorrow »? Est-ce un film purement documentaire ?
C’est un documentaire artistique un peu expérimental qui est parti d’une idée ou plutôt d’une observation. En regardant les gens, je commençais à voir que l’espoir se perdait au sein de l’humanité et qu’il y avait une solitude énorme. Nous sommes – à l’échelle de toute la planète – en train de nous défier et de nous quereller autour de sujets que nous-mêmes ne comprenons pas. Nous sommes en train d’interagir d’une manière étrange. Certes, chacun a ses idées et ses émotions, mais pourquoi en faire des barrières ? Nous construisons tous les jours des murs au lieu de passerelles. C’est ce qui crée l’incommunicabilité. C’est pourquoi j’ai initié comme un dialogue avec les gens partout dans le monde. Ces personnes sont des êtres humains qui partagent les mêmes problèmes. On parle dans ce film de la vie, de la mort, du futur angoissant… Où nous allons, ce que nous faisons, ce que nous sentons.
Quarante-cinq personnes de tous pays qui partagent leurs problèmes intimes et personnels. Comment avez-vous procédé ?
Les personnes ont été choisies au hasard selon leurs affinités. Comme l’idée partait d’un dialogue, je me suis présentée à ces gens en leur disant ce que je faisais et que s’ils ne voulaient pas répondre à telle ou telle question, ils étaient libres de le faire. Et j’ai fait tourner la caméra. Ce dialogue est loin des théories ou des paroles superficielles. Il s’agit d’une conversation personnelle, voire intime, où l’on n’évoque pas les questions de religion, de société ou autres. Même leur langage corporel était très authentique et spontané. J’avais 45 personnes qui parlaient et je les ai laissé parler sans les interrompre et en laissant l’enregistrement principal pour aboutir à 70 minutes de contenu, sans jamais découper des phrases.
Le film est donc composé de dix tableaux à l’instar des dix questions posées. Il ressemble à une danse. Les acteurs qui ont travaillé avec moi sont des artistes de danse contemporaine. Ils ont eux aussi répondu à la question par une danse. Une expression corporelle avec les meilleures réponses parce que les questions étaient courtes et brèves. La caméra est statique car il fallait que le langage cinématographique soit uniquement un support. Seuls le corps et le mot doivent être privilégiés.
Pourquoi avez-vous choisi la danse comme allié du mot ? Et qu’avez-vous déduit de ce dialogue filmique ?
Le but du film était de danser avec ces gens et non pas d’arriver à un point donné. La danse pour moi est une expression authentique qui s’assimile au mouvement de l’univers. Une danse d’idées. Je n’ai jamais voulu imposer un point de vue, une idéologie. Même dans la réalisation. J’étais une simple observatrice. Il en résulte cependant que même si le genre humain est très varié – du Malaisien au Sri Lankais, en passant par le Français, le Serbe, le Libanais ou l’Italien–, on se ressemble tous dans la diversité. Si on est différents dans les avis, on se ressemble dans les émotions. Et il suffit qu’on se parle, qu’on dialogue ensemble pour comprendre nos similitudes.
Outre les intervenants, ce film est né de la conjugaison d’efforts de plusieurs artistes. Vous considérez que c’est un travail collectif ?
Ce film a été en partie autofinancé, soutenu par des collaborateurs et des supporters, et en partie grâce à de nombreux bailleurs de fonds lorsque nous avons recouru au financement participatif. Nous sommes reconnaissants envers tous ceux qui ont cru en nous et dans le projet.
Quant aux différents acteurs du projet, je suis également reconnaissante pour la musique et tout le soutien qu’Ognjen Beader, mon mari, a apporté. Je n’aurais pas pu le faire sans lui et sans le travail acharné d’une super équipe, principalement Zeina Nehmé au montage, Ziad Oakes (director of photography), l’ingénieur du son Randula De Silva, et l’étonnante collaboration des acteurs/danseurs : Wafa’ Celine Halawi, Masa Jelic, Dejan Stojkovic, Rima Maroun. Ces personnes sont le pilier du projet. Et bien sûr je suis reconnaissante à chaque personne interrogée d’avoir partagé sa vérité en toute humilité.