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Culture - Exposition

Des taureaux et des hommes... chez Cheriff Tabet

Poursuivant dans sa veine de défricheur de talents, le galeriste installé à D Beirut consacre une première exposition individuelle à Philippe Farhat, un artiste trentenaire aux toiles intenses, sous-tendues d’un dessin remarquable.

Des taureaux et des hommes... chez Cheriff Tabet

« After it is too late » (Après il sera trop tard), une toile en techniques mixtes signée Philippe Farhat (162x95cm). Photo DR

Ses duos d’hommes et de taureaux constituent le cœur névralgique de l’accrochage des œuvres de Philippe Farhat à la galerie Cheriff Tabet*. L’homme et la bête semblent en lutte permanente tout en ne faisant qu’une seule et même entité : à la fois querelleuse et brisée, robuste et écorchée, sombre et diaphane… Une série qui fait basculer le spectateur dans un univers onirique où le quotidien et l’étrange, le conscient et l’inconscient tissent d’intenses corrélations. Une série de peintures en techniques mixtes sous-tendues d’un remarquable dessin au tracé fluide, quasi filamenteux et cependant toujours d’une puissante expressivité.

« Le dessin est la probité de l’art », affirmait Ingres. « Dessiner ne veut pas dire simplement reproduire des contours ; le dessin ne consiste pas simplement dans le trait : le dessin, c’est encore l’expression, la forme intérieure, le plan, le modèle », poursuivait-il pour étayer son propos.

Impossible de ne pas penser à cette citation devant les toiles du jeune peintre libanais dont une vaste sélection, présentée pour la première fois dans le cadre d’une exposition individuelle en galerie, met en lumière son indéniable talent de dessinateur.

Together Anywhere Techniques mixtes sur toile de 80x140cm. Photo D.R.

Un don inné qui dès l’enfance va s’exprimer de manière singulière chez cet artiste, architecte d’intérieur et professeur de dessin dans plusieurs académies d’art. « Du plus loin que je me souvienne, j’ai toujours dessiné différemment des autres enfants. Il n’y avait jamais de paysages ou d’éléments identifiables dans mes dessins, mais des représentations souvent étranges et baroques que je n’arrivais pas moi-même à décrypter. Ce n’est que plus tard que j’ai compris qu’il s’agissait de surréalisme », confie ce trentenaire qui après un premier diplôme en architecture d’intérieur et quelques années d’exercice de ce métier au Liban et au Koweit ressent l’appel profond du « véritable art », dit-il, sa passion première. Décidé à s’y consacrer, il réintègre les bancs de l’Université libanaise pour décrocher cette fois un diplôme en arts plastiques en 2016. S’il a, depuis, participé à de nombreuses expositions collectives et a eu droit à deux solos (l’une au cours de ses études à l’UL et l’autre en 2019 à Beit al-Hirafi à Zouk Mosbeh), cet accrochage à la galerie Cheriff Tabet intitulé Light after dark (La lumière après l’obscurité) offre une vue d’ensemble de son univers d’artiste plasticien partagé entre la pure abstraction et un certain surréalisme contemporain. Un peintre alternant le tracé en filigrane qui évoque les dessins rupestres ou encore les craquelures qui traversent les fresques antiques d’une part et la modernité des techniques et des compositions d’autre part.

L’art nous parle de nous

Deux styles, de prime abord antinomiques, que Philippe Farhat aborde en fonction des sujets traités. Lesquels sont toujours issus de ses réflexions personnelles sur la société dans laquelle il vit, ainsi que de ses questionnements existentiels et humanistes, voire même spirituels, en lien avec des expériences tirées de son vécu.

Idem pour les techniques et les matières qui, elles aussi, s’imposent, dit-il, suivant le thème abordé.

Pour cet artiste intellectuel qui nourrit de recherches, de lectures et de méditations son travail de création spontanée – aux tracés et couleurs directement appliqués sur la toile –, « l’art n’est pas un ornement muet accroché sur le mur. C’est un compagnon de vie qui interfère avec nous. Un tableau nous parle, aussi bien de nous-même que de l’artiste qui l’a signé », affirme-t-il. Sans doute aussi de l’état du monde au moment de sa réalisation et plus particulièrement de la société dans laquelle il a été conçu. C’est du moins l’impression que donnent certaines des œuvres accrochées sur les cimaises de la galerie beyrouthine qui dégagent, de prime abord, une atmosphère sombre et dramatique.

« On me le fait souvent remarquer », en convient-il. « C’est dû à la prédominance de la tragédie dans notre environnement et nos existences… ».

Après l’obscurité, la lumière…

Le taureau qui, on l’a dit plus haut, revient de manière récurrente dans son travail en est la parfaite figure allégorique. Ce taureau que Philippe Farhat représente souvent les membres disloqués, fonçant tête baissée sur un homme nu et émacié, sur un enfant ou encore une… fourmi, symbolise ces pulsions agressives, égocentriques, sexuelles et mortifères qui régissent le monde et les humains, et les mènent à leur perte.

« Il symbolise aussi l’état de folie et d’inconscience destructrice de ceux qui emportent notre société dans de vaines batailles décimant, sans états d’âme, une population manipulée et totalement écrasée », précise également l’artiste qui se dit furieux de la permanence de l’assujettissement de ses concitoyens aux chefs de clan… Mais qui garde néanmoins l’espoir en de meilleurs lendemains.

Une vision plus positive qu’il formule surtout dans ses toiles abstraites. Même si ces dernières, des techniques mixtes composées d’éléments, sans doute, récupérés des chantiers (bois, plâtre, grillages, carton dur, clous, ficelles, jute et bâches…) évoquent de prime abord un état de destruction, de dislocation et de chaos qui forcément nous renvoie à notre triste situation actuelle. « En fait, ces peintures-là partent toujours du plus sombre au bas de la toile au plus clair dans ses parties supérieures. En les construisant ainsi, j’ai voulu suggérer qu’il y a toujours une voie vers l’espoir et qu’après les tunnels obscurs, la lumière finit toujours par jaillir », assure Philippe Farhat. En ces temps d’élections, on ne demande qu’à le croire…

*« Light after dark » à la galerie Cheriff Tabet, D Beirut, route côtière au niveau de Bourj Hammoud, jusqu’au 31 mai.

Ses duos d’hommes et de taureaux constituent le cœur névralgique de l’accrochage des œuvres de Philippe Farhat à la galerie Cheriff Tabet*. L’homme et la bête semblent en lutte permanente tout en ne faisant qu’une seule et même entité : à la fois querelleuse et brisée, robuste et écorchée, sombre et diaphane… Une série qui fait basculer le spectateur dans un univers...

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