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Culture - Livres

La philosophie de la violence et le pouvoir du peuple...

Deux livres chocs qui s’insèrent parfaitement dans le contexte d’un Moyen-Orient voué à tous les abus et spoliations des droits des hommes.

La philosophie de la violence et le pouvoir du peuple...

Elsa Dorlin. PhotosDR

Deux ouvrages traduits par Dar as-Saqi jettent une certaine lumière sur l’injustice, les illusions de la démocratie et le mirage de la fraternité humaine : Falsafat al-’ounf (La philosophie de la violence) d’Elsa Dorlin (paru en français aux éditions Zones en 2017 et aujourd’hui traduit vers l’arabe par Jalal Badleh) et Moi le peuple de Nadia Urbinati (paru en anglais aux éditions Harvard University Press en 2019 et traduit par Imad Chiha). Deux livres pour une plongée, grâce aux plumes et à la pensée de deux femmes, dans ce qui régit politiquement le monde. Mais aussi brassage d’idées pour une société certes en évolution, mais évolution ô combien lente, frileuse et précautionneuse…

De la France, pays de l’égalité, la fraternité et la liberté, notions claironnées tambour battant urbi et orbi, nous vient Elsa Dorlin, docteure ès philosophie de la Sorbonne, médaille de bronze du CNRS et prix Frantz Fanon pour son ouvrage Une philosophie de la violence que les lecteurs arabophones peuvent retrouver dans les devantures des librairies.

Falsafat al-’ounf, dans sa version arabe, porte haut et clair la voix de cette écrivaine philosophe qui dissèque l’historique et les arguments armures pour tout être qui doit se défendre. Se défendre pour sa vie, sa survie, son entité, son identité, sa terre, la couleur de sa peau, sa nationalité, son genre, ses orientations sexuelles… Se défendre contre tous les masques du colonialisme dans ses divers aspects, ses attributs et ses annexions illicites. Défendre son travail, son corps, ses biens, les membres de sa famille…

Vaste programme qui englobe la lutte contre l’esclavage, sombre épisode dans la vie des hommes et dont on ne voit pas encore clairement l’issue car il a des visages cachés et sournois. La dernière en date, dans une Amérique qui se targue pourtant d’être la terre des libertés, l’histoire de l’infortuné George Floyd, homme à la peau noire, étouffé sous la botte d’un impitoyable policier blanc…

Des ghettos de Varsovie aux Black Panthers, en passant par le mouvement « Queer », l’autodéfense s’est organisée. Et la plume d’Elsa Dorlin évoque ce combat. Une « éthique martiale » qui peut faire grincer des dents, une philosophie politique pour une relecture sur laquelle planent les ombres de Hobbes, Locke, Michel Foucault, Malcolm X, Frantz Fanon… Tous les damnés et déshérités de la terre ont voix au chapitre, et on doit prêter une oreille attentive à leurs doléances. Y compris les Palestiniens et leur cause, source des incendiaires dissensions du monde arabe. Cause qui perdure depuis plus de trois quarts de siècle et dont la résolution semble remise toujours aux calendes grecques.

Nadia Urbinati. PhotosDR

La force du peuple…

À côté des pages d’Elsa Dorlin, comme un complément de force de vie, vient se ranger l’ouvrage Ana ach-chaab (Moi le peuple) de Nadia Urbinati (330 pages).

Née à Rimini en Italie en 1955, naturalisée américaine, professeure de théorie politique à l’Université de Columbia, auteure de plusieurs ouvrages, dont La tyrannie des modernes, Nadia Urbinati regarde à la loupe et fouille en profondeur le système de gouvernement dit démocratique.

Le populisme est examiné ici comme une forme et une déformation d’une représentation démocratique. À l’origine, la démocratie désigne un régime politique dans lequel tous les citoyens participent aux décisions politiques, au moins par le vote. Et le peuple est supposé être souverain. Ça, c’est la théorie. Un simple regard sur les distorsions dont le Liban est le théâtre permet de comprendre le mauvais usage et la faillite que peut subir ce mode de gouvernement. Si l’ouvrage de Nadia Urbinati n’avait pas été publié en 2017, le Liban actuel, dans son assourdissant effondrement, y aurait assurément figuré au chapitre des dévoiements de la démocratie. Sans que le peuple soit innocent dans ses choix et options d’élection.

C’est un travail riche que livre Nadia Urbinati pour parler d’un gouvernement représentatif, comment il est conçu et comment intervient le populisme. Qu’est-ce qui singularise le populisme par rapport à la politique démocratique conventionnelle ? Et ne devrait-on pas s’inquiéter de sa montée en puissance ? Après tout, qui a abattu la monarchie et ses abus en France, si ce n’est le peuple ?

Nadia Urbinati considère que le populisme est une pulsion nouvelle du gouvernement représentatif qui s’établit sur le rapport direct entre le « zaïm » (et nous en sommes bien pourvus ici) et ceux qu’il voit aptes ou « bons » à prendre les rênes du pouvoir. S’ensuit aussi la mêlée avec les partis politiques (nous sommes en plein dedans encore aujourd’hui) et le pouvoir de la presse (hélas, ici aussi au Liban, certains médias restent à la solde des uns et des autres) qui peut avoir un souffle pernicieux et tendancieux…

L’auteure ausculte le glissement de la démocratie vers un populisme, une radicalisation, une légitimation de moins en moins évidente et même une impartialité douteuse. C’est tout cela que suggère ce livre qui dresse presque un bilan complet sur l’historique du pouvoir du peuple. Sans jamais oublier certains adages dont celui-là : « Voix du peuple, voix de Dieu ».

De Sparte et Athènes, de l’Espagne à l’Argentine, en passant par le Pérou, le Chili, la Bolivie, la Hongrie ou encore la Pologne, la démocratie se dévêt de ses oripeaux et change de masque. L’Europe, l’Amérique latine, les États-Unis ont offert une palette de nuances où la démocratie a une histoire bien houleuse et tumultueuse.

Elle prend dans chaque territoire et chaque pays des visages différents. Un livre éclairant, en attendant ce pays, ce peuple et ce jour qui rétabliront équilibre et harmonie (mais cela relève sans doute de l’utopie) pour une justice et un ordre social où l’épanouissement et la sécurité sont un dû à la vie et aux citoyens…

« Falsafat al-’ounf » de Elsa Dorlin (254 pages - traduction Jalal Badleh, Dar as-Saqi) et « Ana ach-chaab » de Nadia Urbinati (334 pages - traduction Imad Chiha, Dar as-Saqi) disponibles en librairie.

Deux ouvrages traduits par Dar as-Saqi jettent une certaine lumière sur l’injustice, les illusions de la démocratie et le mirage de la fraternité humaine : Falsafat al-’ounf (La philosophie de la violence) d’Elsa Dorlin (paru en français aux éditions Zones en 2017 et aujourd’hui traduit vers l’arabe par Jalal Badleh) et Moi le peuple de Nadia Urbinati (paru en anglais aux...

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