Hommages

L’Indiana Jones de la littérature libanaise

L’Indiana Jones de la littérature libanaise

© Khalil Moawad

D’Indiana Jones, il avait la silhouette longiligne, le chapeau Fedora crânement arboré, la dégaine de l’aventurier, le regard bleu de pirate, le titre de professeur, le sens de l’humour et par-dessus tout, la maîtrise de l’archéologie… sociologique et rituelle de sa région natale.

On ne le voyait pas venir. Sur la terrasse de l’hôtel Belmont à Ehden, il apparaissait soudainement et disparaissait tout aussi brusquement, sans au revoir ni adieux, avec une sorte de clandestinité atavique, réminiscence inconsciente de l’histoire sanglante de son village.

Ce n’était pas un bavard, mais un dégustateur de mots. On le voyait à son regard rêveur et à sa manière de répéter à mi-voix, un demi-sourire aux lèvres, une expression bien tournée ou la description mordante d’un personnage de nos connaissances. Il suppliait alors : « Ah non ! Tu ne vas pas commencer, pas Untel, il est bien quand même », ce qui était, je le savais… une manière de me supplier de continuer. Durant le voyage « Les copains d’abord », alors que tout le monde savourait le moment de béatitude suivant le repas au soleil et le bon verre de vin sur une trattoria sicilienne, il s’enfuyait, pressé comme un amant désireux de retrouver les bras de son amante… pour écrire, nous avait-il avoué. Et cette urgence là, celle d’une image qui s’imposait à lui, d’un moment unique qu’il lui fallait instantanément capter, il s’y soumettait humblement, sans rechigner, lui le rebelle qui n’obéissait à aucun code.

Il était l’artisan de ces dimanches de convivialité, de gastronomie, de poésie et d’amitié sous le cyprès séculaire d’Ehden qu’il avait ironiquement surnommé « L’arbre d’Amarcord », en hommage à la scène fellinienne-culte dans laquelle un fou perché en haut d’un arbre hurle « Voooooglio una dooooonnaaaa » ! On y lisait des passages de livres ou d’écrits inédits dont les auteurs, un peu intimidés, scrutaient nos réactions, on y chantait, on y dansait même, tout en dégustant la cuisine zghortiote délicieuse de son épouse et compagne de vie, la belle et énigmatique Thérèse.

Lui qui se riait de la mort – sans toutefois la méconnaître ou la défier – m’avait répondu d’un geste impatient de la main lorsque j’avais tenté de prendre discrètement de ses nouvelles la dernière fois au Belmont. Le geste fataliste du détaché, du désabusé et, par-dessus tout, du désinvolte pudique qu’il était.

Je l’avais appelé après avoir lu, à deux reprises, Le Roi de l’Inde, agacée de n’avoir pas compris la fin, croyant avoir raté un détail ou un indice qui m’aurait mise sur la voie de la solution de l’énigme. Il s’en était amusé, lui le maître du jeu, me répondant simplement : « C’est comme ça. »

« C’est comme ça. » Tu le savais. Mais quand même. Ce départ, avec Farès ton complice de toujours, comme un tour de prestidigitateur, un pied de nez au destin, une ficelle de conteur, une entourloupe de romancier…

Chapeau l’artiste !


D’Indiana Jones, il avait la silhouette longiligne, le chapeau Fedora crânement arboré, la dégaine de l’aventurier, le regard bleu de pirate, le titre de professeur, le sens de l’humour et par-dessus tout, la maîtrise de l’archéologie… sociologique et rituelle de sa région natale.On ne le voyait pas venir. Sur la terrasse de l’hôtel Belmont à Ehden, il apparaissait...

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