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Culture - Exposition

Lorsque Jean Genet, Albert Dichy et David Bowie se rencontrent...

« Les Valises de Jean Genet » invitent les visiteurs à découvrir l’intimité d’un écrivain mystérieux à travers des manuscrits inédits. Une exposition de l’IMEC (Institut mémoires de l’édition contemporaine), signée Albert Dichy, qui raconte sa relation avec l’auteur.

Lorsque Jean Genet, Albert Dichy et David Bowie se rencontrent...

Manuscrit sur les Black Panthers et valise ayant appartenu à Jean Genet. Archives Jean Genet / IMEC

Albert Dichy, qui est directeur littéraire à l’IMEC et l’un des grands spécialistes de l’œuvre de Jean Genet, a rencontré pour la première fois l’auteur du Journal d’un voleur à Beyrouth. « Au début des années 70, alors que je faisais des études de littérature et de philosophie à l’École des lettres, j’ai participé à une réunion politique à laquelle était convié Jean Genet, qui était venu passer quelques jours dans les camps palestiniens. À partir de Beyrouth, il rayonnait dans différents camps de réfugiés au Liban, en Jordanie ou en Syrie. J’ai été frappé par le fait qu’il ne jouait pas au grand écrivain en visite chez les indigènes. J’avais rencontré Aragon, à la même époque, qui était venu pour le Festival de Baalbeck et qui était intervenu à l’université, mais on avait le sentiment qu’il ne voyait personne, une telle hauteur était inaccessible », se souvient celui qui a vécu à Beyrouth jusqu’à l’âge de 23 ans. « Lors de cette réunion organisée sur les Palestiniens, Jean Genet n’a pas souhaité parler de littérature, il ne voulait s’entretenir que de politique. Il s’intéressait aux gens, et il m’a confié qu’il est venu au Liban pour la première fois lorsqu’il avait 18 ans. Pour sortir de la maison de correction où il se trouvait, il s’était engagé dans l’armée du Levant et devait faire son service militaire en Syrie. Il avait alors débarqué à Beyrouth où il est resté trois jours. Il m’a dit que c’est là qu’il est tombé amoureux du monde arabe, qu’il découvrait.

À la fin de sa vie, il y est retourné à de nombreuses reprises, et, en 1982, il se trouvait au Liban pendant les massacres de Sabra et Chatila : il a été le premier Européen à entrer dans les camps, avant que les cadavres ne soient évacués. Il se trouvait avec Leila Chahid, qui était à cette époque-là une des responsables palestiniennes importantes. D’où son texte Quatre heures à Chatila  », poursuit Albert Dichy qui avait quitté le Liban en 1975, convaincu que le départ est provisoire. À Paris, il poursuit ses études universitaires et engage une thèse sur le théâtre de Genet. « J’hésitais avec Beckett, mais j’ai choisi Genet parce que j’ai pensé que j’apprendrais plus de choses en travaillant sur son œuvre : c’est un auteur qui me faisait un peu peur au début, même maintenant d’ailleurs…Comme beaucoup de gens, je suis rentré dans son œuvre par le théâtre, mais aujourd’hui, c’est surtout son œuvre romanesque qui m’intéresse, particulièrement les dernières, c’est-à-dire les textes qui sont un mélange de littérature et de politique. Ce mélange est tout à fait original et on a peu d’exemples de ce type dans la littérature française », constate le directeur littéraire, qui a participé à un centre de documentation autour de Genet, à Paris VII, avant de le faire fusionner avec l’IMEC (Institut mémoires de l’édition contemporaine).

Notes manuscrites sur divers supports (années 1970-1980).Archives Jean Genet / IMEC

Les archives contemporaines de l’abbaye d’Ardenne

C’est en 1988 que l’IMEC est créé à Paris. Il s’agit d’une institution importante, avec près de 700 fonds d’archives. « Les archives de Genet font partie des tout premiers fonds de l’institut, qui se délocalise en Normandie en 2004, dans l’abbaye d’Ardenne, indique Albert Dichy. Il s’est créé parallèlement aux Archives nationales et à la Bibliothèque nationale de France, et il réunit uniquement les archives d’auteurs contemporains qui n’étaient pas encore considérés à ce moment-là comme suffisamment notoires ou traditionnels pour entrer dans les collections. On a rassemblé de façon pluridisciplinaire des archives auxquelles personne ne s’intéressait : en sciences humaines, en psychanalyse, en sociologie, en philosophie, en nous centrant sur cette grande génération de la pensée française des années 1970 à 2000, avec les archives de Michel Foucault, Jacques Derrida, Althuser, Baudrillard ou encore Edgar Morin... En somme, l’IMEC est à mi-chemin entre l’université et l’institution d’archives traditionnelle. En parallèle, nous avons une programmation de débats, de rencontres avec des écrivains, de colloques et d’expositions », précise Albert Dichy, qui a organisé l’exposition sur Genet en tant que directeur littéraire et spécialiste de son œuvre.

Dans L'Orient Littéraire

Les valises d’un captif amoureux

Au cœur du projet, deux valises qui renferment une quinzaine d’année d’écriture à partir de 1967. « Si Genet a passé les dernières années de sa vie au Maroc, il a énormément voyagé, et il trimbalait son bureau ambulant un peu partout. Tout y est en vrac, et on a l’impression de se retrouver devant une sorte de caverne de Ali Baba : différents matériaux de travail y sont rassemblés.

On ne comprend pas très bien pourquoi certains éléments ont été conservés, entre les notes éparses, les projets de livres, les factures d’hôtel, les papiers administratifs, les ordonnances qu’il volait à des médecins, car il était un grand consommateur de somnifères... Et bien sûr, le manuscrit Un captif amoureux, qui est sorti à la fin de sa vie. Quinze jours avant sa mort, Genet a confié deux valises et une serviette à Roland Dumas qui était son avocat et avec qui il entretenait des liens privilégiés depuis la guerre d’Algérie. Ce dernier a finalement remis ces précieux documents à l’IMEC, à la fin de l’année dernière, et nous avons décidé de les exposer », explique l’auteur de Jean Genet, matricule 192.102 : chronique des années 1910-1944 (Gallimard, 2010).

Albert Dichy, curieux explorateur des « Valises de Genet ».Photo DR

« Finalement, c’est l’écriture qui gagne »

Albert Dichy tient à souligner l’émotion qui a accompagné la découverte de ces textes inédits et improbables, dont l’un, présenté dans l’exposition, est rédigé sur une coupure de journal extraite de L’Orient-Le Jour. « On y retrouve les traces de ses engagements auprès des Black Panthers ou des Palestiniens, qui sont les deux mouvements qu’il a principalement soutenus. Contrairement à d’autres intellectuels européens, Genet ne faisait pas de déclarations, mais il accompagnait les mouvements qu’il soutenait, il allait sur place. Au-delà du soutien intellectuel, il s’impliquait personnellement, allant même peut-être jusqu’à une “implication amoureuse”, formule qu’il utilise dans Un captif amoureux.

On retrouve tout ce parcours dans ses notes inédites qui constituent des écrits à chaud, sur le terrain, dans les camps de réfugiés et dans les ghettos noirs. Nous avions jusque-là des articles publiés sur ces deux mouvements ou une récapitulation ultérieure dans son dernier roman, mais ce qu’on a trouvé de nouveau est extrêmement précieux », indique l’archiviste avec enthousiasme.

D’autres découvertes sont encore plus inattendues. Dans la dernière partie de sa vie, Jean Genet s’intéressait au cinéma, et un scénario de film avait même vu le jour. « Je savais que Genet avait un autre projet en tête, mais j’ignorais qu’il l’avait vraiment écrit, à la demande de David Bowie, qui rêvait de jouer le rôle de Divine, le personnage de son premier roman, Notre-Dame des Fleurs. Le chanteur avait convaincu un producteur anglais de tourner le film. Or, nous avons retrouvé le scénario de ce film, ce qui est une surprise parce que, durant toute sa période politique, l’auteur martelait qu’il avait complètement rompu avec son œuvre littéraire précédente, qu’il ne s’y intéressait plus. Le scénario est plus politisé que le roman, et il donne encore plus d’importance à la question homosexuelle. Ce texte nous était inconnu, et il est terminé, il sera probablement publié », ajoute Albert Dichy, qui a mis en lumière un aspect beaucoup plus intime dans le rapport que Genet entretenait avec l’écriture.

« Ce qui m’a frappé, c’est que les notes que nous avons découvertes sont rédigées sur des supports invraisemblables, parfois de tout petits papiers. On a trouvé un bloc-notes où toutes les pages sont vierges, sauf la couverture qui est entièrement remplie d’annotations. Je me suis rendu compte que cela correspondait à l’accident biographique important de la vie du dramaturge qui a beaucoup souffert du suicide de son compagnon Abdallah pour lequel il avait écrit Le Funambule, un texte magnifique. Le jeune homme est tombé deux fois du fil et il a dû cesser cette activité ; ils s’est finalement suicidé en 1967. Genet, qui avait encouragé son ami à pratiquer le funambulisme, s’est senti responsable et a décidé de ne plus écrire. Il a fait vœu de silence et n’a rien écrit pendant 3 ans, et puis il a commencé à s’intéresser à la politique. À travers cette trajectoire, il revient à la vie, et ce qui est très émouvant dans les valises, c’est qu’on voit qu’avec le goût de la vie, l’écriture revient en lui, malgré lui, sur des fragments arrachés.

« Here and Now for Bobby Seale », brochure publiée par le Committee to Defend the Panthers, New York, septembre 1970. Archives Jean Genet / IMEC

Les valises révèlent une sorte de guerre intérieure où, finalement, c’est l’écriture qui gagne, et il finit par rédiger

Un captif amoureux, son ouvrage testamentaire, à l’aide des documents de sa valise, tout en mentionnant sa bouche cousue. C’est en explorant les valises que j’ai compris ce qu’il voulait dire par là », conclut le commissaire de l’exposition qui est en train de préparer un livre de souvenirs autour de l’autre grand auteur qui a marqué sa vie, Georges Schéhadé. Les archives du poète libanais se trouvent à l’IMEC, tout comme celles d’Andrée Chédid, de Vénus Khoury-Ghata et d’Adonis.

« Les Valises de Jean Genet » ont reçu jusqu’ici un accueil très positif ; les adeptes de cet auteur aux multiples visages, et tous ceux qui sont touchés par sa marginalité et ses rapports tortueux avec l’écriture pourront les découvrir jusqu’au 27 mars à l’abbaye d’Ardenne, à quelques kilomètres de Caen. Le catalogue de l’exposition a été publié aux éditions de l’IMEC.

Albert Dichy, qui est directeur littéraire à l’IMEC et l’un des grands spécialistes de l’œuvre de Jean Genet, a rencontré pour la première fois l’auteur du Journal d’un voleur à Beyrouth. « Au début des années 70, alors que je faisais des études de littérature et de philosophie à l’École des lettres, j’ai participé à une réunion politique à laquelle était...

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