"Dans un pays (la Turquie) où des milliers de personnes sont emprisonnées pour des raisons politiques, c'est notre devoir d'exiger la liberté, pas seulement pour nous, mais pour quiconque a été soumis à l'injustice", a réagi sur Twitter M. Sabuncu.
La Cour n'a toutefois condamné Ankara que pour la violation des articles 5.1 (droit à la liberté et à la sûreté) et 10 (liberté d'expression) de la Convention européenne des droits de l'homme à l'encontre de huit des 10 journalistes, deux d'entre eux ayant eu depuis gain de cause sur ces points devant des tribunaux turcs. Placé en détention provisoire en novembre 2016, l'un des requérants n'était par exemple sorti qu'en avril 2018.
"Simples soupçons"
Leur interpellation et leur emprisonnement, quelques mois après le putsch manqué de juillet 2016 contre le président Recep Tayyip Erdogan, avaient eu lieu en raison de "la ligne éditoriale suivie par le quotidien Cumhuriyet, dans ses articles et dans les médias sociaux, critiquant certaines politiques gouvernementales", rappelle la Cour dans un communiqué.
Pour justifier leur détention, la justice turque avait estimé "qu'il existait de forts soupçons selon lesquels les intéressés étaient responsables des activités permanentes du quotidien Cumhuriyet consistant à faire la publicité et la propagande d'organisations terroristes", poursuit la CEDH. Ils étaient notamment accusés de faire la propagande du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) et du FETÖ, acronyme désignant le réseau du prédicateur Fethullah Gülen, accusé par Ankara d'avoir fomenté le coup d'Etat avorté de 2016. Plusieurs d'entre eux, dont M. Sabuncu, avaient ensuite été condamnés par la justice turque pour avoir "aidé des groupes terroristes".
L'"affaire Cumhuriyet", baptisée ainsi en Turquie, illustre pour les ONG l'érosion de la liberté de la presse sous la présidence de M. Erdogan, en particulier depuis le putsch manqué, suivi d'une répression massive. Pour autant, l'interpellation et le maintien en détention provisoire de ces journalistes "reposaient sur de simples soupçons et non pas sur des raisons plausibles", pointe la juridiction paneuropéenne.
Elle relève que "les interventions dont les requérants ont été tenus pénalement responsables" relevaient au contraire "de débats publics sur des faits et événements déjà connus" et ne contenaient "aucun soutien ni promotion de l'usage de la violence dans le domaine politique".
Elles ne comportaient aucun "indice au sujet d'une éventuelle volonté des requérants de contribuer aux objectifs illégaux d'organisations terroristes", épingle encore la CEDH.
"Des excuses!"
La Cour estime aussi que cette "ingérence dans l'exercice du droit à la liberté d'expression" est contraire à la loi turque, dans la mesure où elle exige explicitement que des "éléments factuels permettant de soupçonner fortement une personne d'avoir commis une infraction" existent, "ce qui n'était pas le cas".
En conséquence, la Turquie devra verser 16.000 euros pour dommage moral à chacun des huit journalistes, qui ont depuis tous quitté Cumhuriyet. "Je redis ce que j'ai dit devant la porte de la prison : je veux des excuses!", a tweeté de son côté Musa Kart, un caricaturiste réputé.
En revanche, la Cour, également saisie pour la violation des articles 5.4 (droit à faire statuer à bref délai sur la légalité de sa détention) et 18 (limitation de l'usage à des restrictions aux droits), a débouté les 10 journalistes sur ces deux points.
Régulièrement accusée par les ONG de porter atteinte à la liberté de la presse en arrêtant des journalistes et en fermant des médias, la Turquie occupe la 157e place sur 180 au classement 2019 de la liberté de la presse établi par Reporters sans frontières.
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