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Monde - Rencontre

Raphaël Pitti : le combat syrien d’un médecin français

Le professeur était à Beyrouth du 19 au 23 octobre pour une opération humanitaire et médicale auprès des sinistrés organisée par l’UOSSM.

Raphaël Pitti : le combat syrien d’un médecin français

Raphaël Pitti rencontrant les équipes de l’hôpital Saint-Georges, le 21 octobre. Photo Alexandra Henry/UOSSM

Il est midi dans les étages de l’hôpital Saint-Georges. D’un pas sûr, Raphaël Pitti, professeur et médecin anesthésiste-réanimateur, arpente les étages, dont certains témoignent encore de la violence du drame. Plus de deux mois après les explosions du port de Beyrouth qui ont soufflé la ville, le centre médical universitaire n’est pas tout à fait remis sur pied. Des débris jonchent le sol, des faux plafonds et des spots pendillent et des traces de sang tachent les murs. Un palier en-dessous, du personnel grouille dans les couloirs et s’affaire auprès des patients. Devant la vitre de la pouponnière, le médecin français s’arrête devant un nouveau-né emmailloté. C’est là que, quelques mètres plus loin le 4 août, les sages-femmes ont fait accoucher une mère à même le sol. Raphaël Pitti ne connaît que trop bien ce genre de situation de crise. En 2012, il échappe au bombardement de l’hôpital d’al-Dana, dans la province d’Idleb, en Syrie. « Ce qui est extraordinaire c’est que les gens restent à leur poste dans les moments de crise. Je l’ai vu en Syrie constamment et là au Liban. Ce sont des gestes d’héroïsme qui me touchent et qui prouvent qu’il y a du bon dans l’homme », confie-t-il. L’Union des organisations des secours et soins médicaux (UOSSM), dont il est l’une des figures, s’est portée solidaire en récoltant des dons pour venir en aide au personnel soignant d’hôpitaux touchés par la catastrophe.

Dans le salon d’un hôtel de Hamra, Raphaël Pitti narre sa vie comme une histoire. Et prend aux tripes. Ses grands yeux bleus s’embuent à l’évocation du drame syrien. Puis il se met à rire en repensant à des situations cocasses, souvent dangereuses, et raconte avec tendresse la vie de ces personnages qui ont jalonné son chemin. « Je n’étais pas Jeanne d’Arc, j’ai compris que j’avais toutes les raisons d’être en Syrie, que je devais être un pont entre les uns et les autres. » Il a grandi dans le monde arabe, a connu l’exil, l’exclusion et a vu les guerres de près. Rien ou presque ne le différencie de ces déshérités à qui il vient porter secours.

C’est à Oran, en Algérie, en 1950 que Raphaël Pitti est né dans une famille florentine contrainte de fuir la montée de Mussolini et la crise économique de 1929. Le père, qui avait eu un précepteur, élève ses trois filles et son fils dans des conditions modestes. « On ne se sentait pas pied-noir, on ne pouvait pas être partie prenante dans la guerre », raconte-t-il. À onze ans, le jeune Raphaël est témoin des horreurs qui bouleversent le pays. Un jour, alors qu’il jouait aux boules avec ses camarades dans la rue, une voiture de l’OAS (Organisation de l’Armée secrète) ouvre le feu sur des gens faisant la queue devant la Sécurité sociale. Il se souvient aussi de cet homme couvert d’un voile blanc qui courait dans les rues commerçantes d’Oran, de la panique des gens qui hurlaient « un Arabe, un Arabe », des balles qui fusaient dans la cuisine familiale ou de l’OAS qui venait racketter sa mère tous les mois.

Algérie nouvelle

L’indépendance en 1962 pousse des milliers de familles à fuir le pays. Les Pitti embarquent dans la cale d’un bateau pour Marseille où la Croix-Rouge accueille les immigrés. Pendant un mois et demi, le jeune Raphaël, ses sœurs et leur mère attendront au port de La Joliette le père dont ils n’ont aucune nouvelle. Il s’installe ensuite à Paris dans une chambre qu’il partage avec deux de ses sœurs. Une période sombre où l’enfant perd ses repères. À l’école, il sera ce « pauvre », cet « indigent » à qui le maître donne des cahiers et des stylos, comme pour mieux le marquer au fer rouge devant ses petits camarades. Puis, c’est le retour dans une Algérie nouvelle, cosmopolite et les années au Lycée français. Deux bacs en poche, Raphaël Pitti part ensuite à Nice faire médecine et travaille comme pompier, distribue le journal ou débarque les camions de légumes sur les marchés avec un ami polonais. Le jeune interne dévie du chemin qui paraît tout tracé et s’engage au sein de l’armée. La suite est faite de rencontres et d’anges gardiens. Il y a d’abord le professeur Rouvier, médecin anesthésiste-réanimateur, chef de service d’un hôpital de Lorient qui le prendra par la main et lui transmettra la passion d’enseigner. Mais aussi et peut-être surtout sœur Marthe, une chti au grand cœur et à la carrure imposante, rencontrée en 1978 lorsqu’il était dans les commandos à Adra, un petit village de Djibouti. Une femme à la foi profonde, qui n’en fera jamais mention, qui lui a tout appris de l’humanitaire.C’est à l’époque de la guerre du Golfe qu’il situe le grand tournant de sa vie, après six mois de doutes et de colère dans le désert. On est à la veille de l’invasion terrestre et les chances d’y laisser sa peau sont grandes. En prévision d’une attaque au gaz sarin, les militaires français se voient donner un comprimé et Raphaël Pitti s’endort dans son ambulance, léguée par les Saoudiens. « Le lendemain, j’ai ressenti une joie profonde, comme si on m’avait délesté d’un poids, la peur était partie, j’acceptais de mourir. J’ai accéléré à fond et roulé tout droit alors que ça tirait au-dessus de nos têtes », raconte-t-il. À bord d’un hélicoptère, il rapatrie trois blessés graves, dont un haut gradé se vidant de son sang après avoir sauté sur une mine.

L’expérience lui fait prendre conscience qu’il doit mettre de l’ordre dans sa vie et sa foi se renforce. Il prend un poste à l’hôpital militaire de Metz, puis décide de passer la première agrégation d’urgence et de catastrophe pour le service de santé des armées. Quelques années plus tard à Paris, lors d’un dîner chez le Pr Rouvier, il rencontre un colonel amputé des deux jambes qui avait lui aussi connu sœur Marthe. « Je me suis rendu compte que c’était également le même homme que j’avais sauvé en Irak le jour de l’invasion », révèle-t-il.

Raphaël Pitti. Photo Alexandra Henry/UOSSM

La Syrie laissée à Poutine

Février 2020. Tout le monde ou presque semble avoir détourné le regard du drame syrien. Sur le plateau de France 5 où il est invité, Raphaël Pitti fond en larmes face caméras en évoquant l’exode des civils fuyant les bombardements incessants du régime dans la province d’Idleb. « J’ai une idée de la France... Et de nos valeurs... », lâche le médecin. Après 9 années au sein de l’UOSSM, fondée par des médecins syriens en France, et plus d’une vingtaine de voyages en Syrie, l’humanitaire n’a que des mots durs envers ceux qui ont abandonné le pays. Contre Emmanuel Macron qui « a laissé ce pays à Poutine », et qui aujourd’hui « chasse sur les terres de l’extrême droite » en tenant un discours qui « n’a rien à envier à celui de Sarkozy ». Derrière la tragédie, il y a ces hommes et ces femmes qu’on relègue au second plan. Une diabolisation perpétuelle d’un camp qu’on déshumanise, alors que persiste une tendance chez une partie des chrétiens d’Orient comme d’Occident à se ranger derrière Assad au motif qu’il prétend défendre les minorités. « La foi est un engagement et non pas une identité. Ce n’est pas le message du Christ. On ne peut pas être chrétien et ne pas s’engager », dit-il en citant la Parabole des talents.

Son engagement en Syrie a permis de mettre en lumière la violence d’un système ciblant volontairement les hôpitaux, les centres médicaux et les civils. Mais il lui aura aussi permis de former, avec le président de l’UOSSM, Dr Ziad Alissa, et d’autres, des médecins et des équipes pris au piège. La situation est d’autant plus urgente alors que nombre d’entre eux ont fui le pays, poussant aux commandes des étudiants ou des gens apprenant sur le tas. En 2013 à Ersal, l’équipe s’installe durant 18 mois dans un appartement clandestin pour former des médecins de la Ghouta. En 2013, à Alep, malgré les bombes et les snipers, il restera fidèle au poste. Il y croise même des médecins de l’État islamique venus suivre ses cours. L’un d’entre eux est arrivé un jour des cadeaux sous le bras, annonçant qu’une faculté de médecine était en train d’être montée à Raqqa et qu’il pouvait les joindre. « Il y a plein de Français vous savez », lui dira-t-il. Les multiples expéditions syriennes du médecin hérissent le poil du renseignement français. D’autant que celui-ci entre illégalement sur le territoire et a risqué plus d’une fois de se faire enlever par al-Nosra (branche syrienne d’el-Qaëda en Syrie) lors de contrôles à des check-points. Pour rejoindre l’hôpital de Bab al-Hawa, il réussit à tromper les gardes-frontières turcs, muni d’une fausse carte d’identité syrienne. « Rifaat al-Saghir, pour Raphaël Pitti », s’esclaffe-t-il. Il a parfois eu affaire à des passeurs, a couru à travers champs, de nuit, s’est faufilé à travers des barbelés, tout ça en surveillant les miradors avant de sauter dans un van. Mais le risque en vaut la chandelle. Les médecins ont besoin de lui, du « chef » comme ils le surnomment. Il y a cette femme de ménage sans mari avec deux enfants à charge, passée infirmière puis sage-femme, pas vraiment qualifiée mais à qui il remettra quand même un diplôme sous les applaudissements. « Elle s’est rassise et a brandi le document en criant “c’est le premier diplôme de ma vie” », se souvient-il, très touché. Ou cette autre qui lui glissait quelques mots en français lors de la formation et qui, le jour de la cérémonie, s’est lancée dans un discours lyrique en guise de remerciements, s’est tue, puis s’est mise à chanter à pleins poumons dans un français cassé Savez-vous planter des choux à la mode de chez nous.

Au-delà de l’enseignement qu’il a pu prodiguer, Raphaël Pitti fera sortir à deux reprises les preuves de l’utilisation d’armes chimiques par le régime Assad. Après l’attaque contre Saraqeb en 2013, d’où il rapportera des prélèvements de gaz sarin, mais aussi de Khan Cheikhoun en avril 2017. « J’ai été formé dans la violence, la guerre, ma place est avec les médecins en Syrie. Je suis là où je dois être, je ne me pose pas d’autres questions, et je fais confiance », conclut Raphaël Pitti qui espère retourner en Syrie au plus vite.


Autobiographie : Va où l'humanité te porte, Tallandier, 2018


Il est midi dans les étages de l’hôpital Saint-Georges. D’un pas sûr, Raphaël Pitti, professeur et médecin anesthésiste-réanimateur, arpente les étages, dont certains témoignent encore de la violence du drame. Plus de deux mois après les explosions du port de Beyrouth qui ont soufflé la ville, le centre médical universitaire n’est pas tout à fait remis sur pied. Des débris...

commentaires (2)

Un Héros au service de l'humanité. Merci pour les soins , les formations médicales si importantes et surtout un grand merci de dire la vérité de ce qui se passe sur le terrain .Que Dieu vous bénisse cher Héros !

omais samih

12 h 29, le 28 octobre 2020

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Commentaires (2)

  • Un Héros au service de l'humanité. Merci pour les soins , les formations médicales si importantes et surtout un grand merci de dire la vérité de ce qui se passe sur le terrain .Que Dieu vous bénisse cher Héros !

    omais samih

    12 h 29, le 28 octobre 2020

  • Ce docteur est un veritable heros......un chretien aidant les musulmans,luttant contre le mal en refusant de s enfermer dans aucune ideologie .....

    HABIBI FRANCAIS

    08 h 23, le 28 octobre 2020

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