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Culture - Musique

Cyril Mokaiesh, entre oud et synthés

Comme un voyage au creux des ramifications de son arbre généalogique, comme une passerelle secrète entre le Liban de ses racines et la France de ses ailes, le chanteur vient de sortir son album « Paris-Beyrouth »...

Cyril Mokaiesh sur l’escalier de Gemmayzé, à Beyrouth. Photo DR

La France l’avait découvert en 2011, à la faveur de l’album Du rouge et des passions dont les textes, comme des coups de poing, et la texture de feu follet avaient laissé supposer que les fées Brel, Ferré et Gainsbourg se seraient penchées, depuis l’au-delà, sur son berceau. Mais au lieu de lui construire un arbre généalogique fantasmé, il aurait suffi de s’attarder un instant sur le patronyme du garçon pour y déceler un parfum méditerranéen, des racines orientales, quelque chose même de libanais. Des racines que Cyril Mokaiesh, « après avoir embarqué, à l’improviste, pour un vol en direction de Beyrouth », a décidé de déchiffrer avant, une fois de retour à Paris, de les enrubanner dans les sonorités résolument électro du producteur Valentin Montu pour donner naissance à son opus Paris-Beyrouth.

Capharnaüm et Mar-Khalifé

Jusqu’alors, résidant à Paris depuis la naissance, Cyril Mokaiesh ne conservait dans les soupentes de sa mémoire que quelques souvenirs jaunis du Liban de son père, glanés au fil de ses brefs voyages à Beyrouth. « Je me souviens d’un séjour marquant, à l’âge de 16 ans, qui coïncidait avec mon virage du tennis, dont je voulais faire une carrière, vers la musique où je me suis définitivement retrouvé », confie celui qui, en marge des albums qu’il créera par la suite en France, n’a cessé de boire à la source orientale, tantôt les mélodies de Bachar Mar-Khalifé, tantôt le Capharnaüm de Nadine Labaki « qui (l)’a profondément marqué ». Si bien qu’en octobre 2018, il achète au hasard un billet pour Beyrouth, « besoin d’un retour aux sources, besoin d’un nouveau départ et d’un regard neuf. Le génie, c’est l’enfance retrouvée à volonté, disait Baudelaire ». Ici, partageant ses journées entre la maison familiale de Zokak el-Blat, la terrasse de l’hôtel Mechmoch sur l’escalier de Gemmayzé où il se prélasse sous le soleil épicé, et autant de rencontres improvisées avec « des gens formidables qui sont devenus des amis », le chanteur redécouvre puis renoue avec une ville « passionnelle, magnétique, qu’on aime tellement qu’elle finit parfois par nous dévorer ». Une ville qui lâche la bride à sa créativité et dont il revient avec l’envie de l’écrire et d’y apposer les sons du producteur Valentin Montu. C’est ainsi qu’éclôt le projet Paris-Beyrouth, sorte de passerelle secrète entre deux villes que Mokaiesh porte en lui comme deux faces d’une même médaille, comme deux côtés d’un miroir.

À la croisée des mondes

De fait, comme son titre le suggère, l’opus se parcourt comme on largue les amarres pour un vol en terre inconnue, « une culture que j’ai en moi comme un feu que je ne maîtrise pas ». Il hésite sans cesse entre deux mondes, deux territoires musicaux où s’entrelacent oud et synthés, mais aussi, et surtout, il contient toutes les facettes de la personnalité artistique de Mokaiesh. Le rêveur engagé et le « dévoreur de journaux », l’amoureux exalté et le batailleur au cœur d’un monde « dont les inégalités (l)e rendent fou ». Dans ce voyage vers le paysage sentimental du chanteur aux cordes vocales de velours, on croise le oud dentelé de Ziyad Sahhad qui vient zébrer la voix brûlante de Razane Jammal sur le duo Au nom du père. « J’avais envie de faire chanter une comédienne, c’est un exercice qui me plaît. Après avoir vu son film Carlos, j’ai spontanément envoyé un message à Razane sur Instagram. Aussitôt, elle s’est prêtée au jeu, a débarqué à Paris sans qu’on ne se connaisse auparavant. C’était risqué, mais en une seule prise, j’ai compris que c’était un bon choix. Razane a donné aux mots toute leur ampleur », dit-il. On se laisse tournebouler dans les dédales de Bachar Mar-Khalifé, « ce foutu désordre » qu’assène Mokaiesh sur le refrain du titre La vie est ailleurs. On se heurte au phrasé saccadé de Sòphia Moüssa sur La lueur, « enregistré dans un bar de Badaro », et on s’électrise dès les premières notes tempêtes de Le grand changement. Un grand changement, comme, peut-être, un clin d’œil à la révolution d’octobre que Mokaiesh décrit « comme un bain de jouvence, l’éveil des Libanais qui se sentent citoyens pour la première fois ». Cette révolution qui ne lui donne aujourd’hui qu’une envie : revenir pour un concert à Beyrouth. Et on l’y attend de pied ferme.

La France l’avait découvert en 2011, à la faveur de l’album Du rouge et des passions dont les textes, comme des coups de poing, et la texture de feu follet avaient laissé supposer que les fées Brel, Ferré et Gainsbourg se seraient penchées, depuis l’au-delà, sur son berceau. Mais au lieu de lui construire un arbre généalogique fantasmé, il aurait suffi de s’attarder un instant...

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