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Monde - Éclairage

L’étau se resserre autour des médias égyptiens

Depuis 2014, la politique du président Sissi ne fait que renforcer le régime de criminalisation qui pèse sur la presse. Un texte de loi pourrait désormais officialiser une répression déjà de mise.

Photo d’archives montrant les membres du Parlement égyptien réunis en session. Photo d’archives AFP

Alors que le Parlement égyptien examine l’amendement de la loi antiterroriste de 2015, certains médias critiques du pouvoir pourraient désormais être renvoyés au rang d’organisations terroristes.

Le 27 janvier dernier, la commission des Affaires législatives et constitutionnelles du Parlement avait validé un projet d’amendement de la loi n° 8 de 2015 qui définit les « association, organisations ou groupes » terroristes. Le texte proposé vise spécifiquement les journalistes, faisant mention des « canaux de transmission audiovisuels ou papier, ainsi que les stations de radio et les médias présents sur les réseaux sociaux ». En cas de vote, certaines chaînes de télévision, radios ou médias en ligne pourraient ainsi être catégorisés comme terroristes – et punis comme tels. En incluant les sources émises « de l’intérieur ou de l’extérieur du pays », le texte vise plus spécifiquement certaines chaînes liées aux Frères musulmans et diffusant depuis la Turquie ou le Qatar.

L’argument financier est une arme avancée par le pouvoir pour fragiliser l’opposition, dans la mesure où les médias visés pourraient être privés de leurs droits et perdre leur accès à toute forme de subvention. « L’État égyptien saura se montrer généreux dans son soutien à la presse tant que celle-ci remplira les objectifs qui lui sont fixés », déclarait récemment le Premier ministre Mostafa Madbouly. Pour les principaux concernés, l’accès à ces subventions est pourtant une inquiétude secondaire face à l’ampleur d’une censure bien plus directe : « Les rares médias indépendants qui demeurent sont censurés dans le pays : leur site internet est bloqué et impossible d’accès », précise Sabrina Bennoui, responsable du bureau Moyen-Orient à Reporters sans frontières (RSF).



(Lire aussi : Égypte : des employés d'un média turc accusés de "fausses nouvelles")


« Une des plus grandes prisons pour les journalistes »

Considérée comme l’un des pays les plus liberticides pour la presse, l’Égypte représente « l’une des plus grandes prisons pour les journalistes, parmi les trois pays au monde qui comptent le plus de journalistes incarcérés, derrière la Chine et l’Arabie saoudite », souligne Sabrina Bennoui.

En 2019, « 49 journalistes ont été tués, 389 sont actuellement en détention et 57 sont otages », signale un rapport publié par RSF en décembre 2019. En novembre dernier, l’arrestation de quatre journalistes et la perquisition des locaux du site d’information en ligne Mada Masr avaient inquiété quant à la volonté du pouvoir d’achever l’un des derniers bastions du journalisme indépendant dans le pays, connu pour ses enquêtes et prises de position critiques. En janvier, des journalistes de l’agence de presse turque Anadolu avaient été arrêtés au Caire pour avoir diffusé de « fausses nouvelles » sur l’Égypte. Ces développements reflètent la politique du président Abdel Fattah al-Sissi qui, depuis son arrivée au pouvoir en 2014, œuvre à étouffer toute voix discordante en criminalisant le travail médiatique, universitaire ou militant, accusé de « terrorisme » ou de « conspiration ». En ligne de mire, les journalistes, mais également les dissidents politiques, les défenseurs des droits de l’homme ou des chercheurs.

S’il était voté cette semaine, l’amendement viendrait renforcer un arsenal juridique déjà existant visant à mobiliser le droit au service de la répression. En novembre dernier, une loi sur la réglementation des médias avait été dénoncée comme liberticide, tout particulièrement pour les médias indépendants qui se voyaient imposer des coûts financiers supplémentaires fragilisant leur survie. « La mise en application de la loi sur la réglementation des médias renforce encore un peu plus le climat de répression sur le net. Les journaux en ligne doivent désormais faire une demande d’enregistrement auprès des autorités. Pour les sites déjà bloqués par le gouvernement, l’obtention de l’autorisation semble impossible. Dans le cas où ils l’obtiendraient, rien ne garantit que ces sites pourraient redevenir accessibles », s’inquiétait RSF dans son rapport de décembre.



(Pour mémoire : Égypte : 2 journalistes et un avocat accusés de liens avec un groupe "terroriste")



L’arsenal juridique n’est pas le seul moyen mobilisé par le pouvoir pour étouffer la liberté de la presse. « En septembre, suite à des manifestations antipouvoir, les autorités ont mené la vague d’arrestations la plus importante depuis l’arrivée au pouvoir de Abdel Fattah al-Sissi, une vague qui a touché des journalistes, et qui montre à quel point la presse a été complètement étouffée », rappelle Sabrina Bennoui.

L’amendement du texte de loi poursuit donc une pratique autoritaire caractéristique du régime en place. Le vote du Parlement pourrait simplement permettre de faciliter davantage encore ce travail en fournissant de nouvelles bases légales à la criminalisation du métier. Au-delà du danger qui pèse sur les professionnels du secteur et une censure de fait, l’amendement pourrait du reste encourager une autocensure.


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