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Culture - Livres

La voix des minorités d’Orient, ces oubliés de l’histoire

On s’était promis que l’histoire, celle sanglante et injuste, ne recommencerait pas. Et pourtant, elle revient en force, brutale et violente. Tigrane Yégavian, journaliste et arabisant, la restitue à travers un essai tranchant.


Tigrane Yégavian. Photo DR

Depuis une vingtaine d’années, Tigrane Yégavian, diplômé de Sciences Po à Paris et des langues O, fouille le drame des alaouites, des yézidis, des Kurdes, des Arméniens, des chrétiens d’Orient et des coptes d’Égypte. Journaliste et arabisant, il signe aujourd’hui un essai tranchant qui ne craint pas de déranger, mais éclairant, intitulé Minorités d’Orient, les oubliés de l’histoire (édition du Rocher - 226 pages).

Avec l’effondrement de l’Empire ottoman à la fin de la Première Guerre mondiale, la débâcle fut profonde depuis 1915, date charnière du génocide arménien. Et voilà que le chapelet des dérives, des intolérances et des vexations suit dans une région instable et dominée par les profondes luttes intestines communautaires en chaque nation et chaque pays. Pas plus loin que l’année 2014, on a vu avec effarement et inquiétude les images des yézidis du Sinjar ou des chrétiens de la plaine de Ninive fuyant le groupe État islamique.

Pour beaucoup, cette tragédie a été vécue et ressentie comme un remake des horreurs et de l’injustice de 1915.

Mêmes lieux, mêmes victimes, mêmes réactions molles et vagues de la communauté internationale, même indignation (de façade ?) face à une inadmissible barbarie surgie de nulle part et montée de toutes pièces…

Depuis le printemps arabe, les guerres se multiplient et le chaos règne en terre d’Orient, bien lointaine de ce temps béni où les orientalistes européens voyageaient pour le plaisir, la lumière, la sensualité et la découverte.

Si les dramatiques événements de l’été 2014 ont permis de sensibiliser quelque peu l’opinion sur l’urgence de secourir les minorités du Moyen-Orient opprimées ou réduites à des cases et des cas particuliers, et souvent sans ménagement vu la loi du plus grand nombre et d’une certaine écrasante explosion démographique, les nœuds et les dissensions sont loin d’être dénoués ou résolus.

Citoyennes à part entière dans certains pays, protégées (quel terme condescendant) ou discriminées (pour ne pas dire presque persécutées) dans d’autres, ces communautés (souvent lovées sur elles-mêmes) évoluent dans des contextes sociaux, culturels et politiques qui ont chacun sess propres normes, sa singularité, son (auto)-défense, spécificité. Les englober dans un tout homogène n’est pas une piste à suivre et brouille l’ensemble.

Du Liban, pays refuge menacé dans son existence, à l’exception jordanienne, en passant par les coptes d’Égypte pris entre le marteau autoritaire et l’enclume islamiste, la Syrie où le chrétiens sont charriés dans la guerre complexe qui se prolonge, une Palestine où les chrétiens sont en voie d’extinction ou encore l’Irak, les chapitres se succèdent, ne se ressemblent pas. Avec leurs réalités précaires tourmentées.

Des communautés, loin de toute tranquillité suite à un environnement peu sécurisant, qui se « diasporisent » sous le regard d’une tradition de bienveillance française artificiellement entretenue et d’une Russie mère de l’orthodoxie au secours peu efficace… Le salut par les armes est un échec retentissant pour la plupart. Quel dialogue islamo-chrétien ? Comment parler de citoyenneté quand on se heurte au droit coutumier ? Autant d’embûches pour se préparer à un grand débat. Et c’est l’enjeu et le déblayage de cet ouvrage à horizon ouvert.

Lucide et sans complaisance

Ce livre de Tigrane Yégavian, dédié à son père, enfant d’Alep naguère, aujourd’hui exilé, richement documenté, méticuleusement fouillant les détails et les strates de l’histoire, écrit dans une langue française élégante, fluide et transparente, jette un éclairage, si ce n’est neuf, du moins lucide et sans complaisance, sur des tranches de populations qui n’ont pas fini de vivre un certain malheur…

On reprend les termes de l’auteur pour planter le décor de cette analyse qui ne manque ni de punch ni de volonté de paix : « Les minorités sont à la mode. Faute de consensus, ce terme épouse des contours flous, voire poreux. Aux États-Unis et en France, on parle de “minorités agissantes” ou encore de minorités visibles, dans des cas extrêmes de “dictature des minorités”. Si en Occident l’idéal multiculturaliste est dans l’air du temps, les rivages de la Méditerranée orientale offrent un tout autre spectacle… » écrit Yégavian.

Le vivre-ensemble, pacifique et respectueux, n’est pas une chose ni aisée ni facile. Et quoi qu’on en dise, le pays du Cèdre n’est pas non plus un exemple parfait de ces situations explosives.

Ce livre, véritable décryptage d’un terrain miné, est une lecture courageuse et consciente de tous les non-dits du fait minoritaire en Orient.

Déconstruisant plusieurs mythes comme celui des Kurdes protecteurs des minorités ou du rôle traditionnel de la France – aujourd’hui diplomatie courtoise et distante – à l’égard des chrétiens, l’auteur entend ainsi débattre d’un sujet épineux et qui fâche en parlant des minorités d’Orient, de leur présent et de leur avenir à la lumière des leçons de leur passé…Préparer ce débat est l’urgence de ce livre. Parler, loin de tout credo de croyance ou de fanatisme religieux, d’appartenance à un pays, d’identité, de citoyenneté. « Après des années d’indifférence, est venu le temps de la compassion, conclut Tigrane Yégavian, tandis que la réflexion se fait attendre. Il paraît de plus en plus urgent de séculariser ce qui peut encore l’être, tout comme se préparer au débat. » Mais franchement, peut-on vraiment parler ?

« Minorités d’Orient, Les oubliés de l’histoire » de Tigrane Yégavian - 225 pages, édition du Rocher, en vente en librairie.


Depuis une vingtaine d’années, Tigrane Yégavian, diplômé de Sciences Po à Paris et des langues O, fouille le drame des alaouites, des yézidis, des Kurdes, des Arméniens, des chrétiens d’Orient et des coptes d’Égypte. Journaliste et arabisant, il signe aujourd’hui un essai tranchant qui ne craint pas de déranger, mais éclairant, intitulé Minorités d’Orient, les oubliés de...

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