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Culture - Théâtre

« 1975-2019 », guerre et révolution, témoignages et projections...

S’inspirant librement du roman « L’école de la guerre » d’Alexandre Najjar en langue française publié en 1999, la metteuse en scène Lina Abiad a tiré, adapté, traduit en arabe et exposé sous les feux de la rampe de l’Irwin Hall (LAU) ce texte en quatorze séquences où la guerre civile libanaise est revisitée. Et comme une imbrication indissociable, l’a lié aux mouvements révolutionnaires et de contestation d’aujourd’hui... En une célébration pour la fin de la guerre.

Sur une scène minimaliste, « 1975-2019 » de Lina Abiad, dévoile des témoignages de la guerre civile libanaise et des mouvements révolutionnaires et de contestation d’aujourd’hui. Photo Mohammad Tarek Majzoub

Sur une scène absolument nue, d’un efficace minimalisme pour le sujet traité, deux microphones et appareils de projection, avec grand écran au fond de l’aire scénique, sont placés sur de hauts tabourets blancs. Du plafond, pleut un sable fin qui s’amoncelle sur le plancher. Sable couleur de sang, comme un rappel des barricades érigées entre factions adverses et miliciens de camps opposés ? Ou tout simplement notion de sablier pour un temps qui passe? Ainsi commence la pièce de Lina Abiad 1975-2019, librement inspirée du roman L’école de la guerre d’Alexandre Najjar et présentée le jeudi 12 décembre sur la scène du Irwin Hall de la Lebanese American University avant de migrer vers les planches du théâtre al-Madina pour une représentation unique demain dimanche 15 décembre.

Alors, derrière ces micros et dans cette scénographie épurée de galerie d’art qui ouvre ses portes et cimaises au public, vont défiler quatorze jeunes gens et jeunes filles. Leurs visages sont projetés sur les écrans comme ce verbe qu’ils tentent de cerner avec des mots de tous les jours quand ces jours n’ont rien de simple ni d’ordinaire… Et de déballer chacun, avec moult gestes à la fois pudiques, nerveux, calmes ou hystérisés, son lot de paroles et de souvenirs. Horreurs des jours noirs des luttes fratricides bien entendu avec les insoutenables images violentes : des corps traînés par des voitures avec des miliciens enragés de leur pseudovictoire, des francs-tireurs qui se croient tout permis, des immeubles effondrés…

Mais il y a aussi la vie au quotidien au ton doux amer : des histoires d’amour interrompues, des soirées arrosées de whisky dans les abris entre rats ou jeux de cartes, les enfants à qui on ment : ces bombardements ne sont que feux d’artifice… Tout se confond dans la tête de chacun et se mêlent sourires et larmes, désespoir et espoir, angoisse et aspiration à la quiétude. Ceux qui ont fait la guerre sont encore parmi nous. De cette rude épreuve des jours de déluge de feu et d’acharnement à la mort, l’école de la vie aura un enseignement bien différent de celui qu’on apprend sur le banc des classes. On a appris dans ces durs moments le courage, la force d’affronter l’insoutenable, la débrouille dans le manque de tout, le sens de l’humour et la faculté d’aimer malgré tout, un don jamais étouffé dans le cœur des hommes… Même si la guerre, au mal ineffaçable, enlève toute humanité à l’être.



Foule en colère
Sans rupture aucune, comme un glissement naturel, de cette fresque sanglante on passe aux gigantesques mouvements de foule en colère dans un pays que les seigneurs de la guerre ont rendu exsangue. En pillant ses ressources, son argent, ses banques, en s’arrogeant tous les droits, en faussant toutes les valeurs. Avec une impudente liberté qui a pour nom : absolue corruption. Et la voix souveraine du peuple a retenti. Mais jusqu’à maintenant, dans une affligeante surdité, ils refusent de l’écouter. Les révolutionnaires ont actuellement une voix, qu’on veuille l’admettre ou non. Nul ne s’oppose à la souveraineté du peuple. Et cette femme de ménage qui balaie gratos et de grand cœur les tentes des manifestants au centre-ville, elle existe, pour une fois dans sa vie. On lui a demandé son avis, micro en main, pour la télé, sur son quotidien, son futur, ses désirs, sa citoyenneté. Elle a pu dire un mot et le placer. Plus jamais dans le piège des luttes fratricides. Alors elle s’enveloppe du drapeau libanais comme d’une toge prétorienne, d’un manteau protecteur, d’un talisman.

Il reste que presque 1 h 20 minutes de discours, même avec de légères variations, c’est un peu long ! D’autant plus que les scènes se répètent avec des clichés qu’on aurait pu éviter. Mais à part cela, tous les acteurs sont excellents et bien dirigés.

Un théâtre, original par son dépouillement, qui épouse parfaitement la conjoncture actuelle et interpelle. D’ailleurs, c’est une salle comble enthousiaste qui a applaudi à tout rompre, en scandant « Thaoura ! ». Que ceux qui s’accrochent à leur siège aux premières loges ne pensent pas un moment que la foule va lâcher prise. Et qu’on se le dise, le théâtre, annonciateur des grands chambardements, c’est aussi la voix amplificatrice de la cité.


La pièce « 1975-2019 » de Lina Abiad, d’après un texte d’Alexandre Najjar, se donne ce dimanche 15 décembre au Madina.

Fiche technique
Mise en scène, adaptation et rédaction en arabe : Lina Abiad.

Les acteurs : Norma Nasr el-Dine, Nathalie Ammoun, Ghiwa Alayass, Mohammad Kodeih, Jana Addam, Silina Boury, Mariana Abou Jaoudé, Adam Abou Ezzdine, Alex al-Dahdah, Tracey el-Rahi, Ala’a Mounzer, Lynn Fakhri, William Alakili, Mabel Abdo.

Éclairage : Samer Chaar et Mohammad Tarek Majzoub.

Sur une scène absolument nue, d’un efficace minimalisme pour le sujet traité, deux microphones et appareils de projection, avec grand écran au fond de l’aire scénique, sont placés sur de hauts tabourets blancs. Du plafond, pleut un sable fin qui s’amoncelle sur le plancher. Sable couleur de sang, comme un rappel des barricades érigées entre factions adverses et miliciens de camps...

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