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Culture - Commémoration

Lorsqu’un musicologue décrypte la musique de Zaki Nassif

Quinze ans après sa mort, le Liban se souvient avec nostalgie du compositeur de « Raje’ Yet’ammar Lebnen ». À cette occasion, « L’Orient-Le Jour » ouvre, avec le violoniste Nidaa Abou Mrad, les portes du passé.

Zaki Nassif, un grand de la chanson populaire libanaise.

Le temps passe mais n’efface pas la trace des grands hommes. Un jour, ils s’en vont, mais ce qui en reste, dit-on, est éternel. Ce visionnaire d’Hugo a eu le mérite d’avoir mis sa plume dans la plaie en faisant résonner la voix de la sagesse : « La chute des grands hommes rend les médiocres et les petits importants. Quand le soleil décline à l’horizon, le moindre caillou fait une grande ombre et se croit quelque chose. » Zaki Nassif (4 juillet 1916-10 mars 2004) a été l’un de ces grands hommes, un artiste qui a occupé la scène locale grâce à des centaines de titres faisant partie du répertoire incontournable de la chanson populaire libanaise, et une histoire musicale prodigieuse qui a perduré pendant plus d’un demi-siècle. « Zaki Nassif est un excellent chanteur et compositeur libanais qui a participé au mouvement de mise en place d’une chanson de variété libanaise de bonne facture entre l’indépendance et les années 60, et qui est devenu célèbre, notamment, par ses chansons folklorisantes et ses chants patriotiques », note Nidaa Abou Mrad en guise d’introduction, avant d’analyser le personnage et l’œuvre de ce géant. Docteur en musique et musicologie, vice-recteur aux affaires académiques et à la recherche et doyen de la faculté de musique et musicologie de l’Université antonine, Abou Mrad, un expert de la musique orientale, raconte l’histoire d’une rencontre entre un public et un artiste dont le talent avait consacré le triomphe d’une nouvelle passion populaire.

« Zaki Nassif s’est appuyé dans sa démarche compositionnelle, tout d’abord, sur plusieurs traditions musicales, de système monodique modale qu’il pratiquait depuis son enfance, notamment, les traditions de chant et de danse (dabké) populaires levantines, communément dénommées folklore, la tradition musicale artistique classique arabe du

Machrek et le chant ecclésiastique néobyzantin ; ensuite, sur la musique artistique classique européenne de système tonal, notamment celle d’Europe de l’Est et des Balkans », explique le musicologue chevronné.

Afin de mettre au point la recette du succès qui popularisera sa musique auprès du grand public, le chanteur et compositeur de tous les superlatifs a adopté, d’après Abou Mrad, deux paradigmes d’innovation : endogène et exogène. L’innovation endogène s’est manifestée « dans le cadre de l’une des traditions orientales monodiques modales sans recourir au métissage avec le système harmonique tonal occidental », alors que l’innovation exogène s’est présentée sous forme d’« un métissage, à divers degrés, entre le système monodique modal levantin et le système harmonique tonal occidental ». Il précise toutefois que « malgré l’usage de ces hybridations systémiques hétérogènes occidentalistes qui peuvent sembler anecdotiques, les chansons de Zaki Nassif portent généralement l’empreinte du terroir rural libanais et levantin, celui des mystères bachiques/dionysiaques et adoniens de l’Antiquité, qui sont présents dans la dabké, persistance d’antiques rituels de transe et de fécondité, cette danse que cet être sensible et boiteux (du fait d’une poliomyélite enfantine) a portée à son apogée par son art compositionnel si authentique ».

Pérenniser le legs

Pour paraphraser Charles Baudelaire qui disait : « Entre bien dans mes yeux pour que je me souvienne de toi », disons que pour les Libanais et les auditeurs arabophones, Zaki Nassif est bien entré dans leurs tympans, et ainsi dans leurs consciences individuelle et collective. Quinze ans après sa mort, ils sont nombreux à saluer sa mémoire, notamment grâce au « magnifique travail que réalise le programme musical Zaki Nassif à l’AUB, mené par son neveu, le professeur en mathématiques Nabil Nassif, qui est en passe de pérenniser ce legs et de rendre un hommage constant à cette grande figure musicale du Liban et du Levant », estime le violoniste libanais.

Cette année, la célébration des quinze ans de la disparition de Nassif comporte deux volets : d’une part une causerie au théâtre al-Madina, « Zaki law hakā » (Zaki s’il parlait), qui s’est déroulée hier et qui a débuté par une anthologie de ses prises de parole télévisées, préparée par le professeur Nabil Nassif, et s’est poursuivie par une approche ethno-musicologique du legs nassifien par le père Badih el-Hajj, doyen de la faculté de musique de l’USEK, par une approche sémiotique musicale de ce même legs préparée par Nidaa Abou Mrad, et par une approche historique présentée par Élias Sahhab. Par ailleurs, un concert d’hommage à Zaki Nassif, par l’Orchestre de musique arabe (du programme musical Zaki Nassif à l’AUB), dirigé par le général Georges Herro, aura lieu ce soir, à 20h, au théâtre al-Madina. Parce que « la musique commence là où s’arrête le pouvoir des mots ».

« Des liens presque familiaux m’ont conduit dans mon enfance et mon adolescence à dialoguer avec le regretté Zaki Nassif. Il m’a fortement recommandé de pratiquer la musique du Levant, dit encore Nidaa Abou Mrad. Cette recommandation a porté ses fruits plus tard. Je lui en rends grâce par un titre posthume et reprends cette oraison ecclésiastique : “ Que sa mémoire soit éternelle auprès du Christ ressuscité !” »


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Nidaa Abou Mrad, carte de visite et concert

Il est docteur en musique et musicologie, vice-recteur aux affaires académiques et à la recherche et doyen de la faculté de musique et musicologie de l’Université antonine, mais aussi directeur du Centre de recherche sur les traditions musicales, en même temps que violoniste, compositeur et spécialiste de la tradition musicale artistique arabe du Machrek. Mais il est également docteur en médecine ! Plusieurs titres, une seule personne : Nidaa Abou Mrad. « J’ai fait des études de violon européen dans mon enfance, avec feue Gisèle Saba, puis des études médicales qui ont abouti à un doctorat en médecine pour satisfaire les souhaits de mes parents. J’ai ensuite rompu avec la carrière médicale et avec la musique européenne pour me consacrer à la tradition musicale artistique du Machrek, que j’ai étudiée avec feu Fawzi Sayeb, en tant que violoniste et compositeur », explique l’intéressé. Son ambition est de relancer la pratique de cette tradition qui, selon lui, est marginalisée pour des raisons socio-historiques liées à l’emprise de l’acculturation occidentaliste. Conscient, tout comme Jules Renard, que « la rêverie est le clair de lune de la pensée », il décide de reprendre ses études en musicologie à la prestigieuse Université Paris-Sorbonne et décroche son doctorat quelques années plus tard. Il s’engage, par la suite, dans les années 90, dans une carrière intense de concertiste, avant de se consacrer à l’enseignement et à la recherche et cela en fondant la faculté de musique et de musicologie à l’Université antonine : « Avec le soutien des pères antonins et de mon université, j’ai pu contribuer à la formation de musiciens et de musicologues capables de poursuivre la mission de revivifier les traditions musicales monodiques modales du Levant. » Il compte à son actif une dizaine de publications, mais on retiendra particulièrement sa recherche s’articulant autour de la sémiotique modale en tant que « grammaire générative musicale pour ces traditions avec des applications en recherche cognitive » qu’il a établie et qui lui a valu, en 2017, le prix d’excellence scientifique du CNRS.

À signaler que Nidaa Abou Mrad donnera un concert intitulé L’art du maqām au Levant le 18 mars à 19h au musée Sursock à l’invitation de l’Université antonine, en collaboration avec Mozart Chahine et le musée Sursock. Le violoniste sera accompagné de Ghassan Sahhab au qānūn et Rafka Rizk au micro. Ce concert comprendra des séquences d’improvisation instrumentale, selon l’école du violoniste Sami Chawa (1885-1965), et se conclura par des extraits du CD 4 000 ans de musique au Levant, dont une signature est organisée à l’issue du concert.


Le temps passe mais n’efface pas la trace des grands hommes. Un jour, ils s’en vont, mais ce qui en reste, dit-on, est éternel. Ce visionnaire d’Hugo a eu le mérite d’avoir mis sa plume dans la plaie en faisant résonner la voix de la sagesse : « La chute des grands hommes rend les médiocres et les petits importants. Quand le soleil décline à l’horizon, le moindre...

commentaires (3)

RAJE3 YET3AMMAR LEBNEN LA PLUS BELLE CHANSON ET MUSIQUE LIBANAISES ! ZAKI NASSIF UN GENIE !

LA LIBRE EXPRESSION

14 h 52, le 13 mars 2019

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Commentaires (3)

  • RAJE3 YET3AMMAR LEBNEN LA PLUS BELLE CHANSON ET MUSIQUE LIBANAISES ! ZAKI NASSIF UN GENIE !

    LA LIBRE EXPRESSION

    14 h 52, le 13 mars 2019

  • De belles mélodies, des chansons souvent gaies aux paroles simples mais pleines de (bon) sens, un pur bonheur pour le oreilles et pour les yeux, on y voit presque danser le Liban.

    Tina Chamoun

    10 h 31, le 13 mars 2019

  • Comme d'autres de nos illustres artistes Zaki Massif a défini le Liban et nous a défini à jamais...baadou aam yighzoul aam yighzoul dans nos cœurs et notre conscient.

    Wlek Sanferlou

    03 h 02, le 13 mars 2019

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