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Culture - RENCONTRE

Rifaat Torbey : 50 ans sur les planches, entre saint Charbel et le diable

Le comédien signe un volumineux livre « Roufiaat al-Sitara  » (Le rideau est levé, 415 pages, éditions Sader). Rencontre pour s’entretenir non seulement des souvenirs de ce vétéran du monde des planches, mais aussi un peu de l’état des lieux, des coulisses et des personnages truculents croisés tout au long d’une fructueuse carrière...

Photo Gilbert Hage

Ce n’est pas un livre conventionnel sur le théâtre : ni autobiographie, ni sèche analyse, ni considérations doctes ou pompeuses. Roufiaat al-Sitara (Le rideau est levé, 415 pages, éditions Sader) est un témoignage sur un métier passionnant avec ses hauts et ses bas, son monde coloré, agrémenté, à travers un style simple et accessible, d’anecdotes, de dialogues vifs et pertinents, de portraits amusants et émouvants, de situations... théâtrales ! Pour ce qui est du style, de l’emphase littéraire et de la rigueur linguistique, Rifaat Torbey a cette précision, avec un petit rire amusé : « Si c’est selon les normes du grammairien Sibaway, alors c’est ou Sibaway qui se suicide ou je me suicide! » Et il faut dire que c’est justement ce mélange des genres qui fait sans doute la séduction de ce livre touffu, qui ressuscite par ailleurs beaucoup d’artistes aujourd’hui disparus. Et pas que ceux du théâtre, mais de l’art dans toutes ses composantes, aussi bien l’art plastique que la poésie, le journalisme et même le café Horse Shoe, le Procope des intellectuels libanais d’autrefois…

À 70 ans, le pas ferme, la voix forte et gouailleuse, d’une belle vitalité, Rifaat Torbey, crâne chauve et lunettes sur le nez, est la parfaite incarnation de l’image du masque sur la couverture de son ouvrage, une photo signée Gilbert Hage.

Impatient de se jeter dans le monde du théâtre, il abandonne à dix-neuf ans sa classe de philo pour embrasser l’univers des tréteaux. Et l’aventure démarre en 1960, date de son entrée officielle dans le monde des planches à Beyrouth, avec Jésus de Mounir Abou Debs. S’ensuit plus d’un demi-siècle mouvementé de labeur et de création, incluant plus de 50 pièces de théâtre, des rôles divers (des plus farfelus, en transformiste flamboyant, au plus sérieux et graves, en passant par de simples figurations auxquelles l’acteur donne du relief et de la présence) et de nombreux films. Il a travaillé avec Maroun Baghdadi, Borhane Alaouié, Leila Assaf, André Gédéon, Samir Habchi, Ziad Doueiri et bien d’autres…

Comment ce comédien au registre étendu, lui qui a été comme une face de Janus, à la fois saint Charbel et le diable, sous la direction et avec la complicité de Raymond Gébara, a-t-il conçu ce livre impertinent, foisonnant de détails croustillants sur le monde du théâtre et de tous ses satellites et électrons ? « La peur est belle et la beauté est peur, dit-il en préambule citant Shakespeare. Je me suis précipité, très jeune, un peu aveuglément, mais avec une passion violente et irrépressible, dans le monde du théâtre. Ce livre – écrit sous l’impulsion de Julia Kassar qui voulait que je jette tout ce passé sur papier (surtout les historiettes des coulisses qu’elle écoutait religieusement au moment des breaks !) – n’est pas un livre historique sur le théâtre mais personnel. Avec ce qui se rattache au monde de l’art qui a tourné autour des lumières du lever de rideau. »

Torbey parle ainsi de Saliba Doueihy, Omar Ounsi (« un grand ami ! »), Amine el-Bacha, Oussama el-Aref, Paul Guiragossian et Alphons Philips, qui ont signé les décors de nombreuses pièces. Il évoque aussi la poésie moderne à travers Youssef el-Khal et le journalisme à travers les plumes de Ghassan Tuéni et Nazih Khater… « Il faut avouer aussi que je n’ai pas non plus tout dit… Notamment les enfantillages (et “gamineries”, souffle-t-il en riant) avec Antoine Kerbage, Reda Khoury et Mireille Maalouf », ajoute l’homme de théâtre. « Cabotinages tel jouer des tours aux gens ou se payer la tête de certains dramaturges », précise ce fils de Tannourine, qui évoque aussi sa famille et son immersion dans « un monde qui se formait, car Beyrouth se transformait en capitale culturelle des pays arabes… Et puis, regardez ce qui est advenu. L’essor est coupé en 1975, et c’est le silence pour plus de deux ans. La reprise est avec père Maroun Atallah et Raymond Gébara, qui a toujours été un farouche défenseur des acteurs… ».

Esprits et cerfs-volants

Pour parler du doux et de l’amer dans une vie, quel est son meilleur souvenir, et le plus désagréable ? Là aussi, la réponse semble prête : « J’en ris et frissonne encore ! C’est à 19 ans, lorsque Mounir Abou Debs faisait appeler les esprits, je tremblais de peur et je priais ! On est si vulnérable et naïf à cet âge-là. Et puis, il y a ces moments où je faisais voler les cerfs-volants avec Omar Ounsi, sans savoir encore que c’était un maître du pinceau… Mes meilleures pièces ? Le Rocher de Tanios, le roman d’Amin Maalouf, mis en scène par Gérard Avédissian, Charbel de Raymond Gébara et Guerre au troisième étage de Latifé Moultaka. Mon plus mauvais souvenir ? En général, je fais de bons choix. Mais il y a parfois des couacs, notamment mon travail avec les Rahbani… Et, dans l’absolu, surtout le public qui ne venait pas à nos représentations. Pour Inna wa akhawatouha de Gébara, au-delà du désert habituel, notre maximum de spectateurs était 22 personnes ! Affligeant ! Pour ce qui est des mauvaises pièces, sans en être tout à fait une, il y a le conflit avec Mounir Abou Debs qui voulait donner le monologue de Hamlet, To be or not to be, à Mireille Maalouf. L’idée me semblait incongrue. J’ai eu quand même gain de cause et cela n’a pas eu lieu ! »

D’une infatigable énergie, Rifaat Torbey, formé à bonne école sous la férule de Jean-Louis Barrault et Madeleine Renaud (recommandé et envoyé par Georges Schéhadé pour ce stage), ne chôme pas et multiplie en toute allégresse ses activités.

L’acteur polymorphe semble avoir du pain sur la planche, puisqu’il peaufine avec Gérard Avédissian un Hamlet en one-man-show, monte un atelier de théâtre avec Mireille Maalouf et se prépare pour une tournée en Amérique avec la troupe Caracalla. Tout en assurant signer son livre entre avril et mai, à Paris et Washington. Qui dit mieux ?

*Rifaat Torbey signe son livre « Roufiaat al-Sitara » le 8 mars au local du Mouvement culturel (al-Harakat al-Sakafiya, Deir Mar Élias) à Antélias, suite à une table ronde à 16h, réunissant père Maroun Atallah, Talal Haïdar et Julia Kassar.

Ce n’est pas un livre conventionnel sur le théâtre : ni autobiographie, ni sèche analyse, ni considérations doctes ou pompeuses. Roufiaat al-Sitara (Le rideau est levé, 415 pages, éditions Sader) est un témoignage sur un métier passionnant avec ses hauts et ses bas, son monde coloré, agrémenté, à travers un style simple et accessible, d’anecdotes, de dialogues vifs et...

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