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Culture - Livres

Beaucoup de sérotonine, mais aucun espoir

Le 7e roman d’un des auteurs les plus lus de la littérature moderne est le buzz absolu de cet hiver. Entre les maux irréversibles d’une France qui s’enlise et l’impuissance d’un pathétique masculin, Houellebecq signe un récit magistral qu’on attendait depuis quatre ans.

Michel Houellebecq dérange, provoque, attire les fans et les contempteurs comme un aimant. Et pour cause : cet écrivain dont la réputation n’est plus à faire a toujours frappé là où ça fait mal. Génie visionnaire pour certains, provocateur amoral pour d’autres, Houellebecq domine la scène littéraire depuis 1998, l’année de parution de Les particules élémentaires. Journalistes et critiques littéraires se bousculent au portillon pour apporter leur grain d’explication aux récits de celui qui raconte et dissèque les réalités de l’échec du monde occidental.

Dans Sérotonine, paru le 4 janvier aux éditions Flammarion et déjà largement en tête des ventes de livres en France, Michel Houellebecq ne déroge pas à la règle. Son héros Florent-Claude Labrouste, nécessairement tourmenté, est un ingénieur agronome quadragénaire et dépressif. Il erre au gré de conquêtes amoureuses ratées, et ses points de chutes temporaires ressemblent plus à une fuite en avant effrénée qu’à l’illusion d’être volontairement sans attaches. Son manque de désir de vivre le mène à consommer un antidépresseur d’un genre nouveau, le Captorix, supposé sécréter de la sérotonine, un neurotransmetteur lié au bonheur de l’être humain. Sauf qu’au fil des pages, le bonheur ne se profile pas et le héros houellebecquien sublimé est plus triste que jamais au point de n’avoir plus la force de se laver.

Si se médicamenter lui donne l’illusion de pouvoir aller de l’avant, il anéantit toutefois sa libido. Houellebecq dépeint une impuissance sexuelle avec des mots crus, mais tellement vrais. L’absence de ce qui fait qu’un homme devienne homme – l’érection – est au cœur du profil, au fond si banal, d’un être qui a démissionné parce qu’il ne peut plus faire jouir l’autre. C’est là toute la lâcheté ou tout le courage de cet antihéros : assumer d’être minable et miné par le manque d’idéaux du monde occidental, thème récurrent dans la bibliographie de Houellebecq.


(Lire aussi : Michel Houellebecq, écrivain visionnaire)


Dompter le cynisme
Accablé par une énième relation avortée, Florent-Claude Labrouste décide de disparaître de la carte de son quotidien. Il organise sa fuite au gré des routes départementales d’une France rurale asphyxiée par les conséquences d’une mondialisation trop ancrée. L’homme dérive au fil d’une campagne oubliée à bord de sa Mercedes G350 pour retrouver un ami/un double à travers lequel il nous fait vivre les souffrances des producteurs minés par les quotas laitiers et autres traités internationaux de libre-échangisme et qui se battent pour conserver leurs terres. La réalité incontournable du quotidien des exploitations agricoles est celle d’un monde paysan branché à un respirateur artificiel, où la réanimation est plus que jamais incertaine. La prise de position de Houellebecq pour une sortie de l’Union européenne est mal déguisée. Peindre une France périphérique en révolte contre les CRS est surtout plus que prémonitoire, sachant que Sérotonine a été achevé avant que la crise tellement actuelle des gilets jaunes ne voit le jour. Ce n’est pas la première fois que Houellebecq joue les visionnaires : en 2015, lors de la sortie du très controversé Soumission, le jour même de l’attentat meurtrier contre Charlie Hebdo et tiré à plus de 800 000 exemplaires, il imaginait une prise de pouvoir islamiste qui avait fait couler beaucoup d’encre.

Sérotonine est le plus triste des romans de Michel Houellebecq parce qu’il ne garde aucun soubresaut d’espoir. C’est aussi sans doute le plus juste. Les mots résonnent parfaitement avec une morosité accablante généralisée et tant pis pour les erreurs factuelles et techniques relevées par certains experts.

Ce serait pourtant trop facile de réduire le dernier roman de Houellebecq à une photographie noire de désespoir du monde actuel. Celui qui avait obtenu le Prix Goncourt en 2010 pour La carte et le territoire a l’art et la manière d’un artiste qui dompte le cynisme comme peu savent le faire et réussit à arracher à ses lecteurs des sourires bienvenus.

En somme, le héros, miroir de son créateur, plus romantique qu’obsédé sexuel, sait qu’il ne peut échapper à cette recherche infinie de l’amour. Et si celle-ci va de pair avec un monde où l’on a perdu les codes des idéaux de jeunesse, c’est qu’elle est sans doute aujourd’hui la seule force de traction salvatrice.



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commentaires (1)

Belle analyse... approche déprimante lorsqu'on pense qu'il n'y a pas d'espoir, pas de proposition de changement d'approche vis-à-vis de la dégradation des conditions de vie... quelle triste existence, et quelle plongée infinie dans cette situation nihiliste...

lila

11 h 48, le 16 janvier 2019

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Commentaires (1)

  • Belle analyse... approche déprimante lorsqu'on pense qu'il n'y a pas d'espoir, pas de proposition de changement d'approche vis-à-vis de la dégradation des conditions de vie... quelle triste existence, et quelle plongée infinie dans cette situation nihiliste...

    lila

    11 h 48, le 16 janvier 2019

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