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Culture - Livres

Les jeux de miroirs troubles et troublants de Abdo Wazen...

« Al-Bayt al-Azrak » est le troisième roman mais quatorzième opus de l'auteur journaliste Abdo Wazen. Sans poésie, s'y entremêlent fiction et réalisme d'une société libanaise dominée par les dérives sexuelles tout en s'accrochant aux valeurs spirituelles.

Abdo Wazen.

Al-Bayt al-Azraq (« La maison bleue », éditions Difat-el-Ikhtilaf, 340 pages) est un roman dans le roman pour une narration qui mêle l'enfer au paradis, le mysticisme aux asservissements sexuels, la foi au doute, la névrose à la paix intérieure, l'angoisse à la sérénité, le trouble au calme, la trivialité de la chair à l'élévation de l'esprit, l'incarcération aux randonnées solitaires, l'oppression à la liberté, le verbe au silence....
À soixante ans pile, les cheveux plaqués au front et coupés courts, le regard toujours inquiet, la bouille de Abdo Wazen, avec sa ronde corpulence, a toujours quelque chose d'un petit garçon perdu, faussement sage, car au fond turbulent et rebelle. Du moins dans ses dires polémiques et imprécateurs. Il nomme Martin Heidegger et Georges Bataille comme ombrelles pour son dernier écrit sulfureux.
S'il a échappé dans le temps aux foudres de la censure, aujourd'hui, il fait un coup d'éclat bien audacieux dans le domaine de la littérature arabe avec un roman qui brasse, sans détails licencieux ou scabreux, des sujets tabous et interdits. Il les mélange comme une poudre prête à éclater dans ces pages où se déroulent et se bousculent crimes, désirs violents, pulsions affichées ou réprimées et impuissance littéraire pour un romancier en panne d'inspiration. Est-ce son alter ego que cet écrivain, un peu sphinx observateur et conteur, peinant sur son texte, lacérant et reconstruisant le monde ?
Il parle de son dernier roman avec animation : ses mains se lancent dans l'air, ses yeux brillent et parfois même on perçoit au coin de ses cils un soupçon de larme... Ce roman touffu et diffus est un polar aux rebondissements multiples, aux personnages, purs et impurs, tourmentés, dantesques, au fil narratif déroutant et imprévisible comme les impondérables de la vie. L'auteur d'À cœur ouvert s'entretient de son ouvrage avec cœur et sans doute aussi à cœur ouvert !
« Ce livre a plusieurs lectures, dit-il. C'est le premier qui entre dans les prisons libanaises. Je parle de Sijn el-Tallé, c'est-à-dire la prison de Roumié. L'histoire commence par un écrivain qui achoppe sur son texte. On lui propose de décortiquer le manuscrit d'un prisonnier dénommé Paul, condamné à tort. Piqué dans sa curiosité et par la voix du détenu né en 1975 (année charnière du déluge de feu et du grand chambardement sanguinaire !), le narrateur mène sa propre enquête. De fil en aiguille, il croise à Haret Sakhr tout ce qui a été la tessiture et les éléments constitutifs de la vie du jeune homme dont l'écriture, la personnalité et le ton l'ont séduit. Notamment Souad, cette jeune fille entre vertu et entraîneuse dans une boîte de nuit, qui a été l'objet de tendres sentiments pour le malheureux incriminé d'un assassinat crapuleux. Loin de se défendre, Paul, en fait un pur, décide de garder le silence et d'être aphone. En prison, il fait des rencontres hors normes, celle d'un religieux dispensant prière et réconfort mais nourrissant pour lui une amitié particulière et un transgenre qui éveille de cauchemardesques lubricités assoupies dans son entourage... »

Daech m'a détruit....
Un roman almbiqué, complexe et enchevêtré, où la fiction la plus échevelée le dispute aux détails les plus réalistes, parfois même insolites et sordides. Sans craindre de dénoncer et de fustiger une société au mal-être évident, aux frustrations béantes et aux paradoxes innombrables, Abdo Wazen rôde autour de toutes les sexualités, y compris l'homosexualité féminine et masculine, révélée ou tue, et le transgenre. Pourquoi cette vision aux noirceurs charbonneuses, pourquoi tant de (con)damnations (la prison, les amours sans issue), pourquoi cette descente aux enfers, pourquoi tant de frustration, pourquoi ces situations extrêmes, sans d'ailleurs prendre position en les défendant ou les condamnant ? Pourquoi cet univers sans la miséricorde de Dieu ?
Goût d'herboriste, fantasme littéraire, imagination sans frein, besoin de provocation et de scandale, quête de sensationnel, excentricité comportementale ? Pourquoi écrire et touiller un chaudron-déflagration ? Pour soi, pour les autres, pour défendre, pour juger, pour se libérer, pour exorciser, pour témoigner ?
Devant cet ahurissant roman, parfaite métaphore des souffrances humaines, qui frise le surréalisme d'une image de Bosch, voici ce que l'auteur d'Al-Ghaba al-moukfala (« La forêt fermée ») déclare, lui, cet orphelin de père toujours blessé, obsédé par ses névroses et ses craintes du noir : « Pourquoi il y a tant de mal dans cette vie ? Pourquoi tant de tueries ? Pourquoi Dieu se tait? Comment Dieu a laissé souffrir Jésus tandis qu'il est son père ? La violence de Daech m'a détruit. Brûler et trucider au nom de Dieu, quelle abomination, quelle supercherie. Mais je parle aussi de l'Inquisition chez les chrétiens, le sang jusqu'aux genoux entre protestants et catholiques.... Ce livre, mêlant ange et démon, droit et déviant, bourreau et victime, a une trame policière et une portée spirituelle. Dans une narration fluide, j'y déploie toutes les techniques du roman et pour une fois la poésie est absente. Et je trouve qu'il n'y a pas de réponse aux interrogations humaines. Je conclus sur cette phrase, qui pourrait illustrer ce roman à la fois sombre et orageux, tendant pourtant à la clarté et la transparence : on ne connaît la lumière que si on a traversé l'obscurité. »

« Al-Bayt al-Azrak »
(« La maison bleue », conjointement édité à Beyrouth par les éditions Difaf et en Algérie aux éditions el-Ikhtilaf, 340 pages), en vente dans les librairies.

Al-Bayt al-Azraq (« La maison bleue », éditions Difat-el-Ikhtilaf, 340 pages) est un roman dans le roman pour une narration qui mêle l'enfer au paradis, le mysticisme aux asservissements sexuels, la foi au doute, la névrose à la paix intérieure, l'angoisse à la sérénité, le trouble au calme, la trivialité de la chair à l'élévation de l'esprit, l'incarcération aux randonnées...

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