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Culture - Exposition

Mary-Lynn Massoud et Rasha Nawam sortent de table

Avec « Essai »*, à la galerie Carwan, les deux plasticiennes bouleversent les codes de la céramique et celles de leur esthétique habituelle pour transformer leur pratique en une exploration de territoires inconnus.

Mary-Lynn Massoud et Rasha Nawam ont transformé le hasard en art. Photo Marwan Harmouche

Depuis qu'elles ont joint leurs forces et leurs quatre mains, il y a près de dix ans, « en pensant, à l'époque, que ça serait pour un projet ponctuel », Mary-Lynn Massoud et Rasha Nawam n'ont cessé de créer des chocs bienvenus au rayon de la céramique dont l'image, un rien ronflante, était en grande partie engluée dans ses traditions artisanales. Si les deux femmes ont choisi de se prêter à cette pratique souvent déconsidérée, et à tort, par rapport aux beaux arts, elles ne l'ont jamais restreinte à sa dimension fonctionnelle qu'elles ont pourtant remarquablement maîtrisée. Sous leurs doigts, de simples vases, bols, assiettes, composant un art de la table – dont on loue la géométrie spontanée et la limpidité en pastel –
prenaient déjà l'aspect d'une exploration de territoires inconnus, à travers laquelle les deux céramistes redonnaient une image contemporaine à leur technique et en réactivaient sa portée artistique.

 

Fêlures
En ce moment, dans le cadre de l'exposition Essai qu'accueille la galerie Carwan, c'est précisément ce versant plus méconnu de leur travail, courant toutefois en filigrane à travers chacune de leurs créations, sur lequel est mis l'accent : « Adopter une démarche plus artistique, qui est l'un des deux pans de ce que l'on fait », explique Mary-Lynn Massoud. Essai se déploie justement sur ces deux volets visiblement distincts. Il y a d'abord Stacked, une collection initialement conçue pour la galerie Art Factum, « à partir d'un amoncellement d'objets que nous avons produits, mais jamais utilisés », explique le tandem, dont les pièces, également déclinées en miniatures, qui avaient été présentées au Armory Show à New York, se situent à mi-chemin entre sculptures à l'équilibre précaire et totems doucement déglingués. Réalisées en porcelaine, grès ou raku, on y retrouve incontestablement le vocabulaire propre à Massoud et Nawam : lignes fluides et coloris tempérés, que viennent par moment lézarder de délicates fêlures, qui contrastent avec des squelettes disproportionnés aux accents préhistoriques.

Le virage s'opère radicalement sur le deuxième volet de l'exposition auquel le terme Essai sied parfaitement. « En s'écartant de nos procédés usuels très codifiés, nous avons voulu aller vers quelque chose de plus instinctif, une expression plus brute », dit le duo d'artiste, en évoquant le déclenchement de ce projet. « C'était un processus de recherche, de véritables essais, autant sur les matériaux que sur les couleurs, qui ont mené à ces structures dont la forme finale nous était inconnue tout au long de l'expérience. »

 

Laborantines
Là où certains plasticiens choisissent de s'amarrer à une marque de fabrique ou à un procédé de prédilection, Mary-Lynn Massoud et Rasha Nawam préfèrent ici chambarder les règles préétablies et, comme elles se plaisent à le souligner, « perdre le contrôle partiellement, car c'est la nature qui a agi à notre place d'une certaine manière ». Elles élaborent : « En gros, au départ, nous avons testé la réaction de plusieurs matériaux – poudre de fer, marbre, verre – à la chaleur, que nous avons ensuite fait cohabiter avec des couleurs que nous n'avions jamais employées, puis enfourner sur des socles en terre. »
Ainsi, en se pliant aux diktats des coïncidences, en tordant le cou à une certaine zone de confort, ces deux laborantines improvisées brouillent (au propre comme au figuré) avec audace l'esthétique qu'on avait l'habitude de leur associer, pour creuser de nouveaux horizons et inventer en même temps un récit bien à elles, à la fois gouverné par l'inconnu que les aléas provoquent et parcouru par une série de codes visuels qui convoquent leurs travaux antécédents. De fait, sans renier le passé car « Essai est la somme de 10 ans de maîtrise d'une discipline », insistent-elles, chacune des pièces exposées ouvre une brèche pour proposer de nouvelles possibilités plastiques. Une fois sorties de leur four dont elles font basculer les préétablis, les tableaux et structures de Massoud et Nawam sont des objets à la frontière de la métaphysique, dont se dégage une infinie poésie malgré la collision imprévue des matières et des couleurs qui les composent.

D'ailleurs, l'une des pièces, quoique chiffonnée, craquelée, bigarrée, semblable à un petit chantier, a été baptisée Le Panettone. Certes, de plus près, lorsque le verre fond et entraîne avec lui une marée de couleurs inespérées, que le fer se fendille pour révéler le socle sous-jacent dont la tonalité s'exhume autrement ou, plus sobrement, que les textures se tutoient, les couleurs s'associent, les formes s'amalgament, ces œuvres témoignent de l'ensemble des épreuves auxquelles elles ont été assujetties. Cela dit, par-delà leur dimension quasi chimique, les structures exposées forment une unité au lyrisme échevelé où, en l'ignorant sans doute, Mary-Lynn Massoud et Rasha Nawam ont transformé le hasard en art.

*Galerie Carwan
Route de la mer, Bourj Hammoud, jusqu'à fin février 2018.

 

Pour mémoire

Du design sur toute la ligne chez Art Factum !

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commentaires (2)

DES FORMES DIFFORMES NE SE DEGAGE JAMAIS LA POESIE !

LA LIBRE EXPRESSION

10 h 13, le 20 décembre 2017

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Commentaires (2)

  • DES FORMES DIFFORMES NE SE DEGAGE JAMAIS LA POESIE !

    LA LIBRE EXPRESSION

    10 h 13, le 20 décembre 2017

  • Bravo Mary Lynn ! J’ai toujours su que tu avais un grand talent enrichi par une grande imagination artistique.

    Saleh Issal

    00 h 50, le 20 décembre 2017

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