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Culture - Théâtre

Rire de ces vies congelées qu’on nous fait mener...

Betty Taoutel a l'art de ciseler des pièces miroirs qui renvoient à ses compatriotes l'image de leur réalité. Tragi-comique, évidemment.

Près de deux heures de scène pour Betty Taoutel, interprète principale de « Freezer », entourée ici de Hagop Dergoughassian, Hisham Khaddaj et Jacques Mokhbat. Photo Nader Moussally

Elle revient, avec la régularité d'un métronome, présenter chaque deux ans une nouvelle comédie sociale sur les planches beyrouthines. Au fil des pièces, Betty Taoutel a construit un répertoire déroulant l'épineux écheveau de situations tragi-comiques qui font la réalité du pays du Cèdre. De la démolition du patrimoine architectural à la paupérisation de la population, en passant par l'instabilité chronique, la pollution, la corruption ou encore l'émigration massive de la jeunesse... Le théâtre de cette auteure, metteuse en scène et comédienne reflète, comme un miroir grossissant, forcément parodique, les anomalies d'une société ballottée entre phases de conflits et de désenchantements.

 

Triste et cocasse
Et puis, un peu à la façon des poupées russes, chacune de ses pièces engendre la suivante. Dans Erb3a bi noss el-jem3a et Passeport 10 452, elle avait déjà évoqué le sujet de l'hémorragique flux de départs de la génération montante. En le traitant sous les angles de la crise économique et de l'insécurité qui poussent les Libanais à s'assurer un avenir ailleurs. Cette fois, dans Freezer, sa toute nouvelle création qu'elle présente jusqu'au 17 décembre au théâtre Tournesol*, elle poursuit l'exploration de ce thème mais en mettant l'accent sur le douloureux éclatement familial qu'il provoque. Et cela à travers le portrait d'un couple dont les enfants sont à l'étranger. La fille est étudiante en France. Le garçon est en quête de travail dans les pays du Golfe. Pour combler le vide laissé par leur départ, la femme cuisine et garde au congélateur de petits plats qu'elle compte leur envoyer à la première occasion. Sauf que, lorsque celle-ci se présente, le freezer tombe inopinément en panne. Et la fuite d'eau qui en résulte entraîne un tas de dégâts... Vaudevillesques évidemment, mais tissés de fils de tristesse. Car le propos de cette auteure et metteuse en scène est, comme toujours, de mettre le doigt sur la plaie, de faire rire là où cela fait mal.

Et pour ce faire, elle n'hésite pas à alterner des séquences de pur hilarité, à travers une dizaine de protagonistes caricaturés dans des situations rocambolesques, avec des parenthèses, hélas, un peu trop abruptement dramatisantes. Et qui gagneraient à être raccourcies, d'autant que la pièce frôle les deux heures... Autour de la figure principale, celle de la mère victime du syndrome du nid vide, qu'elle interprète elle-même avec une énergie et un naturel époustouflants, Betty Taoutel a donc réuni une galerie de personnages cocasses puisés dans le quotidien des Libanais. À l'instar de ces désormais omniprésents percepteurs d'abonnements au moteur, au dish, à l'eau et à l'électricité... Quatre rôles que joue, alternativement et avec brio, l'excellent acteur et diseur Hicham Khaddaj. Outre ce dernier, la comédienne est accompagnée, directement sur scène, par Hagop Derghougassian (qui a également signé la conception de l'éclairage) et Jacques Mokhbat (grand médecin passionné de théâtre). Tandis que les autres personnages (campés par des amateurs et des étudiants) font leur apparition, au fil des péripéties, dans de brèves séquences filmées et projetées sur écran.

Bref, dans ce Freezer, comédie sociale inspirée de la réalité libanaise et qui joue sur les analogies avec la situation gelée du pays, Betty Taoutel a mis de tout : du doux et de l'amer, de grands éclats de rire, de petits clins d'œil et des serrements de cœur... Un mélange qui fait la spécificité de son théâtre, sincèrement concerné par les heurs et malheurs de ses compatriotes. Et qui lui vaut un public fidèle et enthousiaste.

 

*Théâtre Tournesol, avenue Sami el-Solh. Les jeudis, vendredis, samedis et dimanches (20h30). Billets en vente dans toutes les branches de la librairie Antoine.

 

Les comédiens
Outre Betty Taoutel, Hagop Dergoughassian, Hisham Khaddaj et Jacques Mokhbat sur scène, on retrouve dans les séquences projetées sur écran : Josiane Boulos, Cyril Jabre, Khaty Younès, Jalal al-Chaar, Samer Sarkis, Nathalie Freiha et Nader Moussally.

 

 

Pour mémoire

Betty Taoutel ouvre son Freezer... le 23 novembre

Elle revient, avec la régularité d'un métronome, présenter chaque deux ans une nouvelle comédie sociale sur les planches beyrouthines. Au fil des pièces, Betty Taoutel a construit un répertoire déroulant l'épineux écheveau de situations tragi-comiques qui font la réalité du pays du Cèdre. De la démolition du patrimoine architectural à la paupérisation de la population, en passant...

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