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Culture - Théâtre

« Le jour où j’ai décidé de quitter la Palestine... »

Une fois de plus, le théâtre est le porte drapeau des drames humains. À l'affiche du Madina, une pièce-cri sur la Palestine, « 36 Abbas Street, Haifa », écrite, interprétée et défendue bec et ongles par Raeda Taha, dans une mise en scène de Junaid Sarieddine.

Raeda Taha : illustration et défense, souvenir et douleur, procès et plaidoirie sous les feux de la rampe. Photos Dalia Khamissy/36 Abbas Street Haifa

Sur une scène absolument nue, sauf une flaque de lumière et un micro accroché à son stand, Raeda Taha en robe noire (signée Bird On a Wire, Rayya Morcos*), tragique, virevoltante et animée jusqu'à l'excès, lance, dans un accent grassement palestinien, son paquet de mots face au public. C'est-à-dire tout ce qui déborde du cœur en ce qui concerne un patriotisme omniprésent chauffé à blanc. Avec un large pan pour l'allergie à la présence israélienne.

Elle raconte en un « one woman show », tel un roman épique déclamé, avec emphase et gestuelle marquée, l'histoire de cet immeuble rue 36 à Haifa construit par la famille Abu Gaida qui a fui le pays. Une bâtisse habitée aujourd'hui par la famille Rafa, restée sous l'occupation israélienne. Histoire ponctuée de souvenirs doux-amers d'un quotidien que le destin bouscule et malmène. Autre jeu et surprise du destin, les deux familles vont se croiser et réaliser que l'immeuble des Abu Gaida n'est pas seulement occupé par des Israéliens mais aussi par des compatriotes qui sont restés face à la mer tant aimée, comme les gardiens inespérés d'un legs jalousement protégé...

Sur ce thème grave et douloureux, des décisions déséquilibrantes, des errances humaines, des départs imposés et des dépossessions forcées, la trame avance (parfois se perd aussi dans un flot de mots) à grands coups de flashs d'une vie rendue amputée de sa douceur, de sa quiétude, de son avenir planifié...

C'est dans une langue arabe bien tournée, simple mais aux images éloquentes, avec un ton guttural et bien martelé que se construit ce monologue à la fois tendre et féroce, ce soliloque foisonnant, habité d'ombres menaçantes, d'angoisse, d'interrogation et d'oppression. Et prônant bien entendu un militantisme doublé de prosélytisme d'une cause palestinienne exacerbée jusqu'à l'overdose et l'intox.

À part la mansuétude des moments d'affection entre les êtres, les descriptions d'un quotidien qui se veut rassurant, des portraits bien brossés, il y a des moments d'anthologie de cruauté, tel ce contrôle et fouillage à l'aéroport où les Israéliens, plus nazis que leur bourreau, d'une haine implacable vis-à-vis des Palestiniens, leur font passer, sous prétexte de routine sécuritaire, un vrai quart d'heure cauchemardesque.

Conjointement avec l'auteure, Junaid Sarieddine assume une mise en scène nerveuse, tendue, chargée d'une vitalité qui ne prend presque pas de répit. Avec quand même des répétitions, des tics et un hic : celui de donner la latitude à la comédienne de jouer du large registre de sa voix ample et forte, car parfois elle en fait un peu trop...

 

(Pour mémoire : « Stitching Palestine », ou la Palestine qui ne cesse de se recoudre)

 

Depuis la funeste année 1948
La musique de Sharif Sehnaoui, qu'il a interprétée avec Ghassan Sahhab et Fadi Tabbal, apporte quelques plages de rêverie et de poésie, fort nécessaires dans cette tornade de mots et de vocables, surtout à travers les quelques paisibles accords d'un oud qui égrène ses notes comme de l'eau glissant sur des rochers escarpés, aux pointes acérées...
À souligner aussi l'excellent travail de l'éclairage de Guillaume Tesson qui sculpte l'espace, nuance les situations et offre l'illusion des objets et du monde perceptible quand le décor est si nu...

Sous l'acclamation du public en fin de pièce, Raeda Taha, en guise de révérence, tournoie sur la scène en brandissant le V de la victoire avec les doigts des deux mains, comme ces irréductibles combattants eux aussi assoiffés de revanche.

Depuis cette funeste date de 1948 où une écharde a été plantée au cœur du monde arabe avec la création d'Israël, telle une bombe que nul ne désamorce jusqu'aujourd'hui (source de tant de vindicte terroriste et de querelles sanglantes d'une géographie locale bancale et défigurée), cette victoire serait bien avenue pour arrêter tous ces embrasements régionaux qui ne font que se multiplier et apporter misère, destruction et malheur. Et le Liban, en ce sens, en a largement payé son tribut devant l'infortune de tous ses voisins qui n'ont pas été tendres pour lui.

Qui a dit que le théâtre n'est pas le reflet amplificateur du passé, du présent et de l'avenir ? Les mots, même entre verbiage, logorrhée et lyrisme appuyé, sont beaucoup moins inoffensifs qu'on ne le pense. Et, par-delà le tableau sombre de la situation actuelle avec le déferlement de migrants au pays du Cèdre, ces mots de scène, soyeux, rêches ou électrisés, chargés d'une vie spoliée, restent un rempart contre l'indifférence, la haine, la froideur, le rejet ou le détachement.

Par-delà toutes vicissitudes irritantes, et peut-être à corps défendant, des mots qui poussent à vivre, se battre, voir juste, garder la tête hors de l'eau et aller de l'avant. Ici ce n'est pas un divertissement mais une mise en conscience. Après tout, l'histoire – même la plus noire – est la plus grande des leçons !

 

*Rayya Morcos figurait parmi les talents sélectionnés de Génération Orient 2016.

Théâtre al-Madina
36 Abbas Street Haifa
Jusqu'au 15 octobre, de jeudi à dimanche, 20h30.
Tél : 01/753010.

Sur une scène absolument nue, sauf une flaque de lumière et un micro accroché à son stand, Raeda Taha en robe noire (signée Bird On a Wire, Rayya Morcos*), tragique, virevoltante et animée jusqu'à l'excès, lance, dans un accent grassement palestinien, son paquet de mots face au public. C'est-à-dire tout ce qui déborde du cœur en ce qui concerne un patriotisme omniprésent chauffé à...

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