M. Hasbani, hier, au cours de sa conférence de presse. Photo Dalati et Nohra
Une jeune femme est morte. Pourtant, Farah Kassab n'avait pas inéluctablement rendez-vous avec la mort. Le drame s'est déroulé dans un établissement hospitalier du littoral du Metn, où elle a subi une liposuccion en vue d'enlever ses excédents graisseux, opération à la suite de laquelle elle a succombé à une embolie pulmonaire.
C'est le président de l'ordre des médecins, Raymond Sayegh, qui a indiqué hier à L'Orient-Le Jour la cause possible du décès. « Selon les résultats préliminaires de l'autopsie faite à la demande du ministère de la Santé, la patiente aurait été victime d'une embolie pulmonaire graisseuse », indique M. Sayegh, qui s'empresse de souligner que « le risque d'une telle complication est fréquent lorsqu'on travaille avec le gras ». « De la graisse peut se détacher et aller obstruer une artère pulmonaire, faisant obstacle à la circulation du sang et provoquant ainsi un arrêt cardiaque », explique-t-il, affirmant que « même en tentant de réanimer le malade, on n'arrive pas souvent à le récupérer ». Prudent, M. Sayegh n'a pas voulu se prononcer sur les responsabilités liées à l'accident, affirmant que l'ordre des médecins attend de mener son enquête pour communiquer son avis sur les circonstances du drame. « D'ailleurs, le propriétaire de l'hôpital, chirurgien traitant de la victime, a déposé lui-même auprès de l'ordre une demande d'enquête », a-t-il dit.
De son côté, l'avocat de l'ordre, Charles Ghafari, affirme à L'OLJ qu'« un comité scientifique consultatif au sein de l'ordre a été chargé d'étudier le dossier », soulignant que ce comité « va consulter des anesthésistes, chirurgiens et autres experts diplômés des meilleures universités ». M. Ghafari estime que « ces investigations devraient s'étendre sur une durée de 10 jours, au terme desquels le comité présentera son rapport au conseil de l'ordre des médecins, qui le soumettra alors au parquet ».
La date du décès
En attendant, les circonstances sont confuses. Les questionnements portent sur l'existence ou non d'une unité de soins intensifs dans l'établissement où s'est déroulée l'opération chirurgicale, ainsi que sur l'occurrence ou non d'une erreur médicale, ou au contraire d'une cause accidentelle, mais aussi sur le moment où la mort est survenue.
Sur ce dernier point, une source médicale affirme à L'OLJ que « pendant l'opération, la tension de la victime est tombée très bas, ce qui a nécessité son transport immédiat à l'hôpital Notre-Dame du Liban, à Jounieh, alors qu'elle était encore en vie. Mais elle n'a pas tardé à succomber ». Toutefois, un communiqué publié hier par le ministère de la Santé indique, au contraire, qu'« une jeune femme, non libanaise, est arrivée morte à l'hôpital Notre-Dame du Liban (Jounieh), venant d'une clinique spécialisée en chirurgie plastique située sur le littoral du Metn ». Pour la LBCI, la jeune femme est décédée mercredi à 17h, mais l'hôpital Notre-Dame du Liban n'a annoncé sa mort que le lendemain à 10h.
Mise à part la confusion sur le moment de la mort et la raison pour laquelle celle-ci n'a pas été aussitôt divulguée, d'autres questions se posent, notamment de savoir si des examens médicaux avaient été prescrits avant l'opération. Selon certaines sources, la procédure n'en était pas une, mais trois. Outre la lipoaspiration, Farah Kassab a subi une chirurgie des paupières et une rhinoplastie. Sa santé permettait-elle d'en subir tant ? s'est demandée la LBCI.
Le président du syndicat des hôpitaux, Sleiman Haroun, affirme à L'OLJ que le propriétaire de la clinique en cause avait demandé l'affiliation de son établissement au syndicat, mais que sa requête avait été refusée parce que celui-ci ne remplissait pas les conditions requises. Selon certaines sources informées, le centre médical de chirurgie esthétique a finalement obtenu une licence en vertu d'un décret pris par un ancien ministre de la Santé. M. Haroun souligne qu'« il ne s'agit pas du premier accident du genre », indiquant que « de tels faits surviennent fréquemment dans de nombreux centres non dotés de compétences humaines et d'équipements, et donc non habilités à procéder à des gestes chirurgicaux sous anesthésie générale », mais, déplore-t-il, « les responsables restent impunis ».
(Pour mémoire : Chirurgie esthétique : Hasbani prend des mesures après l'annonce d'un décès)
Couverture politique
Pour sa part, l'ancien président de l'ordre des médecins, Charaf Abou Charaf, rappelle, interrogé par L'OLJ, que, lors de son mandat (2010-2013), le conseil de l'ordre avait ordonné la radiation du médecin en cause pour une période de six mois, mais que ce dernier avait alors présenté un recours en justice grâce auquel sa peine a été réduite à un mois.
Des sources médicales concordantes indiquent d'ailleurs que le praticien a souvent eu des comportements portant atteinte aux mœurs publiques, diffusant des vidéos et placardant des affiches qui contreviennent à l'éthique médicale, mais, poursuivent ces sources, il a toujours bénéficié d'une couverture politique qui l'a mis à l'abri des poursuites. Ces mêmes milieux s'étonnent en outre que des médias étrangers, tels que la chaîne française M6, louent les compétences et performances du médecin, signalant par ailleurs que ce dernier est interdit de séjour au Qatar pour les fautes professionnelles graves qu'il y a commises.
Contacté par L'OLJ, le ministre de la Santé, Ghassan Hasbani, affirme pour sa part qu'il n'est pas de son ressort de se prononcer sur les responsabilités liées au décès de la jeune femme. « Cet incident aurait pu survenir dans tout hôpital spécialisé », estime-t-il, soulignant qu'« il appartient à la justice de trancher sur son origine, le parquet ayant entamé son enquête ». M. Hasbani a en outre indiqué avoir demandé de manière orale à l'ordre des médecins d'entamer une enquête et qu'il le fera de manière officielle lundi. Il a de plus affirmé que « la commission des enquêtes au sein du ministère, dont le rôle est consultatif, a constitué un dossier sur l'affaire », soulignant par ailleurs avoir « ordonné l'arrêt des opérations chirurgicales dans l'établissement hospitalier jusqu'à nouvel ordre ». L'OLJ a d'ailleurs tenté hier en début de soirée d'entrer en contact avec la clinique pour recueillir la version du propriétaire, mais la personne au bout du fil a précisé qu'« il n'y a personne pour le moment ».
« Course contre la montre »
Lors de l'entretien avec L'OLJ, M. Hasbani a fait état des « efforts déployés et (de) la course contre la montre pour réglementer les professions médicales en vue d'assurer la qualité des services médicaux et de protéger tant le malade que le médecin ». Il a évoqué le dernier classement de Bloomberg (groupe financier américain spécialisé dans les informations économiques) qui, a-t-il précisé, « a placé le Liban en tête des pays arabes pour le tourisme médical ». « C'est avec des lois et des règlements que nous voulons maintenir haut ce niveau que le pays a atteint en termes de services de santé », a insisté le ministre.
Tôt dans l'après-midi, M. Hasbani avait d'ailleurs tenu une conférence de presse au siège du ministère, au cours de laquelle il s'est penché sur la réglementation du secteur de la chirurgie plastique, rappelant qu'une loi promulguée en février a délimité les spécialisations et les actes médicaux autorisés dans les centres de chirurgie esthétique. « Les établissements concernés disposent d'un délai de 6 mois (jusqu'en août) pour régulariser leur situation, sous peine de fermeture, conformément à un décret du ministère de la Santé », a-t-il martelé.
Concernant les hôpitaux spécialisés, M. Hasbani a affirmé avoir émis hier un décret réglementaire, qu'il préparait depuis un certain temps et qu'il s'est empressé de publier à la suite du drame. Cette décision édicte « l'interdiction de procéder à des opérations chirurgicales de nature à causer des complications nécessitant des soins intensifs dans tout hôpital non équipé d'une unité de soins intensifs autorisée par le ministère de la Santé ». Le décret enjoint également au médecin d'expliquer au malade les risques d'une opération chirurgicale et de lui demander de signer un formulaire sur les droits des malades.
Pour mémoire
Enquête ouverte après le décès d'une patiente en chirurgie esthétique
C'est le président de l'ordre des médecins, Raymond...
commentaires (9)
Quel paysage de désolation!!! Suite à des drames pareils, on se réveille et on découvre.....que que que... Aucune anticipation, aucune étude , aucune prévision... On se réveille et on découvre que les soins intensifs sont nécessaires...n'importe quoi.... Si je ne me trompe pas , sur le vol de la MEA il y a bien une publicité pour des cliniques de Chirurgies plastiques... On se réveille et on découvre qu'elles ne sont pas aux normes.... Quel paysage de désolation dans un pays devenu une vraie ferme d'exploitation de tout Humain en premier. Pitié , pitié..
Antoun S
00 h 24, le 05 juin 2017