En 2014, lors de son fameux discours à l'école militaire de West Point, Barack Obama définissait ainsi la ligne de sa politique étrangère : « Ce n'est pas parce qu'on a le meilleur marteau que l'on doit voir chaque problème comme un clou. » Lorsqu'il arrive au pouvoir en 2009, le nouveau président hérite de la politique antiterroriste initiée par George W. Bush depuis le 11 septembre 2001. Mais contrairement à son prédécesseur, M. Obama se fait le défenseur d'un interventionnisme militaire modéré. Il promet lors de sa campagne le retrait des troupes d'Afghanistan et d'Irak, promesses qu'il aura d'ailleurs du mal à tenir tout au long de ses mandats. Très sceptique quant aux bénéfices retirés des interventions militaires des États-Unis, le 44e président américain se tourne vers le programme des drones.
C'est un nouveau volet de la guerre contre le terrorisme qui s'ouvre. Ce programme implique non seulement des attaques de drones en Irak et en Afghanistan, considérés comme des zones de guerre, mais aussi au Pakistan, au Yémen, en Somalie, en Libye et en Syrie. Ces frappes se veulent ciblées contre les cellules jihadistes présentes dans ces pays et entendent ainsi limiter le nombre de pertes humaines, autant dans les rangs de militaires américains que du côté des civils. Comme le Congrès n'a pas approuvé la guerre dans ces pays, ces opérations sont secrètes, c'est-à-dire commandées par la CIA qui dresse les fameuses « kill lists », la liste des cibles terroristes. Elles détaillent le profil de la cible : son portrait, ses affiliations aux groupes terroristes, la menace qu'elle représente pour les États-Unis... Le président reçoit ces fiches et décide d'éliminer ou non les terroristes. Deux chefs d'el-Qaëda ont été ainsi tués en octobre dernier en Afghanistan. L'un d'eux, Farouq al-Qahtani, était considéré comme un proche d'Oussama Ben Laden. Un responsable américain avait désigné cette attaque comme « l'opération la plus importante contre el-Qaëda depuis plusieurs années » pour le Pentagone.
Plus de 500 frappes
« C'est très certainement une partie de l'héritage d'Obama », analyse Peter Bergen, journaliste et vice-président de New America, un think tank spécialisé dans les politiques américaines à l'ère du numérique. « Toute sa théorie de la guerre repose sur le fait qu'il ne voulait pas avoir un grand nombre de troupes déployées », poursuit le spécialiste. L'ancien sénateur de l'Illinois voit dans les drones une nouvelle approche de la guerre contre el-Qaëda et une meilleure façon d'endiguer le terrorisme. Une approche qui rompt avec son prédécesseur.
Le programme a certes débuté sous l'ère Bush, mais il s'est largement développé pendant l'administration Obama, précise Peter Bergen. D'après les chiffres disponibles sur le site de New America, qui recense les données relatives à ces opérations secrètes (hors Afghanistan et Irak), un peu plus de 500 frappes ont eu lieu pendant les mandats du président démocrate. Pour ce qui est des deux pays où les États-Unis sont entrés en guerre sous George Bush, « peu de données sont disponibles », concède, interrogé par L'Orient-Le Jour, Jameel Jaffer, directeur du Knight First Amendment Institute à l'Université de Columbia et auteur d'un livre sur la question. Le chercheur évalue leur nombre à quelques milliers.
« Plus récemment, cette technologie a été utilisée en Syrie », développe-t-il. Ce mois-ci, un chef du groupe Fateh el-Cham – nouveau nom du Front al-Nosra depuis sa séparation avec el-Qaëda – a été tué par un drone de la coalition internationale conduite par les États-Unis.
« Totalement contre-productif »
Cette politique a toutefois rapidement montré ses limites. Le recours aux drones n'a pas permis d'endiguer le terrorisme, ni de prévenir la renaissance de l'État islamique en Irak et en Syrie. La mort d'Oussama Ben Laden n'a pas non plus été synonyme de disparition du groupe el-Qaëda, qui continue de prospérer en Syrie, au Yémen et en Asie.
Contrairement aux ressources humaines, le drone ne permet pas de récolter de précieuses informations dans la lutte contre le terrorisme. « Cette façon de tuer est trop clinique », décrit Jameel Jaffer. Même si cette technologie tend à toujours plus de précision, elle n'échappe pas non plus à quelques bavures. En janvier 2015, une attaque de drone contre el-Qaëda au Pakistan tuait deux otages, un Américain et un Italien.
Outre les kill lists et leur lot de contestation sur leur absence de transparence, c'est aussi l'illégalité de ces attaques en dehors des zones de guerre qui pose problème. Non seulement elles détruisent « le processus démocratique dans des pays comme les États-Unis », explique Jameel Jaffer, mais elles « perdent le cœur et l'esprit des populations dans les pays visés, les poussant à rejoindre les insurgés et les organisations terroristes ». « C'est totalement contre-productif », assène-t-il. D'autant que les « terroristes » visés sont souvent entourés, entraînant aussi des pertes civiles.
L'ancien directeur de la CIA John Brennan avait pourtant assuré qu'aucun civil n'avait été tué. « C'est évidemment faux », réfute Jameel Jaffer. Si le nombre de victimes civiles a eu tendance à diminuer ces dernières années, comme le confirme Peter Bergen, selon son organisme, il reste élevé à quelques centaines au Pakistan, au Yémen et en Somalie. D'après des chiffres rendus publics par l'administration Obama, 2 436 personnes seraient mortes dans les opérations antiterroristes dans ces pays, dont 116 civils. Un nombre qui tend à tripler si l'on s'en tient aux estimations du Bureau of Investigative Journalism, une organisation indépendante spécialisée dans l'investigation et l'analyse des politiques du gouvernement.
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