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Une victoire de verre

Parqués dans des ghettos, spoliés, assiégés, affamés, humiliés, régulièrement matraqués ou carrément bombardés, les Palestiniens n’ont pas trop souvent l’occasion de faire la fête. Et si la liesse était générale jeudi, à Gaza comme en Cisjordanie et jusque dans les camps de réfugiés des pays arabes voisins, c’est que l’occasion, précisément, le valait bien cette fois. De triste anniversaire qu’il était – celui du vote à l’ONU de 1947 sur le partage de la Palestine sous mandat britannique –, ce fatidique 29 novembre marquera désormais l’accession de l’Autorité autonome au rang d’État membre non permanent des mêmes Nations unies.

Ce n’est pas encore le Pérou, certes ; si la Palestine émerge de la soute à bagages pour se trouver enfin une place assise à bord de la galère onusienne, elle reste loin en effet de la classe affaires alors que la route demeure bien longue. Il faut néanmoins une bonne dose de mauvaise foi (et le tandem israélo-américain n’est guère en reste sur ce terrain) pour ne voir dans l’événement qu’un détail insignifiant qui ne changera rien à la situation sur le terrain : pire, un développement contre-productif, comme l’affirme Washington. Car on vous le demande, Dame Hillary Clinton, qu’y a-t-il encore à compromettre, à contrecarrer ou à saboter dans ce même processus de paix et qu’Israël s’est ingénié à vider de toute substance sans s’attirer la moindre remontrance de la part du parrain américain ?

Tant de mauvaise grâce s’explique. Car non seulement l’Autorité autonome, ignorant superbement les menaces de représailles financières américaines, remporte une victoire diplomatique d’importance, se ralliant en effet les suffrages de plus des deux tiers des pays membres de l’organisation internationale. Mais l’unique superpuissance mondiale, aveuglée par son alliance stratégique avec Israël, s’est une fois de plus retrouvée, en compagnie d’États aussi influents que Panama, la Micronésie ou les îles Marshall et Palaos, au nombre de ceux qui ont pris parti contre le droit et la justice, contre le simple bon sens, contre la marche de l’Histoire.

Plus concrètement et d’un point de vue légal, les Palestiniens sont en mesure désormais de faire acte de candidature à la Cour pénale internationale, ce qui les rendrait aptes à engager des poursuites contre des responsables israéliens pour crimes de guerre ou contre l’humanité. Cette arme juridique, les Palestiniens ont vite fait savoir qu’ils n’en useraient qu’avec la plus grande circonspection ; mais la seule éventualité d’un tel recours suffit pour en affoler déjà plus d’un à Tel-Aviv, et pour cause !

C’est surtout au plan intérieur cependant que les effets de ce singulier jeudi sont les plus immédiats, les plus réconfortants aussi. Le peuple palestinien ne peut décemment prétendre à un État en règle, aussi longtemps que subsiste l’âpre rivalité des dernières années entre deux frustes moignons d’État, que l’idéologie et la politique politicienne ont séparés avec plus d’efficacité encore que les barrières géographiques imposées par l’occupant. De longues années de malheurs ont scellé la brutale rupture entre la Cisjordanie et Gaza, entre un Mahmoud Abbas bien mal récompensé de sa modération et de son inlassable quête de paix et un Khaled Mechaal prisonnier de ses thèses jusqu’auboutistes.

Respectabilité internationale et stratégie de défense se sont trop longtemps fait la guerre, avec les résultats catastrophiques que l’on sait, alors qu’elles sont logiquement les deux faces de la même monnaie. C’est ce que n’a jamais voulu comprendre, au Liban, un Hezbollah soucieux surtout de domination politico-communautaire, comme de marketing persan. Grandes pour la Palestine – et néanmoins bien fragiles – sont les espérances venant du Palais de Verre de Manhattan.

Issa Goraieb
igor@lorient-lejour.com.lb

Parqués dans des ghettos, spoliés, assiégés, affamés, humiliés, régulièrement matraqués ou carrément bombardés, les Palestiniens n’ont pas trop souvent l’occasion de faire la fête. Et si la liesse était générale jeudi, à Gaza comme en Cisjordanie et jusque dans les camps de réfugiés des pays arabes voisins, c’est que l’occasion, précisément, le valait bien cette fois....