Rien n'y fait. Beyrouth ne veut absolument pas se départir de cette tradition qu'elle s'est imposée depuis une bonne vingtaine d'années et qui consiste à bouder les urnes. Aux municipales de 2010, le taux de participation au scrutin était de 21 %. Six ans plus tard, alors qu'une véritable bataille électorale s'annonçait entre deux listes complètes, à savoir « les Beyrouthins », une coalition de partis politiques – à l'exception du Hezbollah et du PSP – formée sous la houlette du courant du Futur, et « Beyrouth Madinati », un rassemblement d'activistes de la société civile, parmi les quatre en lice, cette proportion est restée pratiquement la même. Selon le ministère de l'Intérieur, seulement 20,14 % des 467 021 électeurs inscrits se sont rendus aux urnes pour élire 24 nouveaux membres du conseil municipal, parmi les 95 candidats ainsi que 108 moukhtars parmi 211 candidats. Cette proportion était près de 45 % dans la Békaa.
Le désengagement des électeurs a poussé des dirigeants politiques comme le général Michel Aoun, chef du bloc parlementaire du Changement et de la Réforme, et Samir Geagea, chef des Forces libanaises, à exhorter les Beyrouthins à exercer leur droit au vote et c'est la main sur le cœur que les parrains et les candidats des deux listes ont suivi le dépouillement des voix en soirée.
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Les appréhensions des uns et des autres se justifiaient notamment par les événements de la journée. Non seulement la faiblesse de l'affluence aux bureaux de vote rendait les résultats aléatoires, mais le comportement des électeurs faisait que tout pronostic était incertain. À Beyrouth II (Bachoura, Medawar et le quartier du port) et III (Mazraa, Mousseitbé, Zokak el-Blatt, Dar el-Mraissé, Mina el-Hosn et Ras Beyrouth) où normalement des listes complètes étaient déposées dans les urnes, le panachage était pratiqué, dit-on, dans certains quartiers en faveur de « Beyrouth Madinati », qui bénéficiait d'un soutien appuyé à Beyrouth I (Achrafieh, Rmeil et Saïfi), notamment à Achrafieh où elle a raflé, selon les chiffres non définitifs fournis par les responsables de cette liste, les suffrages d'une grande partie des électeurs. Un fait intéressant à signaler : c'est dans les bureaux de vote réservés aux Beyrouthines que les activistes de la société civile auraient obtenu la majorité des voix.
Le vote chiite
Il est tout aussi intéressant de s'arrêter sur le comportement des électeurs chiites. Il est vrai que le Hezbollah avait assuré qu'il n'allait pas mobiliser ses partisans en faveur de telle ou telle autre liste, leur laissant le choix de voter « selon leurs convictions », mais le fait est qu'à Zokak el-Blatt et dans le quartier du port, majoritairement chiites, on a surtout voté pour la liste « Beyrouth Madinati », présidée par Ibrahim Mnaymné. Le vote chiite massif en faveur de « Beyrouth Madinati » ne peut qu'être interprété à un niveau politique, comme un acte dirigé principalement contre Saad Hariri.
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Ces trois facteurs, la faiblesse de l'affluence, la sympathie affichée à l'égard de « Beyrouth Madinati » dans Beyrouth I et le vote des chiites a fait que les machines électorales des deux listes se sont gardées de s'aventurer à donner des résultats presque définitifs, mais les premiers scores obtenus donnaient un net avantage à la liste des « Beyrouthins ».
À Beyrouth I, les voix des électeurs aounistes se sont dispersées pour l'élection de moukhtars. Les partisans du vice-président du CPL, Nicolas Sehnaoui, se sont conformés aux listes de la coalition politique alors que Ziad Abs, responsable du régional de Beyrouth, aurait établi sa propre liste, arrachant ainsi des voix à la coalition et laissant éclater au grand jour, par la même occasion, les petites guerres intestines consécutives au changement qui s'est produit à la tête du CPL. Il n'en demeure pas moins que c'est l'ensemble des listes de moukhtars soutenues par « les Beyrouthins » qui a été élu.
(Voir aussi : Municipales 2016 : le scrutin à Beyrouth et dans la Békaa, en images)
Quoi qu'il en soit, même si la principale finalité des municipales se rapporte au développement, à Beyrouth, le scrutin a revêtu un caractère éminemment politique, mettant face à face les forces représentées au pouvoir et la société civile. Celle-ci n'a pas réussi à briser le monopole exercé pendant des années par une même classe politique, il est vrai, mais elle peut se targuer d'avoir enregistré une belle victoire au vu des scores – non définitifs – qu'elle a enregistrés dans certains quartiers où elle aurait obtenu la majorité des voix.
À Zahlé, où la bataille électorale entre trois listes a pris une tournure âpre et a été ponctuée tout au long de la journée d'échanges d'accusations sur l'achat de voix, à l'heure d'aller sous presse, les résultats n'étaient toujours pas annoncés. Selon les informations qui circulaient à l'heure d'aller sous presse, il est possible que la liste des partis chrétiens, présidée par Assaad Zougheib, ait été percée. Là aussi, le vote du Hezbollah qui a décidé de soutenir ses alliés dans chacune des listes rivales, a eu un impact certain.
Dans la région de Baalbeck, on s'attend, sauf surprise de dernière minute, à ce que les listes hezbollahies remportent les municipales.
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MADINAT IL KOULL... MAIS OU SONT-ILS ?
LA LIBRE EXPRESSION
19 h 48, le 09 mai 2016