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Liban - Conférence

La peur au ventre, les réfugiés syriens ne savent pas à quel saint se vouer

Passivité et impuissance sont la règle face aux menaces sécuritaires.

De gauche à droite, Karim Mufti, Tamirace Fakhoury et Imad Salameh.

« Ici, nous sommes traités comme si nous étions des Israéliens. » Formulée par un réfugié syrien, cette phrase en dit long sur sa perception de ses conditions de vie, ainsi que de celles d'un grand nombre de ses compatriotes, sur le territoire libanais. « Nous sommes dans un hôtel moins cinq étoiles », ironise un autre. Un troisième dira : « On nous accuse d'être sales. »

 

Autant de témoignages recueillis dans le cadre d'une étude effectuée par des chercheurs et professeurs universitaires sur le thème de « l'accès à la justice des réfugiés syriens au Liban ». Un projet financé par le gouvernement néerlandais.
Dirigée par les professeurs Tamirace Fakhoury et Karim Mufti, avec la collaboration d'Illina Slavova, chercheuse, l'étude est le fruit d'une collaboration entre l'Institut pour la justice sociale et la résolution des conflits relevant de la Lebanese American University, le Centre international pour les sciences humaines et International Alert.
Effectuée à partir de groupes de discussion choisis sur la base d'un échantillon de 63 personnes réparties dans plusieurs régions libanaises (Hermel, Halba, Majdel Anjar, Marjeyoun), l'étude, combinée à un sondage scientifique sur les moyens d'accès à la justice et la perception de cette dernière par les réfugiés, a été présentée devant un public d'experts – représentants d'ONG, professeurs, et chercheurs – dans le cadre d'un échange constructif devant servir à la formulation de recommandations utiles. Celles-ci devraient servir à l'avenir à une meilleure compréhension des besoins réels et des perceptions en cause afin de rapprocher les points de vue et aider l'État ainsi que les décideurs locaux à pouvoir y répondre de manière plus adéquate et plus efficace.

 

(Lire aussi : Bassil : Le Liban ne s’est jamais servi des réfugiés pour exercer un quelconque chantage)


Quels sont les recours et mesures de protection mis à la disposition des réfugiés et quelle perception en ont ces derniers ?
Le sentiment général qui ressort de cette étude est un mélange d'appréhension et de manque de confiance dans les forces de l'ordre et du système en place, par peur d'un châtiment quelconque. Un sentiment également d'impuissance face à des interlocuteurs officiels qui ne cachent souvent pas leur mépris à l'égard des réfugiés.
À ce propos, M. Mufti relève le contexte sociopolitique qui conditionne la perception des réfugiés de leur propre situation à partir du regard porté sur eux par certains responsables politiques notamment. Sont également évoquées des déclarations devenues tristement célèbres faites par des ministres libanais, notamment la mention de « radiations terroristes » émanant des milieux des réfugiés, la remarque selon laquelle le Liban n'est « pas un entrepôt pour les réfugiés de guerre », ou encore l'idée que « certains pays considèrent le Liban comme une province du Haut-Commissariat des réfugiés ». Bref autant de remarques désobligeantes et repoussantes qui viennent s'ajouter à la « paranoïa de l'implantation des Syriens » qui continue de hanter les esprits en dépit des assurances officielles données par le Premier ministre à ce sujet au lendemain de la conférence de Londres, poursuit le chercheur.

 

« Dieu vous viendra en aide »
L'étude a montré que la population des réfugiés est d'autant plus vulnérabilisée que les moyens de recours dont elle dispose sont inexistants sinon très limités.
« La loi est toujours du côté des Libanais », confie l'une des personnes interrogées. « Si vous êtes Syrien, vous ne pouvez pas vous plaindre », dit un autre. Une femme affirme avoir été « dissuadée » de porter plainte contre une personne tierce par un élément des forces de l'ordre qui lui a clairement signifié qu'elle « n'avait que Dieu sur qui compter ». Mme Fakhoury a noté que que 6 pour cent des 1 200 personnes interrogées dans le cadre du sondage ont reconnu avoir été victimes d'un crime (agression, vol ou autre). Quatre-vingt-seize pour cent d'entre eux ont confié n'avoir jamais déposé une plainte.
« Personne n'ose porter plainte », témoigne une mère syrienne de Halba qui se plaignait des harcèlements subis par les filles syriennes dans la localité.
Les menaces face à l'interdiction de travailler devaient revenir sur toutes les lèvres ainsi que les difficultés rencontrées dans le cadre du processus de régularisation des documents de séjour.
Certains réfugiés ont reconnu avoir eu recours à des documents falsifiés, comme ce père confessant l'avoir fait pour faire venir sa fille qui était restée bloquée en Syrie. La plupart des personnes interrogées ont affirmé n'avoir pas les moyens de payer les frais de renouvellement de leurs papiers de résidence, une situation qui les a acculées à se retrouver dans l'irrégularité.
L'étude a fait ressortir un sentiment partagé de « harcèlement par les forces de l'ordre », exacerbé par « le phénomène des arrestations arbitraires et de torture ». Les exactions contre la population des réfugiés ne sont pas souvent le fait des seules forces de sécurité, mais également l'œuvre de bandits et de gangs, et aussi de civils libanais, comme le montre l'exemple d'un représentant d'une association caritative locale qui a infligé un châtiment physique à un réfugié qui avait osé critiquer sa gestion des aides.
La recherche a par ailleurs mis en exergue un phénomène saillant, à savoir « les moyens informels ou le recours à des intermédiaires locaux pour résoudre un problème ponctuel ».

 

(Lire aussi : Elles élèvent seules leurs enfants dans l’attente d’un éventuel départ pour l’Europe)

 

Le recours aux notables
« Lorsque j'ai un problème quelconque, je préfère me diriger vers une personne influente au sein de sa communauté », devait confier l'un des réfugiés de la région de Majdel Anjar. Dans d'autres cas, c'est l'intervention de la municipalité qui a pu servir de plateforme pour la résolution du conflit. Bref, un système de recours « parallèle » déjà largement répandu au Liban et que certains Syriens ont fini par préférer faute de pouvoir se référer aux structures officielles en place.
Si la perception des réfugiés interrogés dans les zones de Majdel Anjar, Hermel et Halba s'est avérée plutôt négative en termes d'accès à la justice, ce n'est pas le cas pour l'échantillon de réfugiés vivant dans la zone de Marjeyoun, région sous l'influence du Hezbollah.
Là, les réfugiés, en majorité alaouites et pro-Bachar, ont exprimé leur satisfaction quant à l'organisation de leur vie, les opportunités de travail et les différents recours, principalement informels, dont ils bénéficient pour la résolution des conflits.

 

(Pour mémoire : Un aller simple pour la Turquie depuis le port de Tripoli, avec l'Europe au bout du rêve) 


« Dans cette région, les permis sont directement délivrés par les services de renseignements de l'armée libanaise. Une commission syro-libanaise a été mise en place pour assurer la médiation et œuvrer en direction de la résolution des problèmes en coopération avec la municipalité, un réseau de notables et les ONG locales », note M. Mufti.
L'étude, qui en est encore à sa première phase, a donné lieu à des échanges qui ont ouvert le débat sur la complexité des relations entre réfugiés et pays hôte, ainsi que sur les multiples dysfonctionnements du système libanais.
« Les réfugiés n'ont pas atterri dans une société parfaite, les Libanais eux-mêmes n'ayant souvent pas recours à la justice », devait faire remarquer l'un des participants. D'autres ont relevé le fait que les réfugiés syriens sont « venus d'un pays qui n'était pas tout à fait un exemple en matière de démocratie non plus ». « En Syrie, on ne leur demandait pas leur avis sur leurs conditions de vie », a noté un intervenant.
Mme Fakhoury a enfin souligné « le discours paradoxal des responsables libanais qui sollicitent l'Occident pour partager avec le Liban le fardeau des réfugiés mais ne font rien en termes de lobbying auprès de l'Europe qui d'ailleurs a fait preuve d'absence de volonté politique sur ce plan ».

 

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commentaires (6)

Au fond ils se chiffrent" à combien, ces Syriens réfugiés ? Un million, un million cinq cents mille.... ou, yîîîh, à Deux millions ?!

ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

15 h 22, le 04 mars 2016

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Commentaires (6)

  • Au fond ils se chiffrent" à combien, ces Syriens réfugiés ? Un million, un million cinq cents mille.... ou, yîîîh, à Deux millions ?!

    ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

    15 h 22, le 04 mars 2016

  • Certains de ces chïïtes libanais(h), ont-ils pensé à les remercier de les avoir accueillis en masse lors de la "divine" de 06 ? Yâ yassirtîîîh !

    ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

    15 h 18, le 04 mars 2016

  • SI... LES PAUVRES... VEULENT UN ACCÈS URGENT À L'AU-DELÀ ILS N'ONT QU'À SE VOUER AU SAINT BASHAR ! GRAND EXPÉDITEUR PARADISIAQUE...

    LA LIBRE EXPRESSION

    10 h 57, le 04 mars 2016

  • Tout le monde est à plaindre, dans cette situation tragique.

    Christine KHALIL

    08 h 42, le 04 mars 2016

  • Certains ont-ils pensé à remercier le Liban de les accuiillir en masse depuis 5 ans?

    NAUFAL SORAYA

    07 h 40, le 04 mars 2016

  • Rien d'étonnant en tout cela. Ceux -même parmi les "chercheurs"- qui croient que le Liban a la moindre capacité de prendre soin de près de 2 millions de pauvres réfugiés syriens vivent dans la lune.

    Halim Abou Chacra

    04 h 18, le 04 mars 2016

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