Plus qu'une visite de courtoisie, l'audience accordée hier par le patriarche maronite, le cardinal Béchara Raï, à une délégation de haut niveau du Hezbollah s'est transformée en une fructueuse réunion de travail. De source bien informée, on indique que le siège patriarcal en tire satisfaction sur un point au moins : l'assurance d'avoir parfaitement et fermement clarifié sa position à l'égard de la présidentielle, en soulignant la nécessité d'examiner sérieusement l'initiative en cours, ou de lui trouver une alternative rapidement. Pour sa part, le Hezbollah a fait savoir que son appui à la candidature à la présidentielle de Michel Aoun est une affaire « d'éthique politique » avec laquelle « il ne peut pas jouer ».
La délégation du Hezbollah était conduite par le président du conseil politique de ce parti, Ibrahim Amine al-Sayyed, et comprenait notamment le vice-président de ce conseil, Mahmoud Comati, ainsi que deux autres de ses membres, Moustapha Hajj Ali et Ali Daher, sans compter une délégation de responsables du Hezbollah du caza de Jbeil. Côté patriarcat, assistaient le patriarche deux membres du comité bilatéral pour le dialogue avec le Hezbollah, Mgr Samir Mazloum, vicaire patriarcal, et Harès Chéhab.
La réunion a commencé par la lecture d'un bref document de travail préparé par M. Chéhab, à la demande du patriarche, comprenant les principaux points que le siège patriarcal désire aborder :
1) La présidentielle et le retard mis à l'élection d'un nouveau président ; les dommages structurels que ce retard inflige aux institutions, au travail de l'exécutif (crise des déchets) et à l'appareil administratif ; la dégradation de la situation économique en général et l'appauvrissement qui s'ensuit où le patriarche voit « une menace réelle pour le Liban » ; l'impossibilité depuis près de deux ans de faire émerger un consensus sur l'un des quatre candidats forts qui s'étaient retrouvés à Bkerké.
2) Les sanctions économiques américaines. Le siège patriarcal souhaite des éclaircissements au sujet d'échos prêtant au Hezbollah la volonté de transformer le secteur bancaire en un « secteur résistant ».
3) Les dangers d'un pourrissement si le Liban devait attendre, avant l'élection d'un nouveau président, que toutes les conditions d'une reconstitution des institutions soient remplies, un panier qui comprendrait notamment une nouvelle loi électorale. Une telle approche pouvant repousser indéfiniment l'élection présidentielle.
(Lire aussi : Dans le « non » du Hezbollah à Frangié, il faut entendre le « non » de l'Iran à la présidentielle, l'éclairage de Philippe Abi-Akl)
Pas de « panier »
De son côté, Ibrahim Amine al-Sayyed aurait fait valoir que le Hezbollah se considère tenu par un engagement de principe envers la candidature de Michel Aoun, et que cet engagement relève de l'éthique politique avec laquelle « le parti ne joue pas ». Le président du conseil politique a ajouté que son parti considère comme étant d'une importance capitale que le président élu soit « un président à poigne ».
« S'il existe des personnalités ou des partis qui considèrent que le blocage de l'élection présidentielle est le fait de Michel Aoun, soit, mais qu'ils ne demandent pas au Hezbollah de convaincre ce dernier de changer d'attitude. Qu'ils s'y emploient eux-mêmes », a affirmé en substance le président du conseil politique.
Par ailleurs, le responsable du Hezbollah aurait fait valoir qu'à aucun moment son parti n'a défini un « panier » des réformes indispensable pour qu'il accepte de participer à l'élection d'un nouveau président. « Nous ne sommes pas dans une logique de troc, ou de donnant-donnant », a-t-il fait valoir, tout en relevant l'importance des éléments du panier dont il est question et notamment la loi électorale.
L'initiative et la personne
Au sujet de l'initiative proprement dite, le patriarche a insisté à nouveau sur le fait que Bkerké distingue clairement entre la proposition lancée et la personne du président, faisant valoir toutefois que l'initiative en question a eu l'immense mérite « de faire bouger les choses ».
Pour sa part, le représentant du Hezbollah a relevé que l'insistance apportée à dire que l'initiative « bénéficie d'un appui international n'est pas si positif que ça ».
« Nous sommes ouverts au principe de la nécessité de l'élection d'un nouveau président », a encore dit Ibrahim Amine al-Sayyed, tout en affirmant que ce qu'on appelle « initiative » est loin d'être une affaire de principe et comprend « beaucoup de points de détail » à examiner.
Par ailleurs, le responsable du Hezbollah a démenti que son parti « ne veut pas d'élection présidentielle » et a accusé quelques politiciens en mal d'analyse de propager ces accusations.
Enfin, au sujet des sanctions américaines, le responsable chiite a répété que le Hezbollah « ne se considère pas concerné, ne bénéficiant d'aucun transfert bancaire, que ce soit à l'intérieur ou à l'extérieur du pays ». « Mais, a-t-il ajouté, l'État ne doit pas se voir imposer de transférer des données sur demande de l'administration américaine ; l'examen de comptes suspects est du ressort de l'État libanais et de personne d'autre. »
(Repère : Les principales sanctions prises contre le Hezbollah dans le monde)
Les autres visiteurs
Par ailleurs, le patriarche devait recevoir hier le ministre de la Justice, Achraf Rifi, le député Ahmad Fatfat, le gouverneur de la Banque du Liban, Riad Salamé, l'ancien ministre Jean Obeid et une délégation de Deir el-Ahmar conduite par l'évêque Hanna Rahmé.
MM. Rifi et Fatfat devaient convenir de l'importance de procéder le plus rapidement possible à l'élection d'un nouveau président, insistant sur le fait que la Constitution est claire sur la procédure à suivre, et que « la présidence n'est pas l'affaire des seuls chrétiens, mais celle de tous les Libanais ».
Pour sa part, M. Salamé devait se montrer particulièrement rassurant sur la solvabilité de l'État libanais et la solidité de la livre. « La livre est en excellente santé, grâce notamment à une augmentation des dépôts. Nous sommes en mesure de garantir la stabilité monétaire et économique en dépit des circonstances que traverse le pays », a-t-il assuré.
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commentaires (17)
Doublement lourdingue !
ANTOINE-SERGE KARAMAOUN
12 h 40, le 31 décembre 2015