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Liban - 10e anniversaire du retrait syrien

« Fraternité » libano-syrienne : faut-il se méfier d’un coup de Jarnac ?

L’échange des documents entre Élias Hraoui et Hafez el-Assad.

Le 22 mai 1991, le « traité de fraternité, de coopération et de coordination entre la République libanaise et la République arabe syrienne » était signé à Damas, par les chefs des deux États.
Ce traité-cadre prévoyait la conclusion d'accords bilatéraux « dans tous les domaines », avec l'accent mis sur l'économie, la sécurité et la politique étrangère. Il créait également six organes institutionnels, notamment le Conseil suprême, formé par les présidents et chefs de l'exécutif et du législatif des deux pays, et le secrétariat général, émanant de ce Conseil.
Face à un Liban ruiné par la guerre, la Syrie jetait les assises de son nouveau rôle régional de gardien de « l'arabité », appuyée par Washington, après la guerre du Golfe.


Mais l'enracinement durable de la présence syrienne ne pouvait se produire au Liban sans une apparence de légitimité, en dépit du déséquilibre des forces. Damas trouvera donc (ou inventera) son point d'appui dans le document d'entente nationale signé à Taëf. Le traité de fraternité reprenait ainsi dans son préambule la formulation du paragraphe 4 de ce document sur les relations libano-syriennes, qualifiées de « relations fraternelles sincères et privilégiées ».


Bien sûr, la décision chrétienne de boycotter les législatives en 1992, liée à leur conviction que le pacte national, fondé sur la parité, est inviolable – même en politique –, s'avérera être un pari raté. C'est que les « relations privilégiées avec la Syrie », expression solennelle qui portait les liens de voisinage à un degré supérieur, celui de « la fraternité », avaient déjà acquis, avec le traité de 1991, un caractère presque sacré, intrinsèquement lié à l'impératif d'une unité arabe. Et le traité de fraternité devait habilement faire prédominer cette rhétorique sur le reste des stipulations de l'accord de Taëf, phagocytant, en somme, les assises de l'équilibre interlibanais.


Pour le ministre Boutros Harb, « ce qui est sûr, c'est que le traité de fraternité en lui-même était relativement homogène avec le texte de Taëf, puisqu'il a maintenu l'expression "dans le cadre du respect de la souveraineté des deux pays", que nous avions tenu à insérer dans le document d'entente nationale. C'est l'élasticité de la formulation du traité de fraternité qui permettra de déroger éventuellement à Taëf à travers les accords conclus en vertu du traité-cadre ».

 

Une conception élastique de la fraternité
Dans son évaluation du traité de fraternité, en 2000, lors d'un colloque national sur les rapports libano-syriens, Daad Bou Malhab Atallah, professeure à l'Université libanaise, relevait que « la conception de fraternité permettait d'enrober et de légitimer une politique pouvant aller jusqu'à l'hégémonie du grand frère ou de la grande sœur sur les petits frères et sœurs, non par bénéfice, mais par devoir ».
« Nous avions compris alors que le traité-cadre, la configuration après les élections de 1992, l'assujettissement du président libanais Élias Hraoui (qui était pourtant issu du rassemblement des députés maronites) et la nomination du Premier ministre par les Syriens constituaient les éléments d'une consécration totale de la mainmise syrienne sur les institutions libanaises », souligne Boutros Harb.
L'absence des opposants chrétiens au Parlement, de 1992 à 1996, « l'assujettissement » des dirigeants du pays, paveront la voie à la signature de nombreux accords de coopération « fraternelle ».
Que sont devenus ces accords après le retrait des troupes syriennes du territoire libanais, le 26 avril 2005 ?
En politique, ces accords sont aujourd'hui « désuets », « caducs », « tombés de facto », s'entendent à affirmer les milieux du 14 Mars, relayés même par l'avis de technocrates.


En droit néanmoins, ces accords restent en vigueur, affirment les juristes. D'ailleurs, le maintien en fonction du secrétariat général, présidé par Nasri Khoury, qui est jusqu'à aujourd'hui rémunéré par les deux gouvernements libanais et syrien, est révélateur du risque de voir ressurgir les effets de ces accords, en fonction des circonstances politiques. Alors que « l'échange diplomatique Beyrouth-Damas, après le retrait des troupes syriennes, a rendu caduc le rôle de Nasri Khoury, ce dernier fait des réapparitions ponctuelles, à travers des déclarations politiques portant la marque de Damas », souligne le député Marwan Hamadé à L'OLJ. Il ajoute que certains accords de sécurité sont toujours appliqués, notamment concernant la traque de certains opposant syriens réfugiés au Liban, Damas et ses alliés libanais continuant à invoquer la validité de ces accords.
C'est en connaissance de cause que « le 8 Mars avait œuvré, après le retrait des troupes syriennes, à bloquer les moyens institutionnels visant à remettre en cause ces accords : l'exigence du tiers de blocage au gouvernement, la fermeture du Parlement sous le gouvernement Siniora... devaient servir en partie cet enjeu », ajoute le député.

 

Relecture des accords
Néanmoins, il existe plusieurs arguments qui plaident pour la caducité de ces accords, indépendamment de leur validité juridique. Le premier en est le chamboulement régional, où le régime syrien n'est plus ce qu'il était. D'ailleurs, même les accords de coopération militaire sont supplantés par une autre forme de coopération, imposée par la nouvelle situation sur le terrain.
Le second argument est lié à la nature des accords eux-mêmes, qui ne fournissent aucune matière à leur applicabilité dans l'absolu, et encore moins actuellement. Une évaluation audacieuse de ces accords avait été organisée à l'initiative du Mouvement culturel d'Antélias sous la direction de l'universitaire Issam Khalifé, en novembre 2000.
Une relecture de ces interventions permet de comprendre ce qui est advenu des différents traités depuis le retrait des troupes syriennes.


Les accords dans des domaines non stratégiques (agricoles, sanitaires...) ont pour faille « d'occulter les spécificités » du Liban et la coopération s'en trouvait de ce fait restreinte, desservie de surcroît par l'incompétence des autorités libanaises en la matière, selon les travaux du colloque national organisé en 2000. Les accords de cette catégorie « n'ont jamais été réellement appliqués », indépendamment du retrait des troupes syriennes, relève un ministre de l'époque à L'OLJ.
Les accords de transit et de libre-échange ont pour caractéristique de reprendre d'anciens accords qui existaient en la matière, remontant à 1977 : leur archaïsme porte le germe de leur caducité, ou du moins l'impératif de leur révision.


Force est de relever, en évoquant l'applicabilité de ces accords, « la volonté du régime syrien d'entraver leur mise en œuvre, en vue de justifier une éventuelle fusion des entités arabes et syriennes », selon l'économiste Michel Morcos, citant une étude du gouvernement syrien en date du 2 octobre 2000.
Si l'on concède que le changement régional produira une redéfinition de l'arabité, cette logique devra donc s'inverser, en faveur d'une coopération équilibrée et juste. L'objectif, même pour les opposants les plus virulents au régime syrien, n'est pas tant d'annuler les accords de coopération que de les réviser. Mais là encore, il faudra attendre l'interlocuteur adéquat. « L'interlocuteur en Syrie ou chez nous ? » s'interroge Boutros Harb, sourire aux lèvres.

 

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commentaires (5)

Le "Traité de fraternité..." entre Hafez el-Assad et Elias Hraoui, c'est comme un traité de deux articles entre le renard et la poule : Article premier : Le renard mange la poule. Article deux : La poule s'offre au renard.

Un Libanais

21 h 10, le 27 avril 2015

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Commentaires (5)

  • Le "Traité de fraternité..." entre Hafez el-Assad et Elias Hraoui, c'est comme un traité de deux articles entre le renard et la poule : Article premier : Le renard mange la poule. Article deux : La poule s'offre au renard.

    Un Libanais

    21 h 10, le 27 avril 2015

  • LES FRATERNITÉS N'ONT PAS BESOIN DE TRAITÉ ! LES TRAITÉS... TOUS LES TRAITÉS... CACHENT LA TRAÎTRISE...

    LA LIBRE EXPRESSION

    18 h 41, le 27 avril 2015

  • Tout contrat imposé par la force est de facto considéré comme nul. Bien sur, légalement les textes sont la. Il faut alors les abroger officiellement et chercher a en établir d'autres. Cependant, en raison des dommages dont la Syrie a été responsable au Liban, la base des nouveaux accords se doivent de prendre en considérations les compensations dues a notre pays, même si celles-ci seront l’égale d'une tutelle économique Libanaise sur la Syrie pour une période de temps limitée.

    Pierre Hadjigeorgiou

    13 h 15, le 27 avril 2015

  • Un traité signé sous occupation est nul et non avenu.

    Yves Prevost

    06 h 59, le 27 avril 2015

  • Le traité de "fraternité" libano-syrienne, imposé à l'époque par la funeste tutelle, est un mensonge monstrueux comme le tryptique "peuple, armée, résistance" du Hezbollah.

    Halim Abou Chacra

    06 h 49, le 27 avril 2015

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