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Liban - Reportage

Rémy et Novart, assyriens des villages de Hassaké, racontent l’enfer

Rémy n'a pas pu enterrer, avant de partir, ses camarades tombés au front en protégeant les villages du Khabour. Novart s'inquiète pour son père et sa mère qui ont été enlevés par les miliciens de l'État islamique à Tell Shamiran, dans le gouvernorat de Hassaké.

L’immense tristesse de Rémy qui sait qu’il ne peut pas défendre son village assyrien de Khabour contre les miliciens de l’EI.

Rémy Ochana, 30 ans, et Novart Isaac, 18 ans, enceinte au 1er mois, sont arrivés lundi soir à Beyrouth. Ils font partie des 17 assyriens syriens, déplacés de leurs 32 villages, situés sur les rives du fleuve Khabour, dans le gouvernorat de Hassaké. Vingt-deux de ces villages ont été occupés il y a une dizaine de jours par les miliciens de l'État islamique tandis que les dix autres ont rapidement été désertés par leurs habitants.

Mariés depuis sept mois, Rémy et Novart sont en état de choc. Ils n'ont nulle part où aller. La Sûreté générale a octroyé un visa de six jours au couple. Rémy a pensé amener son épouse au Liban. « Ma mère et ma sœur, qui vivent à Bourj Hammoud depuis deux ans, s'occuperont d'elle. Je rentrerai en Syrie. J'essaierai de retourner au village, à Tell Remane, peut-être que je pourrais le défendre », dit-il.
« Quand le visa de Novart expirera, elle pourra rester à la maison. Elle ne sortira pas... Elle pourrait peut-être rejoindre sa sœur et son frère en Allemagne. Moi, je ne peux pas vivre au Liban, sans sortir, sans travailler », raconte Rémy qui a passé plus de quinze ans de sa vie au Liban, qui n'a certes jamais pu avoir une nationalité libanaise, laquelle ne peut être octroyée que par décret présidentiel, et qui est rentré dans son village de Tell Remane, sur les rives du Khabour, à Hassaké, il y a deux ans pour protéger sa terre.
Novart, brune et menue, parle peu. Toujours en état de choc, elle regarde sur son portable des photos du village. Elle montre l'église, une bâtisse neuve, qui a reçu quelques obus. « C'était avant les bombardements », dit-elle. Novart ne lève les yeux que pour regarder des clips sur l'écran de télévision. Les films, diffusés par Suryoyo TV (la télévision syriaque qui émet à partir de la Suède) montrent les combattants du Conseil de sécurité syriaque, appelé Sutoro, et des Gardiens du Khabour, une milice assyrienne, qui s'entraînent, sur fond de chants patriotiques en langue araméenne.

 

(Lire aussi : Comme les chrétiens du Liban en temps de guerre, les syriaques de Syrie commencent à se battre)


Novart a fui le village de Tell Remane, où elle habite depuis son mariage, avec les voisins. Son mari était au front. Ses parents, âgés tous les deux de 53 ans, résidant dans le village voisin de Tell Shamiran, avaient été enlevés une semaine plus tôt, avec 300 autres personnes de la communauté. Elle n'a depuis aucune nouvelle d'eux.
À quoi a-t-elle pensé en prenant la fuite avec les voisins, tout le long du chemin allant du village à la ville de Hassaké. « À mon père et ma mère que je laisse derrière moi et dont j'ignore le sort », répond-elle.
Rémy indique : « J'étais au front durant plusieurs jours. Nos villages se trouvent des deux côtés du fleuve Khabour. Les miliciens de l'État islamique ont occupé les 22 villages au bord de l'une des rives. Les dix autres villages sur l'autre rive sont devenus alors la cible de bombardements et de francs-tireurs », raconte-t-il.
« Les villages déjà étaient presque vides de leurs habitants. Une semaine plus tôt, nous les avions alertés, les mettant en garde contre les miliciens de l'EI qui préparaient une attaque. Beaucoup d'habitants sont partis, pas les 300 qui ont été kidnappés. Ce sont des hommes, des femmes, des jeunes filles, des enfants et des personnes du troisième âge », dit-t-il.

 

(Repère : Les Assyriens, une communauté chrétienne récemment implantée en Syrie)

 

L'impossible retour
« Je n'ai plus aucune notion du temps. Je ne sais plus quand j'ai quitté le village, quand je suis arrivé au Liban. Je sais que ma femme est partie avec les voisins et je l'ai retrouvée à la ville de Hassaké trois jours plus tard. L'évêché était plein à craquer. Tout le monde était là pour recevoir des aides. Les prêtres ne savent plus quoi faire. Ils ont logé les familles dans les maisons des chrétiens de la ville et qui avaient fui auparavant pour quitter définitivement la Syrie », dit-il, notant que plus de 100 000 chrétiens vivaient dans les villages du Khabour avant la guerre.
« J'étais au front. Nous nous sommes battus jusqu'au bout. Sutoro, la milice syriaque, a pu tuer une centaine de miliciens de l'EI... Douze parmi nous (les Gardiens du Khabour) sont morts ou portés disparus. Wadad, une femme de 35 ans, a riposté aux tirs avec son arme. Quand ses munitions ont été épuisées, ils se sont approchés d'elle et l'ont décapitée. Et il y a Milad, mon ami. Milad avec qui j'ai passé du temps au Liban et en Syrie. Le soir de son décès, il est venu me rendre visite. Je montais la garde. Sa motocyclette n'a pas démarré quand il a voulu partir. Je lui ai dit de passer la nuit... Mais il est parti. J'ai su le lendemain. J'ai vu son sang par terre. Son corps était à la morgue. Mes amis m'ont dit de fouiller son corps pour prendre son arme afin qu'elle ne soit pas reprise par les Kurdes. J'étais incapable de le toucher. Je l'ai juste regardé. Deux jours plus tard, un ami, également milicien, a conduit une ambulance. J'étais avec Milad derrière. Je l'ai ramené à la ville de Hassaké ; il était impossible de l'enterrer dans son village natal », poursuit-t-il.

(Lire aussi : "Un complot se trame contre les Assyriens de Syrie. Ils veulent nous chasser de nos maisons")

 

Rémy parle des combats, des Kurdes et de l'EI
« Nous portions les mêmes vêtements que les combattants kurdes. Mais eux ont de loin beaucoup plus d'armes que nous. Nous avions quelques fusils et une lance-roquettes... Comment voulez-vous que l'on préserve longtemps nos villages ?
Et pourtant, en février dernier, nous avions pu récupérer les 22 villages occupés par l'EI (ceux qui ont été repris par les jihadistes il y a une dizaine de jours). Quand ils étaient il y a quelques mois dans nos villages, les miliciens de l'EI nous empêchaient de porter des croix autour du cou ou d'avoir des signes religieux visibles dans nos maisons et nos commerces. Ils nous ont obligés de démanteler la grande croix de l'église de Tell Hermez. Mais quand nous avons repris le village au début de février dernier, nous avions remis la croix en place. Mais aussitôt qu'ils ont occupé à nouveau Tell Hermez, ils ont dynamité l'église », raconte Rémy. Il marque une pause et soupire : « Pourquoi le bon Dieu n'a pas fait de miracles ? »
Il parle encore des miliciens de l'EI : « Nous avons vu leurs cadavres. Tous portaient des seringues sur eux. Peut-être se droguaient-ils pour pouvoir combattre. Ils avaient des charges explosives autour de la taille, au niveau des fesses. C'est pour pouvoir tuer leurs ennemis mêmes s'ils meurent, le cadavre pouvant exploser entre les mains d'une personne qui le retourne. »

Rémy note aussi que la Turquie a fermé sa frontière, qui se trouve à 35 kilomètres des villages du Khabour, aussitôt que les miliciens de l'EI ont commencé à s'avancer vers les localités assyriennes, empêchant ainsi les habitants de fuir.
« Les terroristes étaient en face de nous, de l'autre côté du fleuve. Il y avait des étrangers, de toutes les nationalités mais la plupart étaient des Arabes de Syrie. Nous les entendions parler dans leurs walkies-talkies. Ils disaient qu'ils avaient besoin de guides, qu'il fallait leur envoyer quelqu'un de la région », indique-t-il.
« Ce sont certains habitants des villages voisins, des musulmans, qui nous ont balancés. Et pourtant, nous les avions beaucoup aidés. Que de fois nous étions intervenus pour les libérer des prisons kurdes. Et contrairement aux Kurdes, nous les laissions passer facilement à nos barrages », raconte-t-il encore.
Rémy est certain : il ne vivra plus jamais avec ses voisins, qu'ils soient kurdes ou musulmans. « Je suis sûr que les assyriens ne retourneront pas aux villages du Khabour. Moi-même, je ne sais pas de quoi mon avenir sera fait ;
si je retourne dans les villages assyriens de Hassaké, ça ne sera pas pour récupérer ma terre et y passer le reste de ma vie mais pour bien mourir dignement en la défendant en vain », souligne-t-il en conclusion.

 

 

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Rémy Ochana, 30 ans, et Novart Isaac, 18 ans, enceinte au 1er mois, sont arrivés lundi soir à Beyrouth. Ils font partie des 17 assyriens syriens, déplacés de leurs 32 villages, situés sur les rives du fleuve Khabour, dans le gouvernorat de Hassaké. Vingt-deux de ces villages ont été occupés il y a une dizaine de jours par les miliciens de l'État islamique tandis que les dix autres ont...

commentaires (2)

Je ne vois nulle part dans cet article que le hezb résistant est responsable en quoi que se soit de cette situation désastreuse des chrétiens d'Orient ! est ce un miracle ?

FRIK-A-FRAK

13 h 20, le 06 mars 2015

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Commentaires (2)

  • Je ne vois nulle part dans cet article que le hezb résistant est responsable en quoi que se soit de cette situation désastreuse des chrétiens d'Orient ! est ce un miracle ?

    FRIK-A-FRAK

    13 h 20, le 06 mars 2015

  • Assyriens ou le plan Kissinger qui commence à porter ses fruits pour vider le moyen orient des chrétiens .

    Sabbagha Antoine

    11 h 06, le 06 mars 2015

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