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Liban - débat

Chawki Azouri, pour le dépassement permanent de tous les « pères-maîtres »...

Le psychanalyste a défendu les idées de son ouvrage « J'ai réussi là où le paranoïaque échoue », lors d'une causerie à la Librairie Antoine, avec Michel Hajji Georgiou, Antoine Courban et Carla Yared.

Notre collègue, Michel Hajji Georgiou (à gauche), présentant « la personnalité singulière » qu’est son « grand ami », le psychanalyste Chawki Azouri (à droite). Photo Michel Sayegh

Dans son ouvrage J'ai réussi là où le paranoïaque échoue : théorie et transfert(s), paru à l'origine aux éditions Denoël en 1991 et qui vient d'être réédité aux éditions Erès, le psychanalyste Chawki Azouri pousse sa réflexion sur la thématique de l'émancipation, jusqu'à démontrer les résistances opposées par le maître de la psychanalyse, Sigmund Freud, à l'autonomisation de ses élèves.

Au-delà de son argumentaire sur la peur du fils de se libérer du père, semblable à ses yeux à la réticence de ses propres collègues de se départir de « l'institution malade », et donc de définir leur individualité par rapport au maître, Chawki Azouri assume jusqu'au bout sa position d'« enfant terrible » de l'institution. Il revient ainsi sur ses propres craintes, progressivement surmontées, de surpasser le père-maître de la psychanalyse, Freud, avant de déconstruire le comportement de ce dernier et de démontrer, par une recherche extrêmement fouillée, le refus du psychanalyste autrichien de concéder à ses élèves analystes de l'École de Vienne quelque autonomie ou démarcation.

Si la volonté de se libérer est réactionnelle, la capacité à le faire est l'indice d'un recul suffisant par rapport à la figure paternelle, où le fils devient le principal auteur de lui-même.
Si cet archétype du fils incarné par Chawki Azouri reste quelque peu rebelle face à l'institution – un peu « trotskyste et iconoclaste », pour reprendre les termes de notre collègue Michel Hajji Georgiou, qui a animé, jeudi soir, la causerie avec le psychanalyste autour de l'ouvrage en question à la Librairie Antoine du centre-ville de Beyrouth –, son travail de déconstruction du maître obéit néanmoins à une méthodologie lucide. Se joindront à la causerie deux regards différents, l'un psychanalytique, celui de Carla Yared, qui suit les séminaires de M. Azouri, et l'autre, détaché de la psychanalyse, celui de l'épistémologue et philosophe Antoine Courban.

Dans son ouvrage, Chawki Azouri décortique en effet, « comme un anatomiste qui dissèque le cadavre de Dieu », pour reprendre l'observation d'Antoine Courban, la lecture faite par Freud à partir des Mémoires d'un névropathe de Daniel Paul Schreber (1900) dans son fameux opus Schreber pour bâtir sa théorie de la paranoïa. Azouri choisit ainsi d'explorer dans un premier temps les notes de bas de page de l'essai de Freud sur Schreber, puisque c'est dans cette partie de l'ouvrage que « l'incertitude de l'auteur et les points où il défaille apparaissent », explique-t-il. Il se demandera par exemple « pourquoi Freud ne s'est pas intéressé aux écrits du père de Schreber, médecin, qui était plus fou que son fils ». « Pourquoi ne s'est-il pas intéressé au délire du père pour éclairer le fils ? » Une « occultation du père » très significative pour le psychanalyste, puisqu'elle renvoie aux résistances de Freud face à une question primordiale : la place qu'il occupe dans ses relations avec ses élèves, notamment Ferenczi ou Jung.

C'est ainsi qu'il suivra « un fil directeur », similaire à la trame d'un roman policier. C'est d'ailleurs ce que constate Michel Hajji Georgiou, en assimilant la lecture de J'ai réussi là où le paranoïaque échoue à celle d'un roman policier... la même remarque que lui avait faite d'ailleurs, en 1991, l'éminente psychanalyste belge, Maud Mannoni, disciple de Lacan comme lui, à la lecture de la première édition de son ouvrage. C'est d'ailleurs à Mannoni, avec laquelle Azouri poursuivra son analyse après avoir quitté son premier analysant, Racamier, que l'auteur dédie son ouvrage. Fait intriguant, Hajji Georgiou révèle à un Azouri étonné, durant le débat, qu'avant de devenir psychanalyste, Mannoni était... criminologue de formation.

Répondant donc à l'impératif de « ne jamais lâcher une question », Chawki Azouri tente de combler les lacunes du maître, « trahies » par ses notes de bas de page, en se tournant vers les correspondances qu'il a eues avec ses élèves, notamment Carl Jung. Il écrira à ce dernier, en 1910, « son insatisfaction de la qualité intrinsèque de son ouvrage sur la paranoïa (le fameux Schreber), n'ayant pas réussi à écarter ses complexes propres », explique Chawki Azouri, qui retient en outre, dans cette lettre « la demande de Freud à être critiqué ». Toutefois, nul ne le critiquera, même après la publication de ses correspondances avec Jung, donc même après sa demande à être critiqué. Mais lorsque Jung se décide à critiquer le « père-maître » qu'est Freud et à mettre en cause ses conclusions, il est aussitôt déchu, et même qualifié d'« ennemi » par ce dernier. Le même traitement administré par le psychanalyste autrichien à d'autres de ses élèves qui ont essayé de se délier du rapport maître-élève pour devenir pleinement des analystes. C'est qu'il est « impossible de parler de la défaillance du père », souligne Chawki Azouri. « S'il arrive au fils de percevoir la faille du père, il se précipite pour la couvrir, sinon, quand il le critique, il risque d'aller à la dérive », ajoute-t-il, en expliquant que « nous pouvons tous subir cela ».
Azouri le subira d'ailleurs lui-même dans sa lecture critique de Freud. « La censure me frappait. Il y a eu des moments où je me suis arrêté de lire », confie-t-il. Mais c'est une phrase de Nietzsche, omniprésente dans son travail, extraite d'Ainsi parlait Zarathoustra, qui lui servira de motif : « On ne rend jamais son dû à son maître quand on en reste toujours et seulement l'élève. » La lecture de L'Esprit assassiné de Schatzman Morton le décidera à se lancer dans son entreprise.

C'est que, au-delà des réticences des élèves, entretenues par le maître, à critiquer ce dernier, Chawki Azouri met le doigt sur une faille dans le rapport de l'analysant et de l'analyste, à laquelle Freud lui-même n'a pas échappé. « Alors que Schreber renvoie sa névrose à l'existence d'un "complot" contre lui, Freud a limité son examen de cette approche à la seule homosexualité du juriste, qui n'est pourtant pas liée à Schreber, mais à Freud », souligne Chawki Azouri. Cet exemple sous-tend sa thèse de l'impossibilité d'une « analyse basée sur une seule théorie ou sur un seul ouvrage ». Autrement dit, « le discours collectif ne saurait exister dans la psychanalyse », et par conséquent, l'institution, ce moule du « nous » qui « refoule le je », s'allie fort mal avec la vocation psychanalytique.
Comme le relève d'ailleurs Antoine Courban, « le vrai maître est, au final, celui qui met tout en œuvre pour que l'élève le dépasse ». C'est cela d'ailleurs l'essence de la notion d'« institution éclatée », élaborée par Maud Mannoni, fondatrice de l'école expérimentale de Bonneuil, et dont s'est inspiré Chawki Azouri pour fonder récemment sa propre école, après avoir quitté la Société libanaise de psychanalyse.

Sans pour autant critiquer cette approche, la psychanalyste Carla Yared pose toutefois la question de définir le cadre de « la transmission de la psychanalyse » : l'institution ne joue-t-elle pas quand même le rôle de gardien du temple ? Est-il possible de vivre sans, d'en faire abstraction ?
Mais, pour Chawki Azouri, intraitable, il « n'existe pas de transmission verticale en psychanalyse ». C'est, inéluctablement, au « je » de s'affirmer. Un discours déconstructionniste qui n'est pas coutumier au Liban, et qu'il fait bon entendre, dans un pays où la tendance à l'institutionnalisation patriarcale est en soi une névrose galopante.

 

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Dans son ouvrage J'ai réussi là où le paranoïaque échoue : théorie et transfert(s), paru à l'origine aux éditions Denoël en 1991 et qui vient d'être réédité aux éditions Erès, le psychanalyste Chawki Azouri pousse sa réflexion sur la thématique de l'émancipation, jusqu'à démontrer les résistances opposées par le maître de la psychanalyse, Sigmund Freud, à l'autonomisation...

commentaires (4)

EXCELLENT article ! Clair, net et précis.

ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

13 h 02, le 28 février 2015

Tous les commentaires

Commentaires (4)

  • EXCELLENT article ! Clair, net et précis.

    ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

    13 h 02, le 28 février 2015

  • IL FAUT ÊTRE PSYCHO SOI-MÊME POUR SAVOIR ET POUVOIR ABORDER AVEC RÉALISME ( PSYCHO ET RÉALISME... çA NE COLLE PAS, HEIN, ) ET SUCCÈS DE TELS SUJETS !!!

    LA LIBRE EXPRESSION

    11 h 44, le 28 février 2015

  • Il y a plusieurs méthodes validées pour échapper aux imprécisions °quantives de la psychanalyse , par exemple au début...se situer avec Spinoza dans le temps et l'espace ,puis à la théorie de la relativité de papa Einstein ...(E=mc2), puis encore mesurer la précision du temps ....avec les montres molles de l'oncle Dali....et mesurer le galop des chevaux avec Giacometti....! pour enfin dire a votre égo...., que l'on peut être Don Quichotte avec du vent ...même sans moulin.....bon voyage....!

    M.V.

    09 h 53, le 28 février 2015

  • C franchement un combat d'arriere garde...c archi connu que la psychanalyse est une des plus grandes spercheries medicales de notre epoque..ce n'est pas une science...c juste une interpretation fantaisiste....la mere..le pere...le moi..le surmoi..l'inconscient..ect...maintenant c archi prouve que nous sommes tous des hormones...et qu'une seance d'electochoc est plus efficace que des annees de pschanalyse...qui est soit disant une ' therapie' exclusiment pour les riches....quii ne sont que de snobinards nombrilistes...et soi disant intellectuel...

    Houri Ziad

    09 h 13, le 28 février 2015

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