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Prénoms Charlie

Un singulier remake du 11-Septembre ou encore de ce lointain et tout aussi calamiteux Pearl Harbour ? Entre soir et matin, voici que la France se retrouve en situation de guerre. Guerre contre qui ? Contre un ennemi implacable et d'autant plus dangereux qu'il est installé dans ses murs. Contre des Français qui n'ont rien compris à la France et à ses valeurs républicaines : des Français dévoyés par ces charlatans qui, sous prétexte de guerre sainte, ont fait du crime la plus infâme matière à dévotion.

Agressé sur divers fronts en l'espace de quelques heures, l'Hexagone a accusé le coup, c'est vrai. Mais à plus d'un niveau, grâce notamment à ses Français bien français, toutes communautés confondues, il aura admirablement fait face à cette tornade terroriste étalée sur trois journées des plus éprouvantes. Décimée, ainsi, la rédaction de Charlie Hebdo ? Des centaines de milliers de citoyens se sont aussitôt approprié le prénom de Charlie ; en outre, et bien que décapitée, la revue satirique paraîtra à nouveau mercredi prochain, les journalistes survivants ayant héroïquement pris le relais, soutenus en cela par leurs collègues du monde entier. Hollywoodienne en diable, par ailleurs, la cavale des deux assassins, les frères Kouachi, retranchés en Picardie ? Elle s'achève, comme de juste, par la mort des forcenés ; c'est le même sort que connaît simultanément leur compagnon qui avait attaqué un hypermarché cachère de Paris, encore que plusieurs de ses captifs y perdent également la vie.

Il reste que ces folles équipées auront mis en relief plus d'une faille par où pourraient bien s'engouffrer un jour des tempêtes plus violentes encore. Le premier objectif du terrorisme est de répandre la terreur, le sentiment d'insécurité, la peur du lendemain ; c'est bien ce que Daech et el-Qaëda rivalisent d'ardeur pour promettre aux peuples occidentaux : menaces d'autant plus sérieuses que le contre-espionnage britannique dit s'attendre à une vague d'attentats de vaste ampleur. Outre la peur, c'est à l'exacerbation de l'islamophobie, en Europe surtout, qu'œuvre sciemment le terrorisme islamiste. Les communautés musulmanes ne pouvant en effet que se radicaliser bon gré, mal gré, à mesure que l'amalgame gagne du terrain : les deux phénomènes se nourrissant l'un l'autre et finissant par caviarder les tissus nationaux. Déjà se multiplient, en France comme dans d'autres pays du Vieux Continent, les agressions contre des lieux de prière musulmans ; et c'est même une dimension fâcheusement œcuménique que vient de revêtir la question avec l'attaque antijuive d'hier.

Pour toutes ces raisons, c'est d'une incommensurable stupidité qu'aura fait preuve le gros de l'establishment politique français en excluant le Front national de la grande marche républicaine prévue pour demain, dimanche, à Paris et dans les grandes villes de France. De quelle union sacrée peut-il être question en effet quand est ostracisé de la sorte un bon quart de l'électorat alors que cet événement en tout point exceptionnel se veut précisément national ? Et ne fait-on pas là qu'apporter de l'eau au moulin du FN comme si le spectre chaque jour plus menaçant du terrorisme n'était pas encore assez ?

Ce n'est pas donner raison au sanguinaire régime de Syrie que de constater une fois de plus combien les démocraties occidentales sont structurellement mal armées pour faire face au fléau du moment. C'est bien par le biais des libertés publiques sacro-saintes que s'infiltre un terrorisme ennemi de toute liberté ; mais qu'elles trahissent leurs principes, et ces démocraties en viennent fatalement à se renier elles-mêmes, comme l'ont montré les odieuses chroniques d'Abou Ghraib et de Guantanamo. À défaut de trancher dans un sens ou dans l'autre le douloureux dilemme, c'est à de laborieux débats sur les droits et devoirs relatifs à l'intégration des immigrés que sont inexorablement vouées les sociétés occidentales.

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Et dans cette très approximative démocratie qui est la nôtre, peut-on invariablement être Charlie, l'être à fond, pleinement, sans réserve, sans pour autant heurter les susceptibilités religieuses ? Oui, ce Charlibanais s'impose, s'il ne s'agit que de défendre bec et ongles, face aux meurtriers (religieux ou laïcs, peu importe au fond), une liberté d'opinion et d'expression pour laquelle la presse libanaise a offert un nombre exorbitant de martyrs. Bien plus nuancés cependant auront été les commentaires politiques locaux, les blasphèmes de Charlie Hebdo ayant été généralement jugés tout aussi inacceptables que le crime qui prétendait les sanctionner. Du lot se détachaient hier deux réactions. Sur huit colonnes en manchette du journal al-Mostaqbal, organe du courant du Futur, s'étalaient ainsi, en langue française, les trois mots qui ont fait fortune un peu partout dans le monde ; le chef de file des modérés sunnites ne pouvait trouver formule plus lapidaire pour se démarquer de ces extrémistes que le 8 Mars l'accuse de soutenir en sous-main. À l'autre bout de l'éventail, le leader du Hezbollah a fustigé les jihadistes qui, a-t-il dit, nuisent à l'islam bien davantage que les caricatures sacrilèges. Hassan Nasrallah a aussi affirmé, sans citer explicitement la France, que ce fléau atteignait maintenant les États qui l'ont exporté dans notre partie du monde. C'est tout juste s'il ne s'est pas exclamé Bien fait...

Issa GORAIEB
igor@lorient-lejour.com.lb

Un singulier remake du 11-Septembre ou encore de ce lointain et tout aussi calamiteux Pearl Harbour ? Entre soir et matin, voici que la France se retrouve en situation de guerre. Guerre contre qui ? Contre un ennemi implacable et d'autant plus dangereux qu'il est installé dans ses murs. Contre des Français qui n'ont rien compris à la France et à ses valeurs républicaines : des Français...