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Culture - Disparition

Immortelle...

Elle a aimé la vie autant que la vie l'a aimée ! Passionnément et avec prodigalité. Sabah, la « chahroura », voix du monde arabe dont les « mouwals » et les « sahbats » ont fait battre les cœurs, trembler des montagnes et chanceler les étoiles de Baalbeck, s'est à jamais tue. Dans une consternation et un deuil aux résonances immenses.

Sabah en 1974 lors des répétitions de la comédie musicale "Sitt al-Kil" à Starco, à Beyrouth. AFP PHOTO/HO

Nombreux sont ceux qui croient que toutes les fées se sont penchées sur son berceau. Mais la réalité n'est pas tout à fait aussi féerique ni rose. Sabah est une femme qui, avec le sourire, le talent, le travail, la générosité et la persévérance, a arraché tous les secrets d'un succès phénoménal. Permanant. Mérité. Mais elle en a payé aussi le prix, avec usure.
Un règne aux confins d'un demi-siècle, avec la dictature d'une silhouette de jeune fille (même nonagénaire !) et la vigilante prestance d'une chevelure d'un blond incendiaire.
Une légende de l'éternelle jouvence avec paillettes, dentelles, mousseline, strass et sourire blancheur immaculée.


Mais déjà, depuis plusieurs années, les bruits les plus alarmants circulaient, régulièrement, sur l'état de sa santé chancelante.
À chaque fois, le démenti était là. Avec des photos plus «glamour» que jamais et un corps plus décharné que jamais. Et des apparitions publiques éclairs ou prolongées, acclamées ou controversées. Et un visage certes émacié, momifié, mais à chaque fois remis au goût du jour, sculpté à neuf. Il ne faut pas être sorcier pour comprendre que botox, lifting, silicone et chirurgie plastique font aujourd'hui des miracles... et réservent pas mal des surprises!
Et à chaque fois le public (de ses innombrables fans à ses gratuitement méchants détracteurs), du chauffeur de taxi au monsieur en costard et cigares, en passant par les biquets aux cheveux hirsutes et gominés, et même les braves mamans derrière les fourneaux, se rassure et souffle...
Ouf de soulagement. Oui, Dieu merci, la « Sabbouha », gardienne d'une vibrante mémoire collective et icône nationale tissée de feu d'artifice, de charme et de pétulance, est encore parmi nous.

 

(Voir : La vie de la diva en images)

 

 

Gardienne d'une mémoire collective et icône nationale
Mais toute l'histoire, pour la plupart très livre à images colorées, de cette diva flamboyante bien avant « le star system » arabe actuel, au sourire ravageur et gourmand, aux cheveux de poupée Barbie et à l'allure de Barbarella version levantine, remonte à bien loin.
Une histoire qui remonte à 1923 où Jeanette Gergi Feghali, née à Wadi Chahrour, chante comme un merle dans les cafés et les restaurants. Avec des roucoulades, des «rossignolades» incomparables et un «Abou zoulouf» unique et mythique avec ses vibratos et ses notes soutenues. Une «môme» locale dont la voix en or, la sémillante vitalité, la pétaradante joie de vivre et l'incroyable étincelle dans les yeux ne laissent guère indifférents. Des petits aux grands! Du simple citoyen aux producteurs de show de variété ou de cinéma, en passant par les mélodistes en mal de muses et d'interprètes.


Véritable rayon de lumière, Sabah avait l'art d'enchanter son entourage. Sa constante et joviale bonne humeur était contagieuse et dynamitait tout pessimisme. Extraction modeste mais ambition secrètement démesurée pour une petite fille qui avait certes du piquant, mais aussi de l'intelligence, de l'acharnement au labeur et sublime intuition féminine.
Une femme accomplie, émancipée et libérée, rompue dans l'art de la séduction. Des hommes et des foules!... Depuis 1940, sous le pseudonyme lumineux de Sabah, sous les «extensions» (ainsi appellent les «postiches» aujourd'hui les figaros aux ciseaux inspirés!) des cheveux en cascades de boucles ensoleillées, la chanteuse grimpe et caracole en tête des hit-parades de ventes des disques (pas encore connus les clips, CD, sites électroniques et autres bricoles technologiques), des cœurs et des productions de variété filmées ou télévisées.

 

(Ecputer : Quelques chansons pour se souvenir de la diva)


Secret de Polichinelle: Sabah a tout appris sur le tas! On ne parle pas bien entendu de sa formation académique et encore moins de ses prouesses et profondeur à lire une partition, elle qui a pourtant interprété des chansons de
Walid Gholmieh, Zaki Nassif, Philimon Wehbé, les frères Rahbani, Mohammad Abdel Wahab et la liste n'est jamais exhaustive. Et on sait parfaitement qu'elle n'est pas sortie du «Theater Guild» pas plus que de l'«Actors Studio», mais tout le monde s'accorde à parler de ses accomplissements et de son personnage. Les deux époustouflants et titanesques.
Dans leur registre de show pétillant, enlevé, amusant, délassant, divertissant et non parfois sans quelques grains de turbulences ou d'émotions. Elle avait la sagacité de flairer ce qui convenait à sa voix, tout comme ce qui seyait à son art de s'habiller... Elle avait tout simplement du talent et cela ne s'apprend nulle part...
Tout en s'intéressant aux scripts qui lui sont destinés, elle ne montrait pas moins d'enthousiasme et d'emballement aux «lampes» (avec piles, s'il vous plaît!), strass, paillettes, décolletés,
ceinturons et autres fariboles qui allaient garnir et illuminer le froufrou de ses robes, le super serré de ses corsets et le bouffant de ses jupons et crinolines...
Le micro était sous la coupe de ses lèvres, la caméra la courtisait à outrance et jamais couturiers, coiffeurs et brodeuses ne se sont autant agités et n'ont autant officié que pour cette Orientale à la blondeur suédoise.
Chiffres impressionnants pour une carrière qui a duré plus d'un demi-siècle : 50 albums, trois mille chansons et une centaine de films. Sabah a battu le record de longévité pour la beauté, l'élégance et l'art de se produire sur scène et devant une caméra.
Octogénaire à la taille de jeune fille, le public la réclamait encore avec véhémence, presque frénésie. Il ne se lassait jamais de ses coquetteries, des ses propos francs et enjoués, jamais agressifs. Un public insatiable de sa générosité de cœur et de bourse. Ce n'est pas pour rien qu'on l'a baptisée « Madame la Banque » tant ses dépenses étaient somptueuses et somptuaires. Ses nombreux maris, sans doute, en connaissent quelque chose.

 

(Dans nos archives : Une rencontre avec Sabah)

 

Une avant-gardiste...
Côté sentiments, voilà un chapitre hors norme en Orient pour une actrice-chanteuse qui a, en toute hardiesse et toute spontanéité, affronté les intermittences du cœur avec un appétit certes goulu mais délicieusement naturel. Sans se démonter, Sabah a défrayé les chroniques et alimenté les ragots des gazettes et échos de la presse «people». Il y avait là, surtout pour la période d'avant le laxisme actuel, une matière copieusement gratinée. Sur la longue liste des conjoints on nomme Nagib Shammas, Anwar Mansy, Baligh Hamdi, Ahmad Farragh, Roushdi Abaza, Joe Hammoud, Wassim Tabbarah, Fadi Lubnan. Et elle n'a pas craint, non plus, dans son âge vénérable, de jouer, en avant-gardiste, aux femmes croqueuses d'hommes et de diamants, au Chéri de Colette, en s'affichant en toute désinvolture aux bras de beaux jeunes hommes qui auraient la barbe naissante de ses enfants.
Instabilité affective, incompatibilité d'humeur, esprit volage, insatiable goût de la jeunesse que cette farandole et brochettes de compagnons masculins? À chaque union et à chaque romance son épilogue, mais Sabah est restée immuable. Immuable dans son attachement à la chanson, à sa dévotion à la scène, à son zèle au cinéma, au plaisir d'arborer une garde-robe à faire pâlir, dans son extravagance et sa richesse, la plus adulée des stars, à son fringant appétit de vivre.


De L'Olympia à l'Albert Hall, en passant par l'Unesco et le Festival de Baalbeck à son zénith, de toutes les capitales du monde où se déploie la diaspora libanaise, Sabah, d'un vibrant et farouche nationalisme, a été ovationnée et aimée comme personne.
Une médaille de Commandeur, des prix à tire-larigot (mais l'État libanais, fidèle à son mutisme et à sa brillante absence en matière d'art, ne lui a pas suffisamment rendu hommage), une fructueuse collaboration avec Roméo Lahoud, un séduisant partenariat de scène avec Wadih el-Safi et Nasri Chamseddine, des répliques aux géants des artistes égyptiens dont Salah Zoulfikar, Abdel Halim Hafez, Farid Chawki et Rouchdi Abaza, des ritournelles sur toutes les lèvres et des films qui ont fait rire et rêver Margot dans les chaumières ont fait de Sabah la championne sur ondes de radio, rampes de scène et rouleaux de pellicules. Dans sa longue et bigarrée filmographie, de Nar el-Chawk à Izay Ansak, en passant par Wahabtak Hayati, Rajoul el-Tani ou El-Moutamaredda, Sabah a été la plus Égyptienne des figures libanaises dans le monde arabe!
La «Chahroura», véritable reine des cœurs et «Sitt el-Koll», s'est tue à jamais. Mais son souvenir, son image et sa voix sont impérissables. Tournez un bouton de radio, visionnez un ancien film ou zappez sur le «remote» contrôle d'une TV et surgit, dans une lumière blonde et dorée, l'image vaporeuse, diaphane, espiègle, légère, comme une bulle de savon, d'une ravissante femme tout sourire. Un décapant et joyeux antidote contre la morosité de la vie, tel est le fabuleux et solaire legs de Sabah à la postérité.

 

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Nombreux sont ceux qui croient que toutes les fées se sont penchées sur son berceau. Mais la réalité n'est pas tout à fait aussi féerique ni rose. Sabah est une femme qui, avec le sourire, le talent, le travail, la générosité et la persévérance, a arraché tous les secrets d'un succès phénoménal. Permanant. Mérité. Mais elle en a payé aussi le prix, avec usure.Un règne aux...

commentaires (2)

IL N'Y A D'IMMORTEL... QUE DIEU ! MAIS SON SOUVENIR... LUI... EST IMMORTEL !

LA LIBRE EXPRESSION

09 h 34, le 27 novembre 2014

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Commentaires (2)

  • IL N'Y A D'IMMORTEL... QUE DIEU ! MAIS SON SOUVENIR... LUI... EST IMMORTEL !

    LA LIBRE EXPRESSION

    09 h 34, le 27 novembre 2014

  • Voilà bien-là, la éhhh Libanaise qu'on aime tant.

    ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

    02 h 16, le 27 novembre 2014

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