Rechercher
Rechercher

Culture - Manifestation

Les révolutions ? Tout un art !

Les mouvements et les transformations sociopolitiques ont engendré des pratiques artistiques critiques diverses dont un bel échantillonnage international est exposé au Beirut Art Center sous l'intitulé « Dix mille artifices et cent mille ruses », dans le cadre de Meeting Points 7.

« Super Rich Man », 2011, lithographie couleurs d’Anton Kannemeyer.

S'ils étaient des journalistes ou des écrivains, ils auraient écrit, noir sur blanc, le comment du pourquoi qui les révolte, gêne, horripile, interloque, empêche de dormir la nuit...
Mais voilà. Eux, sont des artistes. Et ils doivent user de moyens plus ou moins divers, plus ou moins imaginatifs, plus ou moins abstraits pour faire passer le message, s'il en est. Disons donc qu'ils doivent le faire pour s'exprimer, tout simplement. Ou peut-être non. Les artistes ont donc recours à «Dix mille artifices et cent mille ruses» pour reprendre le titre de l'exposition, «Ten thousand wiles and a hundred thousand tricks», formule empruntée au livre Les Damnés de la terre de Franz Fanon. Publié en 1961, cet ouvrage se penche sur la question de la violence, des guerres de libération, de l'assimilation culturelle de l'intellectuel colonisé. Des thèmes que l'on retrouve également parmi les nombreuses œuvres exposées au Beirut Art Center dans le cadre de Meeting Points 7.
Ce festival pluridisciplinaire d'art contemporain visant à «contextualiser» la présentation de l'art du monde arabe en est à sa septième édition. Se déroulant de septembre 2013 à juin 2014, il est conçu comme une série d'expositions successives dans différentes villes d'Europe, d'Asie et du monde arabe, telles que Zagreb, Anvers, Hong Kong, Moscou, Beyrouth, Le Caire et Vienne. Ce programme se démarque des éditions précédentes de Meeting Points dans la mesure où il s'étend au-delà du monde arabe, qu'il s'agisse des villes où il se tient, des artistes qui y participent et de son orientation, puisqu'il évite les représentations d'ordre national ou régional.
MP est organisé par YATF (Young Arab Theater Fund), une association internationale basée à Bruxelles, au service des artistes indépendants et émergents qui résident et travaillent dans le monde arabe. Après une cinquième édition menée par Frie Leysen (lauréat du prix Erasme), c'est Okwui Enwezor qui a concocté le numéro 6 de MP en 2011. Tarek Abou el-Foutouh, commissaire indépendant, architecte et directeur du YATF ainsi que de Meeting Points, a confié cette 7e édition du Meeting Points à «What, How and for Whom», un collectif de curatrices croates formé en 1999 qui dirige la galerie Nova à Zagreb. Il est composé d'Ivet Curlin, Ana Devic, Natasa Ilic, Sabina Sabolovic et du designer/publiciste Dejan Krsicet. «WHW s'intéresse à la façon dont les expositions ou les projets artistiques peuvent être utilisés comme des alternatives aux industries culturelles afin d'ancrer dans la sphère publique des discussions sur des problèmes sociaux et politiques importants», expliquent-ils.
Toujours articulées autour des questions What, How and for Whom, les manifestations de ce collectif interrogent des sujets politiques par sa pratique artistique. «Nous ne faisons pas d'art politique, mais nous travaillons des sujets politiques.»
Pour l'exposition itinérante de «Meeting points 7», WHW a conçu plusieurs formats qui s'adaptent à chaque pays accueillant. Tout en gardant un thème général chapeautant le tout et s'inscrivant donc dans une réflexion postcoloniale.
WHW a ainsi réuni les productions de créateurs appartenant à des aires culturelles et géographiques diversifiées qui partagent cette même posture de la résistance à toute dynamique coloniale. «En préparant l'exposition, nous avons réalisé que la plupart des œuvres proposées ont été produites durant des périodes de révolution dans l'action comme dans la pensée, raconte Ana Devic. Nous nous sommes interrogés alors comment appréhender la révolution, non en tant que mouvement abrupt de protestation, mais en tant que programme politique en bonne et due forme.»

La révolution, un laboratoire d'essai
«De tels choix sont liés au contexte actuel, poursuit la curatrice. L'organisation du festival coïncide en effet avec les retombées de la vague de révoltes populaires qui secouent le monde arabe depuis 2011, ainsi qu'avec la montée en puissance de divers autres mouvements sociaux à travers la planète. Ces deux dernières années ont ainsi été l'occasion d'une intense remise en cause par le public du système social et économique en vigueur.» Et de poursuivre: «Les événements qui ont eu lieu – et qui continuent de se produire – ont été accueillis comme les prémices de l'émergence d'un nouveau type de mouvement politique dépourvu d'organisation hégémonique et de leaders charismatiques, mais qui promettrait d'atteindre l'émancipation en suivant des voies alternatives. Et pourtant, en parallèle, on reproche aussi à ces rebellions d'avoir échoué, parce qu'en conservant intact l'appareil répressif, elles ont abouti au prompt rétablissement d'un système conservateur ou, pire encore, elles sont accusées d'avoir sombré dans le chaos et les conflits ethniques ou religieux.»
Pour les curateurs de WHW, bien que la portée politique définitive de ces révolutions demeure à évaluer, ils réactualisent néanmoins la question de savoir comment penser la révolution sur les plans historique et politique. Pour eux, les révolutions arabes fonctionnent donc aussi comme des laboratoires d'essais pour le partage de nouvelles expériences politiques à travers les espaces géographiques.
Dans la note d'intention, les curateurs indiquent que «les considérations de Frantz Fanon sur la lutte anticoloniale, son examen critique impitoyable du comportement des mouvements nationalistes une fois le pouvoir conquis, son analyse de la violence ainsi que l'importance majeure qu'il accorde à la lutte des classes, tout ceci peut être employé à bon escient pour comprendre non seulement les mobilisations de masse récentes dans le monde arabe, mais aussi les événements se déroulant à travers le monde depuis le début de la dernière crise structurelle en date du capitalisme – et il en va de même pour sa représentation du "lumpen" prolétariat urbain comme "le fer de lance du mouvement révolutionnaire", son rejet de l'exclusivisme des politiques identitaires en faveur d'une conscience internationale et son approbation des organisations structurées comme garde-fous contre les "pièges de la spontanéité".»
«L'expression "Dix mille artifices et cent mille ruses" du titre de l'exposition n'est qu'une référence oblique à l'analyse par Fanon du passage du colonialisme au néocolonialisme et de la transformation des révolutionnaires anticolonialistes en administrateurs de l'ordre postcolonial», précise la curatrice. «En s'appuyant sur sa pensée, ce titre permet plutôt de mieux cerner le rôle des classes moyennes dans les mouvements et groupements actuels, sans oublier la nouvelle classe mondialisée d'artistes, de commissaires et d'intellectuels. De manière analogue, les termes "artifices et ruses" nous renvoient aux multiples contre-stratégies créatives qui ont surgi des manifestations et soulèvements récents, permettant d'exposer, de recycler et de subvertir les systèmes d'oppression pour forger de nouvelles alliances entre militantisme politique et geste esthétique», dit-elle en précisant que, toutefois, l'exposition ne vise pas en soi à souligner ou archiver ces épisodes singuliers que traverse notre époque.
Dans ce melting-pot artistique aux confins de l'art contemporain et de l'engagement politique, on trouve beaucoup d'images, de photographies, de montages photos, d'installations vidéo, des maquettes, des plans... Certains à valeur historique, d'autres documentaire et d'autres encore militant pour une cause précise. Les artistes étant de diverses nationalités, de diverses cultures, il est intéressant de naviguer entre les préoccupations des dominants et des dominés, du colonisant et du colonisé, entre les révoltes et les révolutions, les luttes diverses, la langue spoliée, le tiers-monde, la terre confisquée... Ce qui compte au final, c'est l'être humain et ses tentatives de reconquête de la vie, de soi-même, de la terre.
«Dix mille artifices et cent mille ruses» navigue entre les thèmes imbriqués de la révolution et de la contre-révolution, du pouvoir individuel et de la cooptation, pour tenter de révéler comment émergent, puis sombrent, les vagues de l'espoir au rythme des attentes et des désenchantements.
Une exposition à voir jusqu'au 3 mai et où les images se caractérisent par un pouvoir centuplé. Qui transcende les cultures et les époques.

S'ils étaient des journalistes ou des écrivains, ils auraient écrit, noir sur blanc, le comment du pourquoi qui les révolte, gêne, horripile, interloque, empêche de dormir la nuit...Mais voilà. Eux, sont des artistes. Et ils doivent user de moyens plus ou moins divers, plus ou moins imaginatifs, plus ou moins abstraits pour faire passer le message, s'il en est. Disons donc qu'ils doivent...

commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut