« Je pensais que notre pays était plus développé que l’Indonésie ou le Bangladesh. J’avais peut-être tort »

Le capitaine du ferry qui a coulé en milieu de semaine au large de la Corée du Sud a été arrêté hier, selon l'agence nationale Yonhap. Les procureurs ont déclaré que les premiers éléments de l'enquête ont montré que le capitaine Lee Joon-seok avait laissé la barre à son troisième officier avant l'accident. Il fait face à cinq accusations, dont celle de négligence et de violation du droit de la mer. Le capitaine et la plupart des 28 membres de l'équipage du Sewol ont réussi à quitter le navire avant qu'il ne sombre.

Plus de 48 heures après le drame, et malgré la violence des courants, deux plongeurs ont réussi à ouvrir une porte et à entrer dans la partie cargo du navire totalement immergé. « Il n'y a quasiment aucune visibilité. Vous ne pouvez pas voir votre main devant votre figure », a dit un des deux hommes une fois revenu à terre. Vingt-huit corps ont été retrouvés, selon le dernier bilan des gardes-côtes. Se trouvaient à bord du Sewol 475 personnes, dont 352 lycéens. Deux cent soixante-huit manquaient à l'appel et aucun rescapé n'a été retrouvé depuis mercredi. Les sauveteurs espèrent trouver des passagers qui se seraient réfugiés dans des poches d'air, hypothèse de moins en moins crédible au fil des jours.

Un des survivants, l'adjoint au principal de l'école d'où venaient les lycéens, a été retrouvé mort hier matin. Un suicide selon l'agence de presse Yonhap, qui précise que la police avait trouvé une lettre annonçant ce suicide dans le portefeuille du responsable du lycée. « Survivre seul est trop dur... J'endosse toute la responsabilité », indique la lettre. Selon les médias locaux son corps a été retrouvé pendu à l'aide d'une ceinture sur une branche d'arbre.

Les causes de l'accident ne sont pas connues. De nombreux passagers disent avoir entendu un grand bruit suivi d'un arrêt soudain du ferry. Cela pourrait signifier que le navire a heurté le fond ou percuté un objet immergé. Des experts évoquent aussi la possibilité que la cargaison du navire, quelque 150 véhicules, se soit déplacée, le déséquilibrant irrémédiablement.
Les parents, dévorés d'angoisse et de chagrin, critiquent violemment les autorités, accusées d'indifférence et de tromperie. « Le gouvernement a menti », a déclaré hier un homme, qui dit parler au nom de tous les parents, dans une intervention retransmise en direct à la télévision sud-coréenne. Il affirme n'avoir vu sur le site du drame que quelques embarcations et plongeurs, loin des 500 plongeurs, 169 bateaux et 29 aéronefs que les autorités affirment avoir envoyé sur les lieux.

(Lire aussi : Appels à l'aide et amour filial: les derniers messages des lycéens dans le ferry en Corée)

Un pays assommé et en deuil
Programmes télévisés interrompus, festivités annulées, campagnes politiques mises en sourdine : le drame a frappé de stupeur la Corée du Sud, pays riche et moderne pensant être à l'abri d'une telle tragédie. Peu à peu, le pays prenait conscience de l'ampleur de la catastrophe.

Les photos des victimes et les images des parents paniqués ont remplacé les émissions de variété et les feuilletons sur les chaînes. Tout programme comportant des danses et des chants est exclu des grilles des chaînes. « Ce n'est pas un moment pour les rires et la joie. Nous voulons porter le deuil des victimes et projeter une atmosphère aussi sombre que possible », explique un producteur. Les deux principaux partis politiques du pays ont imposé une suspension de la campagne pour les élections locales prévues pour juin. Les entreprises publiques et privées ont annulé les fêtes, coktails et dîner de travail, les autorités provinciales ont suspendu les festivals, concerts et feux d'artifice.



Des dizaines de stars de la pop coréenne ont repoussé la sortie de leurs albums et annulé des concerts ou événements de promotion. Les trois principaux brasseurs, Lotte, Oriental Brewery et Hite Jinro, ont retiré leurs publicités qui se déroulent dans une atmosphère festive. Les matches de basket et de foot ont lieu sans pom pom girls et la musique a nettement baissé de volume. Le principal ordre bouddhiste du pays a lancé une prière nationale, dans ses 2 500 temples à travers le pays, pour le retour des disparus.

À Ansan, où se situe le lycée des enfants disparus, la ville entière a pris le deuil. Des centaines de jeunes et leurs parents se sont réunis dans la cour de l'établissement, en larmes le plus souvent et une bougie à la main. « Ne perds pas espoir », « ton sourire me manque »... ont-ils écrit sur des messages qu'ils éclairaient avec la bougie ou l'écran de leur Smartphone. D'autres veillées sont prévues dans plusieurs villes du pays, y compris dans la capitale Séoul.

La presse et les réseaux sociaux regorgeaient de messages de désespoir mais aussi de colère. « Nous avons les meilleurs chantiers navals du monde au XXIe siècle. Mais notre esprit date du XIXe siècle », assène le grand quotidien Dong-A Ilbo. « Quel est l'intérêt d'avoir l'Internet le plus rapide du monde, les Smartphones les plus cool, les meilleurs chantiers navals lorsqu'on n'est pas capable de sauver nos enfants ? » interroge un internaute sur le portail Naver.com. « Je pensais que notre pays était plus développé que l'Indonésie ou le Bangladesh. J'avais peut-être tort », renchérit un autre.

 

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