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Liban - Affaire Hariri

"Je l'ai reconnu à sa chevelure. Il n'avait plus de bras ni de jambes" : au TSL, les proches des victimes témoignent

La défense passera aujourd'hui au contre-interrogatoire des témoins de l'accusation.

« Je jure de dire la vérité, toute la vérité et rien que la vérité. » C'est par ce serment traditionnel qu'a débuté hier la quatrième journée du procès dans l'affaire de l'assassinat de Rafic Hariri devant le Tribunal spécial pour le Liban. Consacrée principalement à l'audition des témoins cités par l'accusation, l'audience a permis aux juges d'entendre deux témoins proches des victimes et une experte ayant travaillé sur le dossier de l'enquête au bureau du procureur.


S'appuyant sur une projection de portraits des personnes décédées lors de l'attentat, le représentant des victimes, Peter Haynes, a demandé en début d'audience à prendre la parole pour compléter son exposé sur les victimes, dans un souci de personnaliser le vécu de ces dernières et de leur restituer toute leur humanité, même après leur mort. « Nous ne sommes pas en présence de simples numéros, mais de personnes avec chacune son histoire », a-t-il dit.


Seront notamment cités, par ordre alphabétique de leurs noms respectifs « et non selon leur importance », l'ouvrier syrien qui se trouvait sur son lieu de travail, celui qui était à la recherche d'un emploi, les gardes du corps de Rafic Hariri replacés dans leur contexte familial et professionnel, Rafic Hariri, la pédiatre de l'AUH, Rima Bazzi, qui se trouvait sur les lieux par un malencontreux hasard, un passant, Abdel Hamid Ghalayini, « qui n'appartenait à aucune formation politique », un livreur sur sa moto, Ziad Tarraf et Mohammad Darwiche, membres de l'appareil sécuritaire de l'ancien Premier ministre.


D'ailleurs, les frères respectifs de ces derniers seront convoqués à la barre des témoins pour répondre aux questions de l'accusation.
On apprendra ainsi de Adbel Kader Darwiche comment il a reçu la nouvelle de la mort de son frère, Mohammad, le 14 février 2005. « J'ai visité la moitié des hôpitaux pour voir s'il s' y trouvait, confie-t-il. Lorsque je l'ai vu, sa tête était méconnaissable. Je l'ai reconnu à sa chevelure. Il n'avait plus de bras ni de jambes, son corps était déchiqueté. »

 

(Repère : TSL : Le tribunal, les accusés, l'acte d'accusation)


L'impact psychologique et économique sur la famille a été scrupuleusement passé en revue par le témoin, qui répondait sous l'impulsion des questions d'Alex Milne, le premier substitut du procureur : le père a perdu ses dents, la sœur s'est cassé une côte suite à un infarctus, la mère se trouve depuis dans un état de dépression chronique. Lui-même souffre de problèmes gastriques majeurs. Le frère de la victime a également expliqué, toujours en réponse aux demandes de précision formulées par l'accusation, à quel endroit il se trouvait le jour de l'explosion, soit « à Sin el-Fil » à près de 15 km du lieu de l'attentat dont il a non seulement ressenti les ondes de choc, mais a également entendu la détonation. L'accusation cherchait vraisemblablement à démontrer indirectement l'ampleur de l'explosion.


Les effets du traumatisme ont été tout aussi importants sur la famille Tarraf, dont l'un des fils est venu apporter son témoignage au sujet des heures et des jours qui ont suivi la nouvelle du décès de son frère, Ziad. La famille avait déjà perdu un autre frère en 1982, « écrasé par les chars israéliens ».
C'est à ses doigts de pied qui présentaient une anomalie notoire (il en avait six) que M. Tarraf reconnaîtra son frère, à ses chaussures également, qu'il avait empruntées à son frère avant de se rendre à son travail.
« Les pieds (contrairement au reste du corps qui avait été complètement brûlé ) étaient restés intacts, le cuir des chaussures ayant protégé la peau à ce niveau », affirme Mamdouh Tarraf.
C'est d'ailleurs lui qui est désormais en charge de ses neveux orphelins, ainsi que de sa mère, que « le chagrin a rendue malade ». Le décès de Ziad constitue « une perte irréparable pour la famille », poursuit le témoin qui conclut que l'horreur qui a entouré la disparition de Ziad « a éclipsé le décès de notre père et celui de notre (premier) frère ».

 

(Repère: Les acteurs du TSL et leur rôle)

 

Les images des appareils de surveillance
Changement d'ambiance radical et de contenu avec le troisième appelé à la barre, une experte en images vidéo, Mme Robin Fraiser.
Ressortissante australienne, celle-ci avait travaillé au bureau du procureur du TSL de 2009 à 2011.
Plus de deux heures durant, la spécialiste a épluché les détails des images « qui n'étaient pas d'une grande qualité », reconnaît-elle, montrant la trajectoire de la Mitsubishi depuis le tunnel « Sleimane Frangié », appelé également le tunnel du Phoenicia, jusqu'à un point proche de l'explosion. Un travail qui avait été fait en amont dans des laboratoires spécialisés en Grande-Bretagne au sein d'un service de département de police qui « dispose des outils adéquats à la pointe de la technologie pour le faire ».


Deux groupes de cassettes ont été vues et revues par les juges, qui ne se sont pas retenus de demander des clarifications sur le chemin emprunté par le véhicule présumé de la mort, sur le timing des enregistrements, qui montre un « retard d'une minute 54 secondes par rapport à l'heure véritable de l'explosion ».
La témoin a été invitée à plusieurs reprises par les juges à utiliser le stylo magique pour indiquer clairement sur les images l'emplacement de la Mitsubishi et le détour, à droite, effectué par le véhicule avant de se diriger vers l'hôtel Saint-Georges.
Rigoureusement enregistrés par le greffe, les documents et pièces à conviction sur lesquels se basait l'accusation comprenaient notamment les images saisies par plusieurs caméras placées autour et à l'intérieur du tunnel, ainsi que 7 autres placées à l'extérieur de l'hôtel Phoenicia , équipé d'une cinquantaine de caméras en tout.
Une image figée, brouillée par « un nuage noir » enregistrée vraisemblablement après l'attentat, a été exhibée aux juges. « C'est une indication claire qu'une explosion venait d' avoir lieu », atteste l'experte.
On apprend également lors de cette séquence de questions-réponses qu'aucune caméra n'a pu capter les images au moment de l'explosion « à cause des obstacles rencontrés » des suites de la déflagration, atteste la témoin.


Restée silencieuse durant les témoignages recueillis, la défense passera aujourd'hui au contre-interrogatoire de Robin Fraiser, « qui devrait prendre un peu moins d'une heure », dira l'un des conseils.
Dans les coulisses, la défense poursuit auprès de la presse sa déconstruction de la thèse du procureur, et assure que les photos et images en possession de l'accusation couvrent uniquement des scènes « avant et après l'attentat. Rien sur l'explosion au moment où elle s'est produite », soutient l'un des conseils.


Le conseil principal de Moustapha Badreddine, Antoine Korkmaz, s'étonne pour sa part de « l'inexistence d'images satellite » qui montrent l'instant de la déflagration.
« J'ai déjà soumis une demande officielle auprès des États-Unis pour obtenir les images satellitaires il y a plus d'un mois », confie-t-il à L'Orient-Le Jour. « À ce jour, je n'ai obtenu aucune réponse », précise-t-il.
Selon lui, la « synchronisation entre les exécutants » dont parle l'accusation – soit entre le moment où la Mitsubishi entre dans le tunnel et le moment de l'explosion – « ne tient pas debout », d'autant que le procureur essaye de démontrer que le véhicule transportant les explosifs et le kamikaze a modifié « en dernière minute » sa trajectoire. Le Premier ministre, qui avait été retenu plus que prévu, a dû retarder son départ de la place de l'Étoile, avant de reprendre la route, qui le conduira au cœur de l'attentat fatal.


D'autres témoins seront entendus de vive voix aujourd'hui, sur un total de 7 prévus jusqu'à vendredi. Également à l'ordre du jour des audiences, un témoignage qui sera retransmis par vidéoconférence.

 

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