Et si les raisons derrière la crise en Syrie étaient moins évidentes que celles véhiculées par les politologues et médias du monde entier ? Et si l'acharnement russe à soutenir le camp de Bachar el-Assad et celui moins explicite de la Turquie et du Qatar à consolider les positions des révolutionnaires avaient à voir avec une guerre plus sournoise mais tout aussi sanglante autour du gaz naturel ?
C'est de toute manière la thèse que soutient l'expert en matière énergétique Sami Nader. Dans un entretien avec L'Orient-Le Jour, il dissèque la complexité d'une théorie qui établit les bases d'un conflit mondial opposant deux projets de gazoduc : Southstream et Nabucco. Le premier consoliderait la suprématie russe en matière de distribution de gaz vers l'Europe et le deuxième contournerait la Russie. Force est de rappeler qu'environ un quart du gaz européen arrive par voie russe.
Dans les détails, Southstream est un projet de gazoduc paneuropéen qui, dès 2015, devrait relier la Russie à l'Europe occidentale, en d'autre termes relier les puits gaziers autour de la mer Caspienne sans passer par l'Azerbaïdjan et la Turquie. Nabucco, projet de gazoduc soutenu par les États-Unis et l'Union européenne, permettrait dès 2017 de diversifier les sources d'approvisionnement énergétique de l'Europe notamment d'un pays comme la Hongrie qui dépend à 80 % du gaz russe. Depuis quelques années, la Turquie et le Qatar planchent sur un gazoduc supplémentaire rattaché à Nabucco, qui prendrait source au Qatar et continue jusqu'en Turquie, en passant par l'Arabie saoudite et la Syrie. Le projet est rejeté par le gouvernement syrien en 2009, sous prétexte qu'il mettrait à mal les relations politiques et économiques solides entre Damas et le Kremlin. Selon Sami Nader, ce refus a sans aucun doute incité le Qatar et la Turquie à apporter un soutien militaire et financier aux révolutionnaires syriens.
Si le projet Nabucco pose problème à la Russie, c'est pour deux raisons essentielles. La première, si Nabucco voit le jour, la Russie ne serait plus le fournisseur attitré de gaz vers l'Europe. La seconde, les prix du gaz naturel baisseront du fait d'une hausse de l'offre.
Parallèlement, en 2012, Bachar el-Assad signe un accord de construction d'un projet avec l'Iran ; un gazoduc qui relierait la Syrie et le Liban à l'Iran et l'Irak. La Russie exprime son agacement envers un pareil projet, car, selon M. Nader, « jamais les Russes ne pourront accepter une Syrie ayant une frontière (gazière) directe avec l'Irak ». Toujours selon l'expert, ce projet était au cœur des discussions entre le responsable saoudien Bandar ben Sultan et des responsables russes depuis quelques mois.
Les considérations de suprématie russe en matière gazière se sont exacerbées par la découverte de gaz naturel dans le bassin est de la Méditerranée, souligne Sami Nader, qui lie le conflit Israël-Hezbollah à la lumière notamment des divergences autour du gaz dans les eaux territoriales libanaises et israéliennes. C'est entre autres pour cette raison que la Turquie tente depuis des années de se positionner en médiateur et de se rapprocher d'Israël.
En conclusion, et pour éviter encore plus de « victimes innocentes » en Syrie, M. Nader préconise des solutions « diplomatiques et transparentes », sinon c'est toute la région qui risquerait d'être entraînée dans des guerres de façade sans précédent. Selon lui, la solution de la guerre syrienne serait à chercher dans une résolution du conflit gazier. Il cite ainsi à titre d'exemple l'accord de coopération européen autour du charbon et de l'acier, qui avait sauvé l'Europe de guerres sectaires.
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commentaires (4)
Les infos de l'expert datent un peu. Le Projet Nabucco a été abandonné vers la fin de l'année passée...
Daniel Lange
16 h 09, le 19 décembre 2013