La nuit dernière, elles ont formé leur petit bataillon. Armées de seaux, de balais et de serpillières, de rosaires de buis, de courage et de leurs seuls pieds nus, certaines couvertes de la mantille de leur grand-mère qu’elles appellent encore « mendile », elles sont parties. Elles ont pris la route au crépuscule pour arriver à l’aube. C’est une longue marche. Dans leurs rangs désordonnés on observait toutes les fantaisies. Les unes voulaient faire le chemin à genoux, d’autres suggéraient de s’arrêter à chaque Pater et certaines tressaient des couronnes avec les fleurs des champs. Les retardataires qui n’entendaient rien interrompaient les cantiques pour recueillir les consignes. C’est ainsi que, portées par leur foi ardente et leurs jambes meurtries, elles sont arrivées à l’église, ivres de prières et parées à l’assaut. Le jour poignait à peine dans une brume rose et or pareille à celle où l’on voit la divine Mère prendre le ciel sur les ailes des anges, dans le tableau au-dessus de l’autel. On a pris l’eau au tuyau d’arrosage. On a relevé les jupes, rouloté les ourlets aux élastiques des culottes et accueilli comme une bénédiction les premières éclaboussures. Puis ce fut la tempête. Les grands jets savonneux que déversaient les seaux moussaient aussitôt sous les brosses, puis s’élevaient par vagues, poussés par les raclettes, pour retomber aussitôt en cascades sur le marbre du seuil. Au-delà de cette limite régnait d’ailleurs une étrange bonace. L’eau du ménage, avec son parfum de détergent, ruisselait tranquillement sous le soleil déjà haut, emportant pour la forme quelques feuilles tombées des arbres avant l’heure. Le village dormait encore, confiant. Au réveil, avec leurs gerçures, leurs crevasses et leurs crampes, les femmes auront chassé toutes les impuretés, tout le mal entré par effraction dans le saint lieu. Les diables clandestins infiltrés dans les interstices auront fondu dans l’eau de Javel en poussant des cris inaudibles aux humains. Grâce à ce rituel par lequel, à plusieurs, on se donne des forces, Charbel guérira de sa pneumonie et Hanna de sa cirrhose, Thérèse aura un garçon au printemps et Michel reviendra. Ainsi allégé de ses peccadilles, l’été peut enfin finir. La Sainte Vierge veille, elle qui par une nuit semblable a « dormi », laissant à ceux qui le souhaitent l’image heureuse d’une mort qui n’altère pas le corps et ressemble à un long rêve ouaté.
La nuit dernière, elles ont formé leur petit bataillon. Armées de seaux, de balais et de serpillières, de rosaires de buis, de courage et de leurs seuls pieds nus, certaines couvertes de la mantille de leur grand-mère qu’elles appellent encore « mendile », elles sont parties. Elles ont pris la route au crépuscule pour arriver à l’aube. C’est une longue marche. Dans leurs rangs...
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Elles processionnent à petits pas, De bénitier en bénitier, Les bigotes. Et patati et patata, Mes oreilles commencent à siffler, Les bigotes...
16 h 54, le 15 août 2013