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Paradoxes et aventures guerrières

Deux lignes de conduite ; deux visions du Liban, aux antipodes l’une de l’autre ; voire deux mondes diamétralement opposés. « Personne n’a le droit de parler de la Résistance (comprendre, la milice du Hezbollah), à l’exception de ses membres » : dixit le député Mohammad Raad, chef du bloc parlementaire du parti pro-iranien. De l’autre côté du spectre local, des sources officielles proches de Baabda rapportent que le président Michel Sleiman souligne sans ambages devant les diplomates que l’imbrication du Hezbollah dans la guerre syrienne contribue à laminer l’État libanais. Ou ce qu’il en reste. Divers pôles du 14 Mars vont encore plus loin – comme l’a fait dimanche le député Nadim Gemayel – en affirmant que la cohabitation politique avec le parti de Dieu est désormais impossible depuis qu’il a rompu les amarres avec les réalités du tissu social libanais pour s’ancrer aveuglément à la stratégie géopolitique des mollahs de la République islamique iranienne.
Les masques sont tombés. Fidèle à sa propension à maintenir en permanence un climat de société guerrière dans le pays, le Hezbollah a finalement été jusqu’au bout de sa logique transnationale en lançant toutes ses forces – ou presque – dans la bataille féroce de sauvetage du régime de Bachar el-Assad. Et dans cette nouvelle aventure meurtrière, il confirme une fois de plus que pour lui, le Liban est sa propriété privée (on ne le répètera jamais assez...). Les retombées diplomatiques, politiques, sociales, économiques et confessionnelles de sa participation aux combats en Syrie, il n’en a cure. Il ne s’y arrête même pas. À son sens, elles sont quantité négligeable, elles ne méritent en aucune façon d’être prises en considération, face à l’enjeu de cette guerre, à savoir la défense de l’espace vital sécuritaire et stratégique que constitue la Syrie pour le pouvoir iranien. L’enjeu véritable, c’est la réalisation des ambitions hégémoniques de la République des mollahs qui poursuit patiemment, lentement, et de façon méthodique son entreprise de grignotage de l’échiquier moyen-oriental.
Cette guerre pas comme les autres entraîne une situation insolite et saugrenue, lourde de conséquences à long terme, pour au moins quatre acteurs principaux impliqués dans la crise syrienne...
Pour Washington, d’abord. Depuis le début du soulèvement syrien, l’attitude US se caractérise par un cynique paradoxe. L’administration Obama proclame en effet quelque chose et fait exactement le contraire. L’administration Obama ne cesse de rappeler que Bachar el-Assad doit partir et qu’il n’a pas sa place dans la Syrie de demain. Mais dans les faits, elle contribue indirectement à le maintenir en place et même à le renforcer en faisant obstruction à la livraison d’armes défensives efficaces aux opposants et, surtout, en pratiquant dans le même temps la politique de l’autruche face au déferlement d’armes, de munitions, de combattants et d’équipements en tous genres fournis massivement au régime syrien par Téhéran et ses acolytes régionaux (le Hezbollah et la milice chiite irakienne qui combat elle aussi en Syrie), sans compter le soutien total et indéfectible de Moscou à Bachar el-Assad.
En adoptant une telle posture, Washington laisse s’installer de facto une zone d’influence russe sur la rive orientale de la Méditerranée et ouvre pratiquement la voie à la République islamique iranienne afin qu’elle impose son hégémonie sur une vaste zone continue s’étendant de Téhéran au Liban-Sud, en passant par Bagdad et Damas (le fameux « croissant chiite » dénoncé il y a quelques années par le roi de Jordanie). Le régime syrien étant désormais passé, pratiquement, sous tutelle du Hezbollah et du pouvoir des mollahs, Israël se retrouverait confronté, si une telle donne se confirme, à un espace sous influence iranienne bénéficiant d’une profondeur stratégique sans précédent. Les deux principaux fronts de l’État hébreu (le Golan et le Liban-Sud) seraient ainsi unifiés et contrôlés – si le grignotage iranien se poursuit – par une seule puissance régionale idéologiquement imprévisible ayant, de surcroît, des ambitions nucléaires que nul ne parvient à juguler. La politique US aura de ce fait livré pratiquement la région au fondamentalisme chiite, ce qui ne peut que renforcer, par réaction, les courants jihadistes sunnites – que Washington, pourtant, affirme vouloir combattre – et affaiblir le sunnisme modéré, censé être l’allié des USA et de l’Occident.
Cerise sur le gâteau : en empêchant intentionnellement les opposants syriens de se défendre efficacement contre l’aviation militaire et les blindés du régime d’Assad, Washington crée un très grave ressentiment envers les États-Unis au niveau de larges pans de la population de la région, même parmi ceux qui sont généralement bien intentionnés à l’égard de l’Occident.
Que l’administration Obama se fixe comme ligne de conduite de ne plus s’impliquer dans cette partie du monde, cela pourrait être parfaitement compréhensible, pour ne pas dire légitime. Mais ce qui est moins compréhensible, c’est que Washington continue, officiellement, à vouloir jouer un rôle de premier plan au Proche-Orient, alors que dans la pratique il ne le fait pas. Et, de plus, il contribue à créer une situation qui contredit ses propres dires. Et ses intérêts... Car les courants fondamentalistes chiite et sunnite ainsi renforcés (et souvent objectivement alliés), finiront par se retourner tôt ou tard contre les États-Unis et l’Occident en général. Il y a là un énorme paradoxe que l’administration Obama ne prend pas la peine d’expliquer ou d’éclaircir.
Un paradoxe similaire pourrait être relevé au niveau de l’attitude de Moscou. En assurant un soutien indéfectible au régime de Bachar el-Assad, la Russie crée, elle aussi, un lourd ressentiment à son égard dans le monde arabe, et plus spécifiquement parmi les masses sunnites. Les dirigeants russes peuvent-ils être certains que l’hostilité qu’ils manifestent de la sorte, par ricochet, vis-à-vis des sunnites de Syrie n’aura aucun impact, à moyen ou long terme, sur la région du Caucase ? Pensent-ils sérieusement que c’est en laminant le sunnisme en Syrie qu’ils pourraient se prémunir contre la montée d’un radicalisme sunnite au Caucase ? N’est-ce pas le contraire qui risquerait de se produire à la lumière des massacres dont les sunnites de Syrie sont la cible avec la complicité de Moscou ?
Au niveau de l’Iran, jusqu’à quand la République islamique iranienne pense-t-elle pouvoir soumettre par la force et l’oppression les masses arabes sunnites du Moyen-Orient, même au prix d’un éventuel « package deal » avec les États-Unis et/ou Israël ?
Quant aux dirigeants du Hezbollah, qui font montre de remarquables qualités de grands joueurs d’échec, il est pour le moins surprenant qu’ils n’aient pas compris, en tirant les leçons de la guerre libanaise, qu’aucune faction – locale, régionale ou internationale – n’est en mesure d’imposer son diktat, de manière durable, aux Libanais. Du fait de son implication dans les combats meurtriers en Syrie, le Hezbollah a renforcé les courants sunnites extrémistes au pays du Cèdre et a provoqué une grave et profonde cassure entre lui et le reste des Libanais, et plus particulièrement les sunnites, non seulement au Liban, mais dans le monde arabe, comme l’illustre d’ailleurs la position en flèche adoptée hier sur ce plan par le Conseil de coopération du Golfe.
Pour sauver l’allié de Téhéran de la débâcle, et dans le but de seconder le régime des mollahs dans son entreprise hégémonique au Moyen-Orient, le Hezbollah sape, purement et simplement, non seulement les bases de l’État libanais – comme le dénonce le président Sleiman – mais, surtout, les fondements du pacte national et de l’entité libanaise dans son ensemble. Et ce n’est pas en se livrant à un continuel chantage milicien pour intimider certains leaders locaux, ou en lâchant ses « bassidj » dans les rues de Beyrouth pour tabasser et faire taire, dans le sang, les voix contestataires chiites qu’il pourra se trouver une issue à l’impasse dans laquelle il s’est engouffré.
Deux lignes de conduite ; deux visions du Liban, aux antipodes l’une de l’autre ; voire deux mondes diamétralement opposés. « Personne n’a le droit de parler de la Résistance (comprendre, la milice du Hezbollah), à l’exception de ses membres » : dixit le député Mohammad Raad, chef du bloc parlementaire du parti pro-iranien. De l’autre côté du spectre local, des sources...
commentaires (8)

L’Amérique sait très bien ce qu'elle fait ! En refusant d'armer la Révolution, elle prolonge de facto l’espérance de vie du régime infect nusayrî qui rendra difficile tout rabibochement possible entre äalaouïtes et Sunnites, ce qui poussera de fait à la Balkanisation de l'Ensemble de tous ces Kottors-conTrées. Le hézébbblàh tient absolument à ce passage de Qousseïr-Homs car si jamais les Äalaouïtes le perdaient, c'en est fini pour lui alors de toute liaison direct avec le réduit nusayrî fin prêt à la côte syrienne. Et ceux de Baalbick-Hirmil se retrouveraient de la sorte isolés dans cette région entourés de gens + ou – hostiles de tous les côtés ; Akkar, Wadi Khaled, Homs-Qousseïr, Damas etc. ; et seront obligés pour se désenclaver de mener des Per(s)cés au niveau de la Békaa centrale pour tenter de relier le Liban-sud ! D'où leur acharnement en vue de la chute de Qousseïr.... Même Dâââhïyéh serait à la longue militairement intenable, sauf si Aley et le Chouf lui assurait sa liaison avec Baalbick via Sofar-Dahr el Baïdar, et avec le Sud via le Mont-Liban sud...

Antoine-Serge KARAMAOUN

13 h 45, le 12 juin 2013

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Commentaires (8)

  • L’Amérique sait très bien ce qu'elle fait ! En refusant d'armer la Révolution, elle prolonge de facto l’espérance de vie du régime infect nusayrî qui rendra difficile tout rabibochement possible entre äalaouïtes et Sunnites, ce qui poussera de fait à la Balkanisation de l'Ensemble de tous ces Kottors-conTrées. Le hézébbblàh tient absolument à ce passage de Qousseïr-Homs car si jamais les Äalaouïtes le perdaient, c'en est fini pour lui alors de toute liaison direct avec le réduit nusayrî fin prêt à la côte syrienne. Et ceux de Baalbick-Hirmil se retrouveraient de la sorte isolés dans cette région entourés de gens + ou – hostiles de tous les côtés ; Akkar, Wadi Khaled, Homs-Qousseïr, Damas etc. ; et seront obligés pour se désenclaver de mener des Per(s)cés au niveau de la Békaa centrale pour tenter de relier le Liban-sud ! D'où leur acharnement en vue de la chute de Qousseïr.... Même Dâââhïyéh serait à la longue militairement intenable, sauf si Aley et le Chouf lui assurait sa liaison avec Baalbick via Sofar-Dahr el Baïdar, et avec le Sud via le Mont-Liban sud...

    Antoine-Serge KARAMAOUN

    13 h 45, le 12 juin 2013

  • Ah, Dante...remarquable, en effet...Jésus l'avait précédé de très loin en disant qu'il vomissait les tièdes...mais les chauds-bouillants qui ne porteront jamais une arme, et qui ne risqueront jamais leur vie sont encore pire que les "neutres"...tant il est vrai qu'appeler au combat et à l'affrontement bien au chaud dans son salon est horriblement facile...il y a au Liban des gens qui appellent à la concorde, fut-elle imparfaite...et à l'étranger aussi...au risque d'être sévèrement critiqués par les deux bords. Ce n'est pas bien grave...si l'on considère que les gens qui meurent, meurent pour "de vrai"...qu'ils ne se relèveront pas après le film comme au cinéma. Chaque goutte de sang libanais versé en des combats douteux est une perte irréparable pour le pays. Nous en avons déjà beaucoup versé!Nous en reste-t-il tellement?

    GEDEON Christian

    17 h 06, le 11 juin 2013

  • Dante a dit que les pires places de l'enfer sont réservées à ceux qui, dans les périodes de crise morale, ont choisi de rester neutres.....Est ce ainsi que le Liban perd sa valeur d 'exister . Antoine Sabbagha

    Sabbagha Antoine

    16 h 52, le 11 juin 2013

  • Au regard de cette article ...une lecture asymétrique s'impose...avec un SI bien sûr...supposons que les américains and Co. ont monté à moyen terme ...une énorme intox ...pour 'en finalité ... frapper la vraie cible ...pour neutralisée l'industrie nucléaire de l'Iran ...? "Si vous voulez tuer la pieuvre.... viser la tête ...et non les tentacules ...! (proverbe Coréen )

    M.V.

    11 h 13, le 11 juin 2013

  • D'ailleurs, M. Touma en tire lui-même la conclusion....Aucune puissance, aucune faction, personne, n'est capable d'imposer durablement son diktat aux Libanais...raison de plus pour trouver un compromis, fût-il mauvais, plutôt que se lancer dans des aventures militaires qui de toute façon, ne résoudront rien. Il n'y a qu'une seule cause qui vaille...celle du Liban...pour les autres, nous avons déjà donné, et bien plus que notre dû...merci!

    GEDEON Christian

    11 h 08, le 11 juin 2013

  • Pour les uns ,contre les autres...pour les autres, contre les uns....et on recommence. La vérité est que depuis la fin des années 1960,c'est le Liban tout entier qui est sacrifié sur l'autel de causes diverses et variées, dont le problème palestinien constitue le socle apparent commun. Et il a été sacrifié alternativement, et parfois concomitamment par pratiquement tous les bords...alors, aujourd'hui, je me demande s'il est bien normal de voir les Libanais continuer à s'opposer en deux blocs irréductibles, et se parler en utilisant exclusivement la violence ou des noms d'oiseux de plus en plus virulents. Bien sûr, ce genre de position n' a l'heur de plaire ni aux uns ni aux autres...il faut marcher au pas, n'est ce pas? Mais est- il vraiment nécessaire de mourir aujourd'hui pour des idées qui n'auront probablement plus cours demain, comme disait Georges Brassens?

    GEDEON Christian

    11 h 00, le 11 juin 2013

  • Au lieu de se lamenter comme le fait le Président qu'il nous montre qu'il a suffisamment de courage pour imposer un gouvernement, imposer une loi électoral et organiser des élections. Qu'ils déploie les troupes de l’armée et des FSI en force la ou les miliciens se permettent de commettre des meurtres et actions antigouvernementales. Tripoli, Ersal, Saida, Beyrouth si nécessaire même au risque de voir des affrontements avoir lieu. Il est temps qu'il redonne confiance a la majorite du peuple et non pas faire plaisir a une bande mafieuse minoritaire qui n'a rien a faire avec le Liban. Qu'il donne a la police la possibilité d’arrêter les criminels en fuite protégé par les partis quels qu'ils soient. Au lieu de cela il laisse faire en se cachant derrière des lamentations. Cela ne sauvera pas le Liban et ne lui évitera pas les catastrophes qui se dessinent a l'horizon. Il faut agir sr le terrain et vite!

    Pierre Hadjigeorgiou

    09 h 07, le 11 juin 2013

  • En bref. 1-Le gouvernement russe ? Il s'est avéré et s'avère tous les jours davantage un gouvernement assassin en sa qualité d'associé très actif du régime de Damas qui assassine son peuple. Il mérite qu'al-Qaeda fasse exploser le Caucase à sa figure. Et on peut se demander ce qu'attendent les Arabes, dont la médicorité est si révoltante, pour faire une pression diplomatique efficace sur le tsar Poutine en rappelant leurs ambassadeurs à Moscou. 2-Le gouvernement américain? Paralysé par le complexe de nègre d'Obama et sa lâcheté. Il bavarde disant qu'Assad doit partir et Assad est là se moquant de lui. 3-L'Europe ? La seule qui comprend ce Moyen-Orient de merde et spécifiquement ce qui se passe en Syrie. Mais elle se fige en une hésitation incompréhensible. 4-Le régime des mollahs d'Iran ? Le régime le plus théocratique et fascite qui puisse exister. Il ira jusqu'au bout et jusqu'au dernier combattant du Hezbollah dans sa participation aux crimes monstres du régime d'Assad. 5-Enfin le Hezbollah? Une milice de "bassidj" fasciste, copie et branche des bassidj des mollahs d'Iran. Un instrument, un bouton entre les mains de ces derniers. Elle divorce définitivement du Liban et des Libanais. Ceux-ci n'ont plus aucun choix sinon de résister et se révolter une fois pour toutes contre ce cancer qui désintègre et détruit leur pays.

    Halim Abou Chacra

    03 h 11, le 11 juin 2013

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