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À La Une - Journée nationale du patrimoine

La vallée de la Qadicha : odeur de sainteté et senteurs d’oliviers

Le comité de l’Apsad (Association pour la protection des sites et anciennes demeures) de Kesrouan-Jbeil a organisé, en coopération avec Liban Trek, une journée du patrimoine dans la vallée de la Qadicha. De Mar Antonios à Mar Licha en passant par Deir Qannoubine, l’excursion de couvents en ermitages a fonctionné comme un irrésistible manifeste pour préserver le patrimoine libanais.

La vallée truffée de grottes vue de Deir Qannoubine.

Dans la vallée de la Qadicha, le regard ne cesse de s’arrêter sur des portes. Une lourde porte de bois inamovible ici, une porte close à l’issue d’un interminable escalier là, une minuscule entrée qui ne conviendrait qu’à un enfant plus loin... Des portes qui semblent murmurer de leur incongruité les insondables mystères de la vallée hérités de l’histoire des maronites. C’est ici dans cette vallée portant si bien le nom de la « vallée des saints » en langue syriaque que l’Association pour la protection des sites et anciennes demeures au Liban (Apsad) de Kesrouan-Jbeil a choisi d’organiser, en coopération avec Liban Trek, une journée du patrimoine.


Elle n’aurait pu élire meilleur lieu pour sensibiliser les Libanais à la possibilité d’une belle coexistence de l’homme et la nature. Ici, les demeures se fondent dans la roche. La nature resplendit, parée des innombrables récits ancestraux des hommes et femmes de ces montages. Inversement, le patrimoine culturel ne saurait être si bien préservé qu’ici où il s’enracine dans la terre et s’incruste dans la pierre. Impossible de parler de la Qadicha sans évoquer les maronites dont la spiritualité emplit l’atmosphère telle la fumée d’encens qui, selon la légende, recouvrait la vallée à l’heure des vêpres, au Moyen Âge. Ceux qui furent les premiers chrétiens rattachés à Rome trouvèrent refuge dans la vallée au VIIe siècle devant fuir la Syrie sous les coups de boutoir de l’expansion arabo-musulmane et des persécutions byzantines. Des milliers de moines s’installèrent alors dans la région qui se transforma en toile de villages austères, de monastères inaccessibles et de couvents. Classée au patrimoine culturel mondial de l’Unesco, la région se trouve pourtant menacée par les constructions illégales et les décharges sauvages. Comme une balafre que les Libanais infligent à ce rêve d’harmonie.

Belle entrée en matière
Le monastère Saint-Antoine de Kozhaya qui détenait la première imprimerie du Moyen-Orient se dresse à 900 mètres d’altitude. Parfaitement conservée, la bâtisse claire se niche dans la montagne tandis que son église ocre s’encastre dans une grotte. Entre les deux, une vaste place permet d’admirer l’altitude à laquelle se perche le couvent. De là, la rumeur sourde du fleuve Nahr Qadicha se fait entendre.


Pour la suite, aux routes sinueuses avec vue sur de redoutables précipices, mieux vaut sans douter choisir les sentiers serpentant à flanc de montagne. Déjà mille fois foulés par les ermites, les chemins racontent la beauté simple d’une vie ascétique. Les oliviers, les pins et arbres fruitiers appuient de leurs exhalaisons le chant des sources appelant à l’humilité. À l’issue ou au cours de la marche, quand le ciel d’airain se fait intenable, les grottes et monastères dont la vallée est parsemée offrent des retraites d’une fraicheur salutaire. Ainsi, il convient de franchir la jolie porte bleue de la chapelle Sainte-Marina intégrée dans une caverne et de s’y arrêter le temps d’entendre son histoire singulière. Dans ces parois humides au clair-obscur inspirant, une jeune femme vit prendre fin sa drôle de vie. Une vie monacale dont la piété a été très tôt alourdie d’un indicible secret, celui de sa féminité qu’elle avait décidé de taire pour entrer dans le monastère maronite. Se faisant appeler frère Marino, elle garda le silence, même lorsque, accusée d’avoir mis enceinte une jeune fille, elle aurait pu aisément s’innocenter. Chassée, calomniée, elle s’est vu confier la charge de l’enfant désavoué auquel elle consacra le reste de sa vie. À l’heure de son enterrement, on découvrit la femme qui se cachait sous l’habit du moine et, de fait, son innocence flagrante. Aujourd’hui, la grotte est devenue chapelle. On s’y recueille autour du tombeau de celle désormais appelée sainte Marina. Dans la chapelle, le chandelier aux bougies électriques y détonne un peu, mais les visages indolents des saints accompagnés de leurs chérubins rendent au lieu son esprit.

Gruyère de grottes
Non loin de là, dans l’ancien patriarcat à Deir Qannoubine dont la chapelle fait partie, vivent les religieuses antonines. Dans ce monastère, dont le nom de Qannoubine viendrait du grec « kénobios », la vie en communauté fait rimer austérité avec sérénité. Surplombant les vallons alentour, il invite, de sa vue imprenable, à la contemplation. Les versants escarpés offrent au regard des peintures naturelles faites tout autant de strates colorées, de cascades et de plis de roche que de discrètes touches humaines. Ainsi se laisse deviner de loin le couvent Mar Licha aux airs de forteresse. Dans l’ermitage, les cellules monacales, véritables enclaves dans la roche, évoquent la douceur d’une vie passée dans la prière et la contemplation de ce panorama incroyable qui s’expose à chaque fenêtre.


La gorge profonde de la vallée apparaît percée comme un gruyère par des centaines de grottes. Fascinantes gardiennes de l’histoire de ces hommes et femmes y ayant trouvé refuge, ces dernières sont empreintes d’une grave spiritualité. À l’histoire de sainte Marina, pourraient s’ajouter celles de Sarkis al-Rizzi apportant l’imprimerie au monastère de Kozhaya, celle du patriarche Loucas échappant aux Mamelouks de sa grotte ou du Français François de Chasteuil devenant ermite au couvent Mar Licha. Ces récits parlent d’austérité pieuse, de destinées tragiques et d’endurance face à l’adversité. Ils ajoutent à la beauté naturelle du lieu une richesse culturelle.


Les participants à l’excursion étaient ravis de redécouvrir les richesses de leur propres pays, convaincus de la nécessité impérieuse de protéger ces trésors. De fait, le respect que le site mérite tient presque du sacré. Dans Voyage en Orient, Lamartine ne parlait-il pas de la vallée de la Qadicha comme d’une « vaste nef naturelle dont le ciel est le dôme, les crêtes du Liban, les piliers, et les innombrables cellules des ermites creusées dans les flancs du rocher, les chapelles » ? Dans ce haut lieu de la spiritualité chrétienne en Orient, il est à espérer que ces mots résonnent de nouveau.

 

 

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