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À La Une - Reportage-Syrie

Dans l'Est syrien, le trafic de pétrole prospère sur le chaos

"Depuis que nous avons goûté au pétrole, la révolution a disparu à Deir ez-Zor. C'est un fléau."

Deir ez-Zor est une zone-clé pour la production de pétrole en Syrie. Elle possède au moins onze champs de pétrole dont le plus grand est à seulement six kilomètres de la capitale provinciale éponyme. REUTERS/ Khalil Ashawi

Dans la province de Deir ez-Zor dans l'est de la Syrie, un réseau de tribus et de trafiquants tire parti du chaos de la guerre civile pour créer un commerce illicite du pétrole, qui rend passablement illusoires les espoirs des Européens d'acheter du brut aux insurgés en lutte contre Bachar el-Assad.

 

Les puissantes tribus sunnites de la région ont déployé depuis quelques mois leurs combattants autour des installations pétrolières et des oléoducs tombés sous leur contrôle pour sécuriser leurs trafics. Elles ont en outre passé des accords de commerce et de contrebande, ont indiqué des sources rebelles, un employé de compagnie pétrolière et des gens en relation avec les tribus.

 

Deir ez-Zor est une zone-clé pour la production de pétrole en Syrie. Elle possède au moins onze champs de pétrole dont le plus grand est à seulement six kilomètres de la capitale provinciale éponyme.

En deux ans de combats, la production de pétrole syrien a chuté de plus de 50%. La prise de contrôle de cette industrie par les réseaux tribaux complique de surcroît les efforts des Occidentaux pour aider l'opposition à se financer en lui achetant sa production de brut.

 

"Chaque tribu est maintenant en possession d'au moins une partie d'un gisement pétrolifère, dont la taille dépend de son importance et du nombre de combattants qu'elle peut déployer sur place", a déclaré un employé de compagnie pétrolière qui se fait appeler Abou Ramzi.

En plus des raffineries, les combattants tribaux ont pris le contrôle d'oléoducs qu'ils n'hésitent pas à percer pour extraire le pétrole.

 

 

"Raffineries mobiles"

Au total, des milliers de barils sont ainsi envoyés chaque jour clandestinement vers la Turquie par le biais de camions-citernes qui circulent sur des routes de campagne, ajoute Abou Ramzi. Le prix du baril dépend de la qualité du brut et du coût du transport, mais il varie en général autour de 8.000 livres syriennes (88 euros), selon une source proche des contrebandiers.

 

Ces dernières semaines, certains riches trafiquants ont même commencé à utiliser des "raffineries mobiles" installées sur des camions pour transformer le brut en carburant. Moyennant un coût de 230.000 dollars (177.000 euros), elles peuvent raffiner jusqu'à 200 barils par jour.

 

Mais ce développement fulgurant de la contrebande de pétrole ne va pas sans causer des problèmes de santé, et les cuves de distillation qui ont fleuri dans la province génèrent un nuage de fumée noire au-dessus des villages, provoquant des problèmes respiratoires. "Il y a beaucoup de maladies qui apparaissent", témoigne Nour, un habitant de la région, ajoutant que certains habitants brûlent le pétrole pour le raffiner sans porter de protection.

 

Sur le plan stratégique, les rebelles soutenus par les Occidentaux reconnaissent avoir aujourd'hui peu de chances de remporter une part de ce marché de l'ombre. Le pouvoir des tribus dans l'Est syrien, très conservateur, et le fait qu'elles aient des combattants dans beaucoup de brigades rebelles du pays rendent leurs chefs quasi intouchables.

 

(Pour mémoire: L’Europe lève partiellement l’embargo sur le pétrole syrien)

 

 

Goût de l'argent

L'autre force de la région est le Front al-Nosra, un mouvement à la pointe de l'insurrection qui a fait allégeance à el-Qaëda. Selon certaines sources, l'organisation islamiste a conclu un accord avec les tribus sur le partage des recettes pétrolières et les a utilisées pour acheter des armes et rétribuer ses hommes.

 

Face au pouvoir des réseaux tribaux, le commandement rebelle soutenu par l'Occident, qui les surnomme les "voleurs de pétrole", dit avoir pour priorité de reprendre la ville de Deir ez-Zor avant de traiter avec eux.

"C'est très difficile, les gens ont pris goût à l'argent et au pouvoir qui va avec. Ils n'abandonneront pas sans combattre", juge un commandant rebelle. "Les rebelles ne veulent pas affronter qui que ce soit aujourd'hui (parmi les tribus). C'est une province tribale et la moindre chose qu'ils pourraient faire pourrait se retourner contre eux, qui sont des enfants des tribus", ajoute-t-il.

 

Certaines sources au sein des rebelles ont indiqué que leurs commandants avaient pris contact avec certaines tribus pour les convaincre de partager une part de leurs profits. Mais les discussions ont jusqu'ici été infructueuses, assurent-elles.

Selon une autre source proche de l'une des plus puissantes tribus de la région, l'effondrement du pouvoir central après deux ans de conflit en Syrie a permis aux tribus de mieux s'organiser et de se renforcer. "Ces gens ne permettront à personne de toucher aux oléoducs", a-t-elle estimé.

 

Après le retrait des forces d'Assad de la région au cours des derniers mois, les brigades rebelles ont peu à peu pris le contrôle des puits de pétrole. Et, comme des milliers de Syriens ont trouvé refuge en Turquie, il leur a été facile de prendre contact avec des hommes d'affaires turcs. Rapidement, les tribus ont également pris le contrôle de la raffinerie de la province, et d'autres les ont rejointes, les petites s'alliant pour concurrencer les plus grandes.

 

Pour certains, la perspective de devenir riche a quasi éclipsé la volonté de renverser le régime de Bachar el-Assad. Ceux qui avaient le plus de relations avec les tribus se sont enrichis et achètent aujourd'hui des maisons, des terrains, d'autres allant même jusqu'à prendre une seconde femme.

"Tout cela c'est de l'égoïsme, regrette un commandant rebelle de la province. Depuis que nous avons goûté au pétrole, la révolution a disparu à Deir ez-Zor. C'est un fléau."

 

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